Les pouvoirs du wali ? Ses attributions ? Sa marge de manoeuvre ? Ses relations avec les gouverneurs et les édiles ? ....
DECRYPTAGE. Son nom fait la Une des journaux et des sites d'information. Et ses faits et gestes inondent les réseaux sociaux. Tous les Casablancais le connaissent, non à titre personnel, mais en tant que personnalité publique la plus médiatisée. Il s'agit en l'occurrence de Mohamed Mhidia, nommé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI wali de la région de Casablanca-Settat, gouverneur de la préfecture de Casablanca-Anfa.
En effet et depuis sa nomination, le nouveau wali est présent sur tous les fronts et occupe un rôle central dans la gestion de la capitale économique du pays. Nombreux sont ceux qui ont noté son hyperactivité, son franc-parler et son sérieux. Pourtant, Mhidia ne fait pas l'unanimité. Car si certains apprécient son dynamique et sa détermination, d'autres critiquent sa méthode forte et le costume de super-wali qu'il veut endosser. Qu'en est-il en réalité de ces appréciations et ces critiques ? Comment Mhidia gère-t-il une ville anarchique et truffée de lobbies et censée jouer le rôle d'une cité de finance et des affaires ? Qu'en est-il de son soi-disant super-pouvoir ? Comment sont ses relations avec les élus et les autres gouverneurs ainsi qu'avec la société civile ? Le nouveau wali est-il en train de reproduire une certaine expérience de Driss Benhima, wali de l'ancienne région du Grand Casablanca (juillet 2001 - mars 2003) ? Décryptage.
Un parcours exemplaire
Le 19 octobre 2023, Mohamed Mhidia a été nommé par le Souverain wali de la région de Casablanca-Settat. « Une nouvelle nomination qui a des allures de record absolu pour un haut commis de l'État, puisque l'homme a déjà eu à diriger, depuis 2007, les wilayas de cinq des douze régions que compte le Royaume: Taza-Al Hoceima-Taounate d'abord, puis Marrakech-Tensift-Al Haouz, l'Oriental, Rabat-Salé-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima», souligne le site le360. Selon son curriculum vitae, il est lauréat de l'Ecole nationale supérieure des mines de Douai en 1981, mais également diplômé de l'Institut supérieur du béton armé de Marseille, où il a terminé ses études en 1982.
Sa carrière, il l'a commencée en tant que directeur provincial des travaux publics à Azilal en 1987 avant de devenir chef de division de l'entretien, de l'exploitation et de la sécurité des routes en 1993 et directeur de la Société d'aménagement de Sala Al-Jadida en 1996. En 2002, il a été désigné comme gouverneur de la préfecture de Skhirat-Témara avant d'être nommé à la tête de Taza-Al Hoceima-Taounate en 2007, de Marrakech-Tensift-Al Haouz en 2010, l'Oriental en 2012 et la région de Rabat-Salé-Kénitra en 2017. En 2019, il a été nommé wali de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima.
Pour sa nouvelle nomination en tant que wali de la région de Casablanca-Settat, Mhidia fixe comme priorités et comme feuille de route les problèmes liés au stress hydrique, à la prolifération des bidonvilles ou encore à la réhabilitation des habitats menaçant ruine. La question du chômage dans la région figure également dans son programme. Il affiche « son ambition de créer de nouvelles zones industrielles, à raison d'une zone dans chaque ville, afin d'offrir de nouvelles opportunités d'emplois aux jeunes », rapporte LeMatin. Et ajouter : « Le responsable a également évoqué la nécessité de préparer la région à accueillir des événements internationaux comme la CAN 2025 et le Mondial de football en 2030 ».
Pour réaliser ces objectifs, le wali croit dur comme fer à la valeur du travail. Il a même qualifié « le travail qui l'attend avec les responsables territoriaux de la région de Casablanca-Settat de « bataille » qu'il faut mener avec sérieux et responsabilité, et travailler jour et nuit pour remporter le pari », indique LeMatin. Et les résultats sont déjà là : vaste campagne de libération du domaine public, déblocage de certains projets restés en stand-by pendant de longues années...
Un bilan positif
Pour Hassan Salami, un édile casablancais de Hay Hassani, l'arrivée de Mhidia à la tête de la ville a sauvé cette dernière du chaos dans lequel elle vivait à cause d'une gestion du conseil communal peu soucieuse des problèmes des Casablancais. «Aujourd'hui, seul le dossier d'expropriation figure parmi les priorités de ce conseil et nous avons le sentiment que ce dernier s'est transformé en agence immobilière», nous a-t-il confié. Et de poursuivre : «L'équipe dirigeante de la ville est actuellement incapable de gérer la ville et ses composantes s'entretuent tout en empêchant l'opposition d'assumer sa responsabilité.
Cela a provoqué une sorte d'anarchie et de désordre dans la gestion de la ville comme en témoigne la hausse du nombre des sessions au niveau des arrondissements casablancais pour délibérer sur les dossiers qui intéressent ces derniers. Tel est le cas de l'arrondissement de Sidi Belyout qui a tenu 7 sessions, une première dans les annales du Maroc contemporain. Tel est le cas aussi des arrondissements d'Aïn Sebaâ (3 sessions) et de Hay Hassani (3 sessions). D'autant que les postes relatifs à la présidence des commissions ne sont pas attribués selon le mérite et les compétences ou au moins selon l'expérience des élus, mais souvent le choix est guidé par la logique de loyauté partisane et des intérêts. Bref, il y a une propagation de la rente et une dilapidation des derniers publics et l'arrivée du nouveau wali n'est pas un hasard ».
De son côté, Larbi Ryad, journaliste spécialiste de la gestion locale et fin connaisseur des arcanes des politiques au niveau de la ville de Casablanca, estime que le nouveau wali a insufflé une dynamique dans la ville à l'inverse de l'ancien wali Ahmidouch dont le mandat a été marqué par une certaine inertie qui a touché plusieurs secteurs. Selon ce journaliste, le bilan de Mhidia est positif et peut être résumé dans la libération et la récupération du domaine public. Et notamment la redynamisation de plusieurs dossiers suspendus et leur adoption par les trois conseils de la ville. «Il s'agit là d'une première dans les annales des conseils élus au niveau de tout le Maroc », précise-t-il. Et d'ajouter que le nouveau wali accorde plus d'attention aux projets Royaux cités dans le programme de développement de la ville 2015/2020 et tente d'opérationnaliser le contenu du discours Royal de 2013 concernant la ville de Casablanca dont le propos a été d'opérationnaliser la justice spatiale entre les quartiers et les arrondissements de Casablanca.
Même évaluation de la part de ce cadre du ministère de l'Intérieur, qui nous a confié, en sollicitant l'anonymat, que le nouveau wali a donné un coup de fouet aux problèmes non résolus et aux projets ralentis ou en suspension. Notamment les grands projets structurants. « Il suffit d'un coup de fil de sa part ou d'une visite inattendue pour qu'un problème soit résolu ou pour qu'un projet reprenne vie. Mais, la plupart du temps, il est sur le terrain et en confrontation de la réalité de la ville. On se demande d'où il puise cette énergie pour être au four et au moulin ».
La méthode forte
Pourtant, la méthode de travail de Mhidia fait débat. Car si certains apprécient ses coups de force, d'autres considèrent ses manières comme une atteinte à la démocratie locale et une remise en cause des prérogatives des institutions. Selon Larbi Ryad, les avis concernant la nomination du nouveau wali divergent : ceux qui sont pour la méthode et la vision de Mhidia et cette position, ajoute-t-il, peut être expliquée par le fait que ces édiles s'estiment impuissants et coincés du fait qu'ils ont peu ou prou de pouvoir pour opérer un changement effectif au niveau de leur ville. Et que la cité a besoin d'un super-wali doté de prérogatives importantes et capable de dépasser les conflits partisans et les intérêts personnels.
A l'inverse, poursuit-il, d'autres estiment que le nouveau wali doit se limiter à ses missions initiales et ne pas s'immiscer dans les affaires des institutions élues. Selon eux, chacun doit exercer ses fonctions selon les dispositions des lois en vigueur tout en respectant ses attributions législatives. D'autant que le wali a pour mission d'assurer la coordination des activités déconcentrées et leur bon fonctionnement et de veiller au contrôle sous l'autorité des ministres concernés.
Pour notre interlocuteur, le nouveau wali est un homme enthousiaste et a même un excès d'enthousiasme et c'est cet excès qui provoque certaines erreurs de jugement et de pratique comme c'est le cas du dossier des marchands ambulants qui a été géré, selon notre source, par la force et sans mettre en place ni les moyens pour poursuivre les contrôles à long terme, ni une alternative apte à éradiquer ce problème.
D'autant que l'action de Mhidia se concentre aujourd'hui uniquement au niveau des périphériques de la ville et l'énergie et l'enthousiasme affichés lors des opérations de libération du domaine public ne touchent pas certaines zones de la ville comme c'est le cas des grands hôtels et restaurants alors que parmi ces derniers, il y a certains établissements qui ne s'acquittent pas des taxes communales ou qui n'ont pas les autorisations nécessaires. « Nombreux sont les dossiers épineux sur lesquels Mhidia n'a pas encore mis la main dessus, comme, entre autres, les terrains de foot de proximité ou les marchés communaux. Il y a aussi la question des ressources financières de la ville estimées à 2.000 milliards de centimes non encaissés alors que la ville contracte des dettes », a-t-il lancé.
Notre cadre de l'intérieur critique de son côté une manière un peu forte et parfois basculante du nouveau wali dans ses contacts avec les présidents des arrondissements ou certains fonctionnaires communaux. « Pas mal de fois, des élus se sont sentis gênés ou embarrassés. Idem pour certains gouverneurs. Ils se sentent comme des exécuteurs au service du nouveau wali et non comme des décideurs dans la ville », nous a-t-il indiqué.
Une autorité mais pas hiérarchique
Abdelghafour Aouad soutient dans sa thèse intitulée : « L'impact du processus de décentralisation au Maroc sur le rôle des walis et gouverneurs dans la mise en oeuvre et la coordination des politiques publiques », que « les walis et gouverneurs ont une compétence de principe à l'égard d'une généralité de matières ». Selon lui, « ce sont des autorités d'administration générale à l'inverse des autres chefs des services déconcentrés qui ont des missions techniques spécifiques (éducation, santé, agriculture, urbanisme, etc.).
Il précise, cependant, que « leurs attributions ont été fixées par les différentes Constitutions successives du Royaume, ainsi que par d'autres textes, notamment le Dahir portant loi n° 1-75-168 du 15 février 1977 relatif aux attributions du gouverneur et les lois fixant l'organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales ». S'agissant de leurs attributions fondamentales, le chercheur distingue quatre fonctions : la représentation de l'Etat, le maintien de l'ordre public, la coordination des services déconcentrés de l'Etat au niveau territorial et des missions auprès des collectivités territoriales.
En outre, il explique que « la mise en place de la décentralisation au Maroc a été marquée par une tutelle renforcée de l'Etat sur les collectivités territoriales. Qu'il s'agisse de la décentralisation communale, provinciale et préfectorale ou régionale, le législateur a constamment maintenu l'exercice de la tutelle sur les actes des élus et sur les délibérations et les décisions des conseils ». D'après lui, « ce choix s'explique naturellement par le fait que la politique de décentralisation, au sens moderne, demeure finalement relativement récente au Maroc et ne saurait être aussi développée que dans les pays où sa pratique remonte à plus d'un siècle».
Il ajoute que la réforme de 2015 qui met en oeuvre la libre administration des collectivités territoriales a induit deux impératifs pour l'Etat ; d'une part, elle renforce les compétences décisionnelles et exécutives des conseils élus, notamment pour les régions, préfectures et provinces, et d'autre part, elle met en place un système de contrôle adapté garantissant la sécurité juridique et les intérêts nationaux.
«L'exécution et le suivi de la mise en oeuvre de ces mesures ne pouvant être pilotés au niveau central, le représentant de l'Etat au niveau territorial a été chargé de ces nouvelles missions», a-t-il observé.
Rachid Meftah, ancien agent d'autorité, rappelle, de son côté, que l'expérience du poste de wali a débuté à Casablanca avant une généralisation de cette expérience à Rabat et par la suite à Fès et Meknès. Et il a fallu attendre la mise en place des 12 régions pour avoir 12 walis.
«Le wali est souvent gouverneur d'une préfecture et a pour mission de coordonner l'action des préfectures qui constituent la région. Ce rôle de gouverneur a donné avec le temps plus de légitimité au wali pour endosser, dans la pratique, le costume de chef des gouverneurs dans sa région », a-t-il expliqué. Et de préciser : « Mhidia a déjà démontré ses compétences lors de sa première expérience à Témara où il a montré une personnalité dynamique, entreprenante, omniprésente sur le terrain, intégrée et bien initiée au niveau des travaux publics vu sa formation en tant qu'ingénieur.
Et aujourd'hui, il se présente comme un anti-exemple de l'ancien wali de Casablanca Ahmidouch connu par son inactivité et son retrait dans son bureau. C'est sa rigueur et son intransigeance notamment concernant le respect des délais des projets qui créent des tensions. Mais, il faut, cependant, noter que l'actuel wali exerce ses prérogatives selon les textes de lois en vigueur et dans le cadre de l'autorité de la tutelle. D'autant qu'aujourd'hui un président de commune ou gouverneur peut se révolter contre tout ordre donné par le wali puisqu'il ne représente pas une autorité hiérarchique.».
L'histoire se répète-t-elle ?
Pour un bon nombre de Casablancais, Mhidia est en train de rééditer l'expérience menée il y a quelques années par Driss Benhima. Selon eux, beaucoup de points rapprochent les deux expériences. Toutefois, nombreux sont les observateurs qui remettent en cause cette comparaison. Rachid Meftah fait partie de ce camp qui pense que la parenthèse Benhima s'est vite fermée puisque son projet pour la modernisation et la promotion de la ville a été à l'opposé de la culture de la société locale et a été mené souvent dans le non-respect des lois. Même son de cloche de la part de Larbi Ryad qui estime que la différence entre l'expérience de Benhima et Mhidia réside dans le fait que le premier a été nommé dans un contexte particulier, à savoir celui de la lutte contre l'obscurantisme et la volonté de l'Etat d'éradiquer les ressources de l'intégrisme religieux.
« Par contre, Mhidia arrive dans un autre contexte marqué par un programme Royal de développement et le choix de transformer la ville de Casablanca en cité de finance et des affaires ainsi que l'établissement d'équilibre entre l'ensemble des quartiers de Casablanca et la lutte contre la concentration. D'autant plus que le contexte actuel permet plus de moyens financiers et assure plus de marges pour le travail du wali ».