Ile Maurice: Les planteurs à l'abandon

Les planteurs de légumes ont du fil à retordre face au nombre grandissant de voleurs qui pillent leurs champs. Selon eux, le nombre de cas de vol est en nette hausse. Et une bonne partie n'est pas rapportée car les procédures policières sont jugées fastidieuses.

Rien que pour la semaine écoulée, il y a eu deux incidents avec des planteurs concernant des vols. Le premier s'est passé à Petit-Bel-Air lorsqu'Ashvin Sunnassy a surpris un voleur dans sa plantation de fruits et légumes bio. Il l'a alors forcé à manger du piment tout en le filmant, puis a diffusé la vidéo sur les réseaux sociaux. Et cette semaine, deux frères, âgés de 41 ans et 50 ans, qui habitent Vallée-des-Prêtres, ont été agressés au couteau par un voleur alors qu'ils l'avaient surpris, aux petites heures du matin, dans leur champ de légumes, situé dans le quartier.

Les deux planteurs qui ont fait face à plusieurs vols dans leurs plantations avaient décidé de monter la garde lorsqu'ils ont surpris les deux voleurs sur les lieux. L'un des planteurs a même relaté à l'express comment les voleurs font des ravages dans son champ depuis quelque temps déjà et comment il a été affecté par la situation surtout après le mauvais temps et les cyclones qui n'ont pas été bénéfiques pour leurs légumes. Krit Beeharry, planteur et membre de la plate-forme Planteurs de l'île, confirme que les cas de vol de légumes ont connu une hausse considérable. «On en parle avec les autres planteurs quand nous sommes à l'encan et on note que les vols sont généralisés. Ils sont perpétrés partout à travers l'île.»

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Il explique que cela arrive car nous sommes en période de récolte après le passage de Belal, que ce soit pour le piment, les bringelles et d'autres légumes. «Il faut d'abord se demander pourquoi on vient voler les légumes ? Est-ce pour se nourrir ? Nourrir sa famille ? Ou pour se droguer ? On constate que la plupart des voleurs sont des consommateurs de drogue.» Ainsi confie Krit Beeharry, pour que ces derniers puissent se procurer leur dose quotidienne de drogue, il leur suffit de voler quelques livres de piments ou quelques giraumons ou autres calebasses. «La drogue synthétique étant bon marché, cela les arrange. C'est la source première de tous nos malheurs.»

Il explique que porter plainte à la police est complexe et fait perdre beaucoup de temps aux planteurs lorsqu'un vol est commis. «Moi-même j'avais porté plainte à la police pour vol d'arouille violette dans ma plantation et une fois en cour, l'avocat de l'accusé m'avait demandé quelle preuve j'avais que c'étaient mes arouilles violettes.. C'est ridicule...» Ainsi, le nombre réel de vols est le double de ce qui est normalement rapporté à la police car nombreux sont ceux qui préfèrent ne pas se tourner vers la police.

Hassen Auleear, un planteur de pomme d'amour dans la région de Triolet, est du même avis. Il explique que récemment, un voleur sévissait dans la région et vendait le butin volé à un marchand. Celui-ci a alors alerté «ses collègues» qui ont remis à la police les légumes volés et le voleur. «Mais le lendemain matin, on a vu le voleur marcher librement dans le village. On a alors demandé à quelques policiers ce qui s'était passé. Ils nous ont dit que le voleur présumé avait montré à la police dans la soirée sa plantation. Mé asoir pena dimounn dan karo, linn kapav al montré karo kot linn al kokin mem, lapolis inn kwrar li, sé tou... Comment la police a pu confirmer qu'il s'agissait bien de son champ ?»

Dégâts causés

Le planteur Auleear, âgé de 64 ans, explique que la situation devient de plus en plus alarmante car des voleurs sévissent même en plein jour. «Il y a plusieurs fois où j'ai moi-même vu des voleurs dans la plantation d'à côté, dans celles de mes amis et pour ma propre sécurité, je fais semblant de ne rien voir. J'ai un ami planteur à Solitude qui s'était défendu dans son champ en plein confinement en 2020, malheureusement, le voleur était décédé à l'hôpital. Aujourd'hui l'affaire est toujours en cour et il doit débourser une fortune en frais d'avocat. On ne peut pas exposer notre vie. On laisse faire.»

Kailash Ramdharry, planteur et représentant du mouvement des petits planteurs, indique, lui, que la raison pour laquelle les vols connaissent actuellement une hausse considérable, c'est parce que les légumes se vendent à prix d'or.* «Mais le plus chagrinant, ce n'est pas le vol mais les dégâts que causent certains dans le champ des planteurs. Zot vinn kokin piman, zot ras pié lamem zot alé ! Li fer leker fermal sa.»* D'ajouter que le planteur en question investit beaucoup en termes d'argent et de temps pour pouvoir récolter ses légumes. «Le métier de planteur est un travail noble, si on volait pour se nourrir on aurait fermé les yeux mais ils volent en grande quantité.»

Selon lui, plusieurs planteurs exaspérés ont décidé depuis quelque temps de rendre justice eux-mêmes. «On voit d'ailleurs des vidéos postées sur les réseaux sociaux.» Hassen Auleear poursuit en expliquant que pour ne pas se retrouver seul face à un voleur, des planteurs d'arouille violette à Triolet, par exemple, ont décidé de surveiller chaque soir leur plantation en groupe, une sorte de neighbourhood watch. «Mais la population des planteurs est vieillissante, c'est ainsi que plusieurs ont décidé d'abandonner leur terre. Zot dir ou dan zot vié zour, zot pa pou kapav kit lakaz asoir ek al vey karo.»

Tous ceux à qui nous avons parlé sont unanimes qu'il faut un durcissement de la loi afin de mieux protéger leur culture de légumes. Krit Beeharry réclame la mise sur pied d'une police agricole, comme celle de l'environnement, dont les agents sillonneraient les régions où il y a des plantations et pourraient ainsi traquer des véhicules suspects. En attendant, explique Hassen Auleear, la Special Mobile Force (SMF) et la Special Support Unit (SSU) auraient pu prêter main forte en faisant des patrouilles régulières.

Mais encore plus important, confie Kailash Ramdharrry, c'est d'amender la loi pour des peines plus sévères à l'encontre de ces voleurs. «C'est inadmissible qu'ils obtiennent la caution et une amende un jour seulement après avoir commis leur forfait. Il faut une sentence plus lourde pour les décourager mais aussi leur ordonner de dédommager les planteurs affectés.» Aussi, pour décourager les vols en grande quantité, il faut décourager certains marchands à acheter ces légumes à des «pri dipin diber» au détriment des planteurs. «C'est aussi ce qui encourage davantage les vols dans les champs. Si pe gagn bon pri zot pran, lerla zot dir voler la amenn ankor. Li res alé mem koumsa», ajoute Hassen Auleear.

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