Au Burkina Faso, la poésie fait partie de la culture, reflétant la diversité des langues et des traditions. A l'occasion de la Journée mondiale de la poésie, célébrée chaque 21 mars, Sidwaya fait un clin d'oeil aux Burkinabè pratiquant l'art de combiner les mots, les sonorités et les rythmes pour évoquer des images, suscitant des sensations et des émotions. Allons à la découverte de cet art du maniement de la langue.
Le poète est un créateur à partir des mots. Il fait de la poésie qui pourrait se définir comme un tissage délicat de mots transcendant le langage ordinaire pour explorer les recoins les plus profonds de l'expérience humaine. Considérée comme une danse de l'âme, la poésie a évolué au fil des siècles, adoptant diverses formes et styles tout en conservant sa capacité unique a suscité des émotions intenses.
« Partout où l'on travaille avec les ressources esthétiques de la langue, joue avec la langue, avec les mots, on fait de la poésie. Partout où se dresse une image, un spectacle extraordinaire comme un coucher du soleil qui suscite en nous une émotion, on peut dire que ce spectacle de coucher de soleil est poétique », explique l'écrivain poète, Pr Noël Sanou, maitre de conférences en science du langage, à l'université Joseph-Ki-Zerbo.
Pour lui, toutes les fois où la parole est sollicitée pour son pouvoir d'évocation, ou de suggestion, on se trouve dans la dimension de poésie. Elle se manifeste sous diverses formes, chacune apportant sa propre musicalité et son rythme distinct, à entendre Pr Sanou qui précise que la poésie cherche à capturer l'inexprimable, à transcender la simple narration pour éveiller une réponse émotionnelle.
« De fait, elle a toujours été au coeur de la culture humaine. Elle agit comme un miroir reflétant les valeurs, les préoccupations et les idéaux de la société, qu'elle soit utilisée pour s'exprimer ou pour questionner, elle demeure un moyen puissant de transmission culturelle faisant ainsi des poètes les gardiens de la mémoire collective, sculptant l'histoire à travers les vers », soutient-il.
Le langage des tam-tams et des masques
L'avocat, homme de lettres et de culture, maître Fréderic Titinga Pacéré, est un poète engagé dans la préservation des traditions culturelles africaines. Il a à son actif plusieurs recueils de poème dont deux couronnés de succès, pour avoir remporté le grand prix littéraire d'Afrique noire. Il s'agit de « La poésie des griots » et « Poème pour l'Angola », écrits en 1982.
La poésie, dit-il, est une forme d'expression littéraire remontant à la nuit des temps. « Ma poésie, ce n'est pas une poésie classique, mais une poésie qui repose sur le langage des tam-tams et des masques », précise-t-il. La poésie va au-delà des limites du discours ordinaire, invitant le lecteur à contempler la beauté dans l'ordinaire et à explorer des réalités inexplorées, insiste le Pr Sanou.
« Quand on lit un texte poétique, c'est ce que l'on récent qui est en fait le sens, ce que cela suggère en toi, ce que cela évoque en toi, là où ça te transporte, la nostalgie ou l'espoir que cela suscite en toi. Poésie égale spiritualité. C'est l'élévation de l'âme. C'est la vie en société, la cohésion, les danses et les cérémonies collectives, même notre existence elle-même est poétique, là où il y a répétition, là où il y a rythme, il y a la poésie », soutient le Pr Noël Sanou.
Pour les spécialistes, la poésie remet l'homme en contact avec ce qu'il y a de plus sensible dans l'existence en stimulant son inconscient, dans lequel la sensibilité s'éprouve. C'est un moyen d'atteindre ce qu'il y a de plus vrai, de plus sensible en soi en mettant du sens sur certains mots.
La poésie du mille-pattes racontée par maître Fréderic Titinga Pacéré en est une illustration. « Le mille-pattes court dans les champs et il y a les aigles qui aiment manger le mille-pattes. Quand l'aigle voit le mille-pattes, il fonce pour le taper et l'emporter, mais il n'arrive pas à toujours le faire. Souvent, il le coupe en deux, la tête court vers l'Est, la queue vers l'Ouest. La tête qui court vers l'Est peut tomber et mourir.
Les hommes qui sont du côté de l'Est disent que le mille-pattes est mort, pendant que la queue continue de courir. Les gens qui sont à l'Ouest disent que le mille-pattes est vivant. Ainsi, un être peut être vivant et mort à la fois. Un être peut mourir à deux lieux différents à des moments différents. Cette illustration fait surgir en nous les mystères de l'Afrique noire que l'on ne comprend pas », explique Me Pacéré Titinga.
La poésie pour sensibiliser
La poésie, foi de ses praticiens, telle une force subtile mais puissante, agit comme un catalyseur de changement, stimulant la réflexion critique et inspirant des perspectives nouvelles. Son but principal étant d'émerveiller en jouant sur les sonorités et les rythmes par l'usage des métaphores, des comparaisons et des hyperboles, de polémiquer en mettant un accent sur les valeurs qui motivent l'oeuvre, sur le vécu du poète, d'émouvoir en faisant partager des émotions communes à travers un certain champ lexical, d'exalter à la recherche du spirituel, une élévation grâce aux sentiments que diffuse l'auteur, inspiré par son angoisse, sa foi ou sa révolte, peut agir sur le mental de la société. En ce sens des épopées traditionnelles mossé aux poèmes engagés sur les défis sociaux, les poètes burkinabè disent utiliser la langue pour célébrer leur identité et exprimer leurs préoccupations.
Il utilise l'imagerie poétique pour transporter le lecteur dans des mondes imaginaires, où chaque mot est une invitation à ressentir intensément de l'émerveillement devant la nature à la douleur, de la perte, offrant ainsi miroir émotionnel ou le Burkinabè peut se reconnaitre. Pour Me Pacéré, la poésie n'est pas uniquement l'écriture ou une jonction de mots, mais quelque chose qui touche le coeur et l'esprit.
« Il faut écrire pour toucher le coeur de l'Homme, la conscience de l'Homme, il ne faut pas écrire pour écrire, il faut un but, c'est-à-dire de sensibiliser à une cause noble. J'écris pour conscientiser mon peuple, j'écris pour que mon peuple soit grand et surtout pour que personne ne puisse prendre mon peuple, c'est un engagement de ma part », fait-il remarquer.
Un avis que partage l'écrivain poète Folyombo Idani. Dans son oeuvre « Peine et Perle » lauréat du Prix littéraire international Codjo Rodrigue Abel Assavedo (PLICRAA) 2023, dans la catégorie poésie, il dit aborder divers thèmes à savoir l'amour, la spiritualité, les joies et les peines de l'existence humaine, la justice sociale et les inégalités, ainsi que le combat pour la dignité et la liberté. « Mon style poétique est beaucoup plus lyrique et introspectif, souvent satirique, mettant en lumière les problèmes et les injustices de la société », partage-t-il.
Le désintérêt des Burkinabè
En terre burkinabè, les créations artistiques aspirent à conquérir leur public. Cependant, fort est de constater que cet art du langage suscite de moins en moins d'engouement. Tous restent unanimes sur le sujet : la poésie tout comme les autres formes de littérature sont mal en point. Ce constat se fait ressentir dans les bibliothèques et librairies où le nombre de lecteurs est nettement en baisse.
Le Burkinabè accorderait de moins en moins de l'importance à la lecture. Qu'elles peuvent en être les causes profondes ? Pour maitre Pacéré Titinga, l'Africain noir en général et le Burkinabè en particulier ne lit pas, mais préfère suivre la télévision et voir passer des images. « J'ai écrit 4 volumes dans lequel est dépeint toute l'histoire du Moogho.
J'en ai tiré 1 000 exemplaires dont 800 ont été déposés dans les librairies de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Les 200 exemplaires que j'ai gardés par devers moi ont été presque tous achetés par un Blanc qui venait de Londres. Cependant en 10 ans, les librairies n'ont vendu que 10 des 800 exemplaires que j'avais envoyés. Une triste réalité. La lecture n'intéresse pas grand monde au Burkina Faso », déplore-t-il. Un fait appuyé par le Pr Noël Sanou qui soutient que la société ne laisse pas beaucoup de place à l'intellectuel.
Un autre constat interpelle notamment à travers l'économie de livre. Des propos des acteurs, il ressort que les oeuvres des poètes burkinabè sont produites en petite quantité les rendant quelque peu couteuses, selon les acteurs. Bien qu'il existe des institutions de promotion du livre, il manque une politique de promotion du livre allant des chaines de production, de consommation à la distribution des livres. Conséquence, dans les librairies et bibliothèques, il est difficile de trouver certaines oeuvres poétiques burkinabè. Ainsi, il est plus facile de trouver des oeuvres d'autres auteurs que celles de certains auteurs burkinabè.
Pire, la plupart du temps, les recueils de poèmes sont publiés à compte d'auteur, en 500 à 1000 exemplaires qui peuvent s'épuiser très souvent au bout de quelques années. Sans réédition, ces auteurs se retrouvent sans oeuvres qui circulent, déplore le Pr Sanou. Une situation à laquelle est confronté également l'écrivain poète Folyombo Idani. « En tant qu'auteur et poète, je suis confronté au défi de trouver un public pour mes écrits, de trouver des opportunités de publication.
A cela s'ajoutent le manque de visibilité sur la scène littéraire internationale et surtout le manque de moyens économiques pour rendre les oeuvres accessibles à tout le public », dit-il. Trouver un grand auditoire pour toucher le maximum de coeurs se présente comme un sérieux souci pour les poètes burkinabé.
Le langage des « intellos » et des amoureux
Pour le cas de la poésie, certains pensent qu'elle serait un langage destiné aux personnes romantiques, ou pour ceux utilisant un langage soutenu pour s'exprimer communément surnommées les « intellos ». Selon Raynatou Barry, étudiante à l'université Aube nouvelle, les poèmes sont difficiles à lire.
« J'aime bien lire les romans, mais pas en particulier la poésie. Les poèmes sont souvent très longs. Quand je commence la lecture, je finis par en perdre le fil et m'embrouiller et finalement je finis par ne rien comprendre », confesse-t-elle. Pour d'autres lecteurs, la poésie juste est mal connue du public burkinabè. « La poésie est l'expression de soi à travers l'écriture, l'expression de ses émotions. Il faudra plutôt chercher à plus vulgariser la poésie, car nous avons de très grands poètes », souhaite Gustave Konaté, étudiant, écrivain et passionné par l'écriture poétique.
En cette journée dédiée à la poésie, les acteurs appellent à se plonger dans les rivières de mots, à se mouvoir sous les grands baobabs de la poésie burkinabè. Ces derniers veulent qu'on se souvienne que les mots sont des étoiles dans la nuit de notre quotidien, guidant nos pensées et éveillant notre imagination.
Pour le développement de la poésie au Burkina, certains acteurs souhaitent que l'on organise plus d'ateliers d'écritures poétiques dans les écoles et universités pour encourager les jeunes à s'exprimer à travers la poésie. Que soient multipliées les activités de promotion de la poésie comme des festivals et des concours de poésie avec à la clé des grands prix.
L'introduction dans le programme éducatif de la poésie en tant que moyen de sensibilisation à la langue, à la culture et à l'histoire du Burkina Faso est aussi nécessitée afin d'éveiller dès le bas âge la fibre poétique chez les jeunes.