Lors du forum sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement organisé par l'Union africaine à Accra au Ghana (18-19 mars), la résilience des institutions du Sénégal, qui ont permis de remettre le processus électoral sur les rails, a été saluée.
ACCRA- La situation au Sénégal est largement revenue dans les débats lors du 2e forum de réflexion sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement organisé par la Commission de l'Union africaine à Accra (18-19 mars). Si certains se sont alarmés de l'incertitude ayant entouré le processus électoral dans ce pays considéré comme une vitrine de la démocratie en Afrique, d'autres ont salué la résilience des institutions, notamment le Conseil constitutionnel, qui a permis de remettre le processus électoral sur les rails.
« Nous devons apprendre des leçons de l'expérience du Sénégal. Si les institutions n'étaient pas fortes, si le Conseil constitutionnel n'était pas résilient, la crise aurait pu dégénérer en violence », explique Baba Gano Wakil, Représentant-résident de la Cedeao au Ghana. Selon Dr Linda Darkwa, chercheuse au Peace Training Institute, l'exemple du Sénégal montre l'importance de préserver la crédibilité des institutions et de les renforcer.
Présent à ce forum, le Pr Babacar Kanté, président du groupe des sages de l'Union africaine et ancien président du Conseil constitutionnel du Sénégal, considère qu'aucun pays n'est à l'abri des crises, mais que l'essentiel c'est d'avoir des institutions fortes capables de les surmonter.
Concernant la crise de la démocratie, un autre thème largement revenu dans les débats, le célèbre constitutionnaliste sénégalais note qu'il s'agit d'un phénomène global auquel même les plus grandes démocraties sont confrontées. Le Pr Kanté invite à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain face aux critiques contre les institutions africaines (notamment l'Union africaine). Il est d'avis que l'Ua dispose d'excellentes normes ; le défi, dit-il, c'est de les appliquer.
« Les chefs d'État africains ont deux cerveaux : l'un, qui siège à Addis-Abeba, qui signe tout, et un autre qui est à l'intérieur des frontières nationales et qui refuse d'appliquer ces engagements. Notre rôle c'est de les aider à réconcilier ces deux cerveaux en faisant preuve de pédagogie », dit-il. Loin d'être un phénomène récent, les coups d'État sont « consubstantiels » à l'Union africaine, note le Pr Kanté.
Il rappelle que le 25 mai 1963, lors de la création de l'Organisation de l'unité africaine (Oua), l'ancêtre de l'Ua, le premier problème que les Chefs d'État du continent avaient à gérer, c'étaient un coup d'État, c'est-à-dire fallait-il oui ou non accepter le Togo qui venait de connaître un putsch. Pointant une « erreur d'analyse » dans le diagnostic, le Pr Kanté estime que dans la plupart des pays ayant récemment connu des coups d'État sur le continent, il y a, non pas un problème de gouvernance, mais de gouvernementalité. « Un pays où 75% du territoire est occupé par des terroristes, parler de problème de gouvernance est une erreur », dit-il.
Le coût des coups d'État
Selon la Banque mondiale, la croissance en Afrique subsaharienne a reculé de 2,5% en 2023, contre 3,6% en 2022 à cause notamment des effets induits des coups d'État.
« Il y a l'Afrique que nous souhaitons et celle que nous avons ». Cette phrase lancée par l'un des participants au 2e forum de réflexion de l'Union africaine sur les changements anticonstitutionnels de Gouvernement, qui s'est tenu à Accra les 18 et 19 mars, résume l'impuissance face à « l'épidémie » des coups d'État sur le continent. La tenue même de ce forum Accra II en est une parfaite illustration.
En effet, si la première édition (mars 2022) était plus une réponse face à la prise de pouvoir par les militaires (Mali, Guinée, Burkina Faso), le phénomène s'est depuis lors complexifié, poussant les organiseurs à inclure, dans la réflexion, les processus électoraux, les tripatouillages constitutionnels...Alors qu'officiellement la doctrine de l'Union africaine est « zéro tolérance » face aux coups d'État, certaines institutions comme la Cedeao, confrontées à l'inflexibilité des juntes, ont adouci leur position. Mais la perception même de ces putschs est différente d'un cas à l'autre.
Ce qui pose l'influence des puissances étrangères et le narratif des médias internationaux : ici on parle de « junte au pouvoir » (Niger), là de « nouvelles autorités » (Gabon). Par ailleurs, la nature des coups d'État a changé avec des pays dirigés par des putschistes qui tentent de s'isoler en boudant eux-mêmes les instances panafricaines (Alliance des États du Sahel). Si le désir de changement est réel pour la population, les coups d'État sont loin d'être la panacée.
D'après les données compilées par la Facilité africaine d'appui aux transitions inclusives (Afsit, en anglais), une initiative de la Commission de l'Ua et du Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud), l'Afrique a connu 284 coups et tentatives de coups d'États entre 1952 et 2022, dont 159 pour la seule Afrique de l'Ouest, qui reste largement la région la plus instable du continent. Sans compter ceux enregistrés en 2023 (Niger et Gabon) et tentatives de coup (Guinée-Bissau).
Au total, huit coups d'État ont été enregistré depuis 2020. Mais ces coups ont rarement débouché sur une amélioration des conditions de vie des populations, voire un enracinement de la démocratie, à l'exception peut-être du Ghana. « Contrairement à ce que prétendent les auteurs de ces putschs, les changements anticonstitutionnels de gouvernement ne mènent pas à une amélioration de la gouvernance », constate Dr Wafa Andoulsi, spécialiste du genre à l'Université de Tunis.
Il est en revanche bien établi que les coups d'État ont un coût. Une étude menée par l'Afsit évalue à 12 milliards de dollars le manque à gagner des coups d'État au Mali et en Guinée en cinq ans. De son côté, la Banque mondiale note un recul de la croissance en Afrique subsaharienne de 2,5% en 2023 contre 3,6% en 2022 à cause notamment des effets induits par les coups d'État. Très souvent, ceux-ci engendrent des perturbations économiques, un recul de la coopération économique (tarissement des investissements et de l'aide extérieure), des sanctions économiques avec un impact sur les populations et les échanges avec les pays voisins, etc.