Au Mali, une frange de l'Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) défie les colonels au pouvoir. L'AEEM a été dissoute en conseil des ministres le 13 mars 2024, en raison des « nombreux accrochages à main armée entre les différents clans de ladite association ». Mais les membres de l'association refusent cette dissolution. Le bureau national envisage des démarches judiciaires, tandis qu'une frange plus radicale a constitué une cellule de crise. Dans un communiqué particulièrement virulent diffusé ce 21 mars, cette cellule appelle à la mobilisation.
Ses membres n'hésitent pas à apparaître face caméra. La cellule de crise de l'Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), qui rassemble la frange la plus radicale de l'organisation étudiante, « condamne fermement toute tentative de museler la voix des élèves et étudiants en les privant de leur liberté d'association » et se dit prête à « défendre coûte que coûte » l'association. « Nous n'avons pas peur des représailles, que ce soit la prison, l'élimination physique ou toute forme de répression. »
Les étudiants invoquent « les libertés fondamentales » et le passé de leur organisation : en 1991, elle avait joué un rôle majeur dans la contestation puis dans la chute de la dictature militaire du général Moussa Traoré - dont la mémoire a été réhabilitée par les colonels actuellement au pouvoir. « Nous n'accepterons jamais qu'une partie de l'histoire de la démocratie malienne soit supprimée », martèlent ces étudiants, qui exigent également « la libération immédiate et inconditionnelle » de leurs « camarades élèves et étudiants actuellement détenus ».
Le bureau national de l'AEEM privilégie la Justice
Des affrontements internes ont régulièrement lieu entre les différents clans de l'AEEM, l'un d'eux a causé la mort d'un étudiant fin février et des arrestations. À différentes reprises, des armes et d'importantes sommes d'argent ont été retrouvées dans les locaux de l'AEEM, dont une quinzaine de membres serait actuellement en prison, selon l'association.
S'adressant au Président de transition, le Colonel Assimi Goïta, les étudiants prennent certaines précautions : « Nous aimons beaucoup notre cher pays le Mali et nous sommes fiers de notre armée malienne. » Des mots clés qui font écho à la politique souverainiste et militaire du régime en place. « Mais nous disons "non" à toute forme de violence contre notre liberté d'association. »
La cellule de crise appelle donc « le peuple malien » à la mobilisation pour obtenir l'annulation de la dissolution de l'association. « Dissoudre l'AEEM, c'est l'art de se dribbler soi-même tout en gardant le ballon », conclut le communiqué. La formule est répétée trois fois, comme a l'habitude de le faire le porte-parole du gouvernement malien de transition, le Colonel Abdoulaye Maïga. Une imitation qui, plus qu'un hommage, ressemble à une moquerie et à une provocation. Une forme d'humour offensif qui ne fera sans doute pas rire les colonels au pouvoir.
Mais cette cellule de crise ne représente pas l'ensemble de l'organisation étudiante. Joint par RFI, le porte-parole de l'AEEM, Mamadou Maïga, se démarque : « Nous préparons des démarches judiciaires. Pour le moment, le bureau national privilégie cette voie et n'appelle pas à la mobilisation. » La cellule de crise serait une « initiative » prise par une frange seulement de l'association.
La suite dira dans quelle mesure cette frange est représentative et capable de mobiliser les étudiants maliens... et au-delà.
Ralliement des opposants
Sollicité par RFI, le bureau de l'AEEM n'a pas communiqué de chiffres sur le nombre d'adhérents.
« L'AEEM ne représente plus qu'elle-même depuis plus de quinze ans », juge un chercheur malien qui connaît bien le sujet. À ses yeux, la capacité de mobilisation de l'association elle-même - et, a fortiori, d'une partie seulement de l'association - est donc très faible. Les étudiants maliens, à Bamako et dans le pays, répondront-ils à l'appel ? Oseront-ils braver le risque de répression ?
Au-delà même du milieu étudiant, les opposants politiques joints par RFI ne cachent pas leur volonté de rallier et amplifier le mouvement. La cellule de crise de l'AEEM ne se bat que pour la survie de l'association, mais son appel à la mobilisation constitue clairement une opportunité pour tous les opposants au régime en place, qui n'hésiteront pas à s'engouffrer dans la brèche.
La Synergie d'action pour le Mali, qui rassemble les partis politiques et les organisations de la société civile, exigeant la fin de la transition, est d'ailleurs déjà indirectement impliquée. De nombreuses personnalités politiques maliennes de premier plan sont passés par l'AEEM. « Certains d'entre eux sont aujourd'hui membre de la Synergie, confie l'un de ses cadres. Ils ne sont pas étrangers à ce qui se passe ». Les contacts sont donc déjà plus qu'établis. « Nous tentons de rassembler au maximum pour projeter des actions de terrain », explique encore cette source. « S'ils organisent des manifestations, nous serons solidaires. »
Le 33e anniversaire de la chute de la dictature militaire de Moussa Traoré approche
Là encore, difficile d'estimer la capacité de mobilisation des mouvements d'opposition, dont plusieurs cadres sont en prison, en exil, ou condamnés à la discrétion pour éviter de finir dans ces deux cases.
Aucune date n'a encore officiellement été indiquée pour quelque action que ce soit. Le 26 mars prochain, le Mali célèbrera le 33e anniversaire de la chute de la dictature militaire de Moussa Traoré. À l'époque, l'AEEM était aux avant-postes.
Les autorités maliennes de transition n'ont, pour le moment, pas réagi officiellement.