L'équipe nationale du Tchad s'apprête à livrer une double confrontation (22 et 26 mars) face à l'Ile Maurice pour les préliminaires des éliminatoires de la CAN 2025. Après les deux matchs comptant pour les qualifications du Mondial 2026, c'est quasiment un exploit pour cette sélection habituée aux forfaits. Avec le sélectionneur et ex-international tchadien Kévin Nicaise, les Sao semblent amorcer un nouveau tournant et rêvent un peu plus grand. Pour Kévin Nicaise, les problèmes demeurent et il faudra beaucoup de résilience, de force, pour réussir le pari fou d'une qualification historique à la CAN.
En octobre dernier, quand vous êtes arrivé à la tête de la sélection tchadienne, après avoir signé un contrat avec le Comité de normalisation. À cette époque, il était encore question de la mise en place d'une nouvelle Fédération tchadienne de football. Il n'y a toujours pas de Fédération, mais vous avez choisi de prolonger l'aventure. Qu'est-ce qui vous a convaincu de continuer ?
(Sans hésiter) L'amour du maillot et des couleurs du pays. En fait, j'ai toujours eu un sentiment de gâchis avec le Tchad quand j'étais joueur et je me suis toujours fait la promesse de tout faire pour faire briller le football tchadien. Il y a quelque chose d'inexplicable qui est ancré en moi et j'ai vraiment envie de bien faire les choses. C'est vrai que quand on connaît les conditions dans lesquelles on a dû travailler, on se dit qu'on est peut-être un peu fou. Mais voilà, il y a cet amour du maillot et cette conviction de vouloir réaliser quelque chose de positif pour le Tchad
Est-ce que vous avez des raisons d'être optimiste aujourd'hui après ces premiers mois ?
Oui, parce que personnellement, je vois de la progression, je vois une nette amélioration. Les joueurs sont aussi plus en compétition maintenant, ce qui n'était pas le cas sur la dernière année. À chaque fois qu'on avait un match international, les joueurs locaux n'étaient pas compétitifs. Donc ça, c'est aussi une donnée importante. On est de plus en plus compétitif parce qu'on a un peu plus de continuité et ça fait plaisir, ça me donne de l'espoir.
Vous avez disputé deux matchs internationaux officiels avec les éliminatoires de la Coupe du monde 2026, pour deux défaites face au Mali (1-3) et Madagascar (0-3). Quelles leçons avez-vous tirées de ces matchs-là ?
La leçon principale, c'est pour pouvoir réussir une bonne prestation, il faut avoir une bonne préparation ou du moins une préparation basique, correcte. C'est-à-dire pouvoir s'entraîner dans des conditions correctes et voyager dans des conditions correctes. Et si ce n'est pas le cas, le football ne ment pas. Contre le Mali et Madagascar, on n'a pu faire que deux séances sur les 10 jours avec le groupe complet ; deux séances la veille de match d'une heure. Dans ces conditions-là, on ne peut rien revendiquer. Mais ce que je retiendrai, c'est surtout qu'on a quand même lutté face à ces équipes. Le Mali est une belle nation de football africain. À quelques secondes près, ils étaient en demi-finale de la CAN 2024. Contre eux, on était à 1-1 jusqu'à la 77e minute. Et contre Madagascar, pareil, c'est une équipe qui monte en puissance et on perdait 0-1 jusqu'à la 84e. Donc, on s'est effondrés par manque de compétitivité et manque de compétition pour les joueurs locaux. Les conditions de voyage ne nous ont pas permis d'être prêts physiquement. On s'est écroulés à chaque fois dans les dix dernières minutes, mais dans le contenu et dans l'état d'esprit, je suis un coach assez satisfait.
En juin prochain, ce sont les 3e et 4e journées des éliminatoires du Mondial 2026 et on imagine que ce n'est pas le premier objectif du Tchad aujourd'hui. Comment vous pensez profiter de cette fenêtre-là pour faire progresser l'équipe ?
Sincèrement, je ne vais vous servir des phrases comme « tant que mathématiquement, on n'est pas éliminés, etc. » Il faut être réaliste. Par contre, on va jouer chèrement notre peau et ces matchs vont nous permettre de progresser et de prendre de l'expérience. On va jouer deux matchs en éliminatoires de Coupe du monde, c'est bien, car c'est en enchaînant les matchs qu'on progresse et qu'on grandit. Il faut se servir de ça pour gagner en expérience, en qualité et affiner encore la sélection. Et pourquoi pas attirer d'autres joueurs, des binationaux qui sont intéressants et qui pourraient nous aider. Il faut passer ce petit cap.
Il va y avoir aussi les éliminatoires de la CAN 2025, ça peut être un objectif raisonnable pour vous si vous passez les préliminaires ?
Je pense que là, on pourra se placer et être en mesure d'afficher nos ambitions et participer à ces éliminatoires-là avec de l'idée d'accéder à la CAN. C'est six matchs, donc c'est peu et beaucoup à la fois. Sur les six matchs, si on en gagne quelques-uns, on peut accéder à la phase finale de la CAN. Il faut d'abord un bon tirage, meilleur que celui de la Coupe du monde pour nous, après, on pourra se permettre de rêver. La CAN 2025 est un réel objectif.
Vous êtes ex-international tchadien et avez une quinzaine de sélections. À l'époque, il y avait aussi beaucoup de soucis en sélection. Qu'est-ce qui vous motivait, vous qui étiez joueur professionnel en Europe, à venir vous mettre dans cette galère ?
C'est cet amour du maillot qui est un peu inexplicable. Je ne suis pas né au Tchad, je n'ai pas grandi au Tchad. Mon père était tchadien, donc j'ai gardé cette attache et ces racines-là. Chaque fois que je viens au pays, il y a plein d'émotions qui viennent. En tant que joueur, c'est vrai que quand on était en sélection, on se disait toujours : "C'est la dernière fois que je viens. Je ne peux plus accepter des conditions pareilles". Et puis, une fois que tu joues le match, tu vois l'amour du public et tu vois que tu y es presque, qu'il ne te faut pas grand-chose. Tu arrives à battre l'Égypte, et c'est la folie dans tout le pays. Et après, tu n'as pas les moyens de voyager, tu arrives à 11h en Égypte alors que le match et à 17h ; tu perds 4-0. Tu te dis, avec un peu plus d'organisation, plus de moyens, on aurait pu tenir l'Égypte en échec. Ce sont ces petites choses-là qui te font tenir et qui te font toujours espérer.
Vous n'avez pas peur d'être parfois démotivé ?
Ce qui me fait avancer, c'est cet objectif de réussir et de réaliser quelque chose de grand avec le Tchad malgré toutes les contraintes et tous les soucis. Maintenant, c'est vrai qu'il faut parfois jouer le tampon avec les joueurs, qui ont parfois d'autres réalités, veulent se faire respecter, voyager dans des conditions décentes et pouvoir avoir les mêmes conditions d'entraînement que les autres nations. Moi, j'irai jusqu'à une certaine limite, je ne suis pas là non plus à dire « oui » à tout et je ne vais pas tout accepter. J'espère que cette fois-ci les choses seront mises en oeuvre pour pouvoir s'entraîner, voyager et performer dans de bonnes conditions. Si ce n'est pas le cas, il faudra peut-être se rendre à l'évidence, mais j'ai bon espoir, j'ai toujours la flamme et l'envie qui sont là. On est résilient et on va continuer à lutter.