Drones de loisir utilisés comme arme et moyen d'espionnage en Ukraine, pour surveiller les populations en Chine, dans le but, un jour, d'être employés comme tasers volants pour sécuriser les écoles aux États-Unis, et même d'ores et déjà pour la livraison de drogues et d'armes dans les centres de détention en France...
Des livraisons commerciales par drones en plein essor
Derrière ces usages répressifs ou illicites, largement médiatisés, l'usage des drones de loisir, initialement destinés aux prises de vues aériennes, s'est largement développé dans l'industrie et l'agriculture notamment. De fait, leur utilisation pour les livraisons commerciales est en plein essor.
Motivé par leur rapidité et leur faible impact carbone, dix fois inférieurs à celui des livraisons par voie routière, Amazon, le géant de la livraison, a d'ailleurs largement investi dans les drones en créant sa filiale Amazon Prime Air. Celle-ci projette plus de 500 millions de livraisons annuelles d'ici 2030. Une nouvelle paire de baskets livrée à domicile 30 minutes après une commande sur Internet est un « rêve » bientôt accessible.
Des programmes pour acheminer en urgence médicaments ou poches de sang
En matière de livraison, les drones peuvent aussi avoir une utilité plus essentielle, par exemple dans le secteur de la santé, où ils commencent à être utilisés dans certains pays pour l'acheminement en urgence de médicaments ou de poches de sang destinés à des transfusions.
Ainsi, au Rwanda, Zipline, une start-up américaine, réalise 80 % des livraisons des poches de sang grâce aux drones. La solution proposée par Zipline présente cependant des limites. Son coût élevé, le rayon d'action limité des drones à 80 km et son infrastructure lourde avec des rampes de lancement expliquent le fait que pour le moment, elle soit surtout utilisée en zone rurale, dans des pays de petite superficie caractérisés par une forte densité de populations et des ressources financières suffisantes.
En Afrique de l'Ouest, le drone pour améliorer le dépistage précoce du VIH chez les nouveau-nés
En Afrique de l'Ouest et du Centre, la densité de population en zone rurale est faible, les superficies des pays élevées et les ressources financières limitées. Pourtant, les besoins de santé sont également importants et les drones pourraient contribuer à améliorer l'accès aux soins.
Ils pourraient notamment être utilisés pour améliorer l'accès au dépistage précoce du VIH chez les enfants nés de mères vivant avec le VIH, dont le risque de mortalité est particulièrement élevé dans les deux premiers mois de vie, en l'absence de traitement.
Compte tenu des appareils de laboratoire nécessaires pour ce diagnostic, le diagnostic précoce des nouveau-nés n'est réalisé que dans quelques laboratoires urbains. Lorsque les femmes vivant avec le VIH accouchent dans des formations sanitaires qui ne disposent pas de ces équipements, les prélèvements doivent être acheminés vers ces laboratoires de référence.
Or, les systèmes de transport par voie routière sont lents et peu fonctionnels en raison des nombreux embouteillages en zone urbaine et du mauvais état, voire de l'absence d'infrastructures routières en zone rurale. Les résultats sont souvent rendus tardivement. Les nouveau-nés infectés par le VIH sont donc rarement traités à temps, c'est-à-dire dans leurs premiers mois de vie, ce qui les expose à un risque important de décès.
En Guinée, un projet mené par des chercheurs guinéens, européens et une ONG
En Guinée, seul un tiers des nouveau-nés dont la mère vit avec le VIH bénéficient d'un diagnostic. Parmi ceux chez qui le VIH a été diagnostiqué, on estime que moins de la moitié seraient traités à temps, d'après des données nationales non publiées.
Conakry, sa capitale, est tristement réputée pour ses embouteillages où un déplacement de quelques kilomètres peut parfois prendre plusieurs heures. À l'instar de nombreuses métropoles d'Afrique de l'Ouest, cette capitale a connu une expansion urbaine rapide liée à un exode rural important au cours des dernières décennies.
C'est coincée dans un de ces fameux embouteillages à Conakry, regardant une vidéo d'un drone livrant des burgers et des bières à Reykjavik en Islande, qu'une équipe de Solthis, ONG qui travaille depuis 20 ans pour l'amélioration de la santé en Afrique de l'Ouest, a eu l'idée d'utiliser des drones pour un usage plus utile que le commerce de la junk food.
Il s'agissait d'utiliser des drones pour transporter en urgence des prélèvements sanguins et ainsi permettre de diagnostiquer et traiter les 1 400 enfants qui naissent chaque année avec le VIH en Guinée. En 2020, Sothis a développé le projet AIRPOP.
Mis en oeuvre en partenariat avec des chercheurs guinéens, des responsables du programme de lutte contre le VIH, des chercheurs en anthropologie de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et, en modélisation, de la Lincoln International Institute for Rural Health et avec le soutien de l'Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites virales et les maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE), le projet AIRPOP, a cherché à évaluer le coût/efficacité et l'acceptabilité d'un transport des prélèvements par drone.
Une solution coût-efficace en nombre de vies sauvées, d'après les premiers tests
L'enjeu était de tester une solution, acceptable par la population et finançable dans les pays à ressources limitées. Le projet a comparé l'efficacité et le coût d'un transport par drone avec un transport par moto et le système actuel par voiture.
La modélisation a montré que le drone est une solution coût-efficace en termes de nombre de vies sauvées, malgré des coûts d'investissement et d'entretien supérieurs à celui des motos ou des voitures, pour un pays à ressources limitées comme la Guinée.
En parallèle, des vols de drones automatisés ont été effectués entre deux structures de santé pour tester la faisabilité en contexte urbain et une étude anthropologique a analysé les perceptions des acteurs concernés. D'une manière générale, les drones bénéficient d'une perception plutôt positive dans un contexte récent de troubles politiques où ces appareils ont été utilisés par des journalistes et des partis de l'opposition pour attester de l'ampleur de manifestations.
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Néanmoins, diverses craintes, comme celle d'un détournement par des groupes terroristes, suscitent des inquiétudes et soulignent la nécessité d'une information claire des populations. Nos travaux sur la question seront prochainement publiés.
Pour autant, les résultats encourageants du test suscitent l'intérêt des autorités de santé du pays et créent les conditions favorables pour poursuivre les recherches nécessaires au déploiement par le pays de cette innovation sur l'ensemble du territoire.
Mutualiser aussi les drones pour le transport des poches de sang lors de l'accouchement
Après cette première phase test, AIRPOP2 évaluera l'utilisation des drones à Conakry et en zone rurale avec l'ambition de proposer cette stratégie à l'échelle du pays pour permettre de dépister et de traiter les 1 400 enfants qui naissent avec le VIH chaque année. Elle explorera également l'intérêt de la mutualisation des drones pour les transports urgents d'autres produits de santé, notamment les poches de sang pour les femmes ayant des hémorragies lors de l'accouchement, première cause de décès maternels en Afrique.
Bien que les fabricants de drones soient pour l'instant principalement basés dans les pays les plus riches, la simplicité des techniques de fabrication et les moyens déjà investis pour améliorer la performance des drones, nous laissent penser que dans un futur proche, des fabricants pourraient émerger en Afrique de l'Ouest.
Cela ne ferait qu'améliorer le coût-efficacité de cette solution et simplifierait la maintenance. Osons imaginer, qu'aux yeux des investisseurs, sauver des vies humaines pourrait constituer un enjeu aussi important que celui de livrer en urgence, des burgers et des baskets, aux quatre coins du monde.
Cet article a été co-écrit par : Guillaume Breton, Maxime Inghels, Oumou Hawa Diallo, Mohamed Cissé, Youssouf Koita et Gabrièle Laborde-Balen.
Ont participé à cette étude : (1) Solthis, Paris, France ; (2) Lincoln International Institute for Rural Health, University of Lincoln, Lincoln, Royaume-Uni ; (3) Solthis, Conakry, Guinée ; (4) Service de Dermatologie, Centre de Traitement Ambulatoire, Laboratoire de Biologie Moléculaire, CHU Donka, Conakry, Guinée ; (5) Programme National de Lutte contre le VIH sida et les Hépatites (PNLSH), Conakry, Guinée ; (6) TransVIHMI, Université de Montpellier, Inserm, Institut de Recherche pour le Développement, Montpellier, France.
Guillaume Breton, Médecin infectiologue. Référent pathologies infectieuses et recherche de l'ONG Solthis. Médecin attaché service de maladies infectieuses, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, Sorbonne Université
Gabriele Laborde-Balen, Anthropologue, Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge Clinique de Fann (CRCF, Dakar), Institut de recherche pour le développement (IRD)
Maxime Inghels, Research Fellow, University of Lincoln, Université Paris Cité
Mohammed Cissé, Médecin dermatologue. Doyen de la Faculté de Médecine de l'Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, Guinée, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC)
Oumou Hawa Diallo, Médecin pneumologue. Hôpital Ignace Deen Conakry, Guinée, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC)