Madagascar: Christianisme contemporain - La farandole du politico-religieux à Madagascar

Les temps actuels semblent exiger un dépoussiérage du religieux : le religieux et le quotidien ? Le religieux et la politique ? Le religieux et l'histoire ? Le religieux et le fait de s'enrichir ? Le religieux et les lois juridiques, etc. Tant de questionnements sur la mise en place d'une réelle dynamique dans la culture politique, la Constitution qualifie l'Île Rouge de pays laïc. Dernièrement, avec les prémices d'un intégrisme, surtout chez les « sectes » chrétiennes, le religieux tente de reprendre une place incontournable dans la sphère publique et politique.

Jamais depuis l'indépendance de Madagascar en 1960, le religieux ne s'est autant adossé à l'imagerie politique. Tout le pays se souviendra de ces exorciseurs et exorciseuses, avec robes et coiffes blanches, menant les foules durant les plus récentes crises politiques. Celui qui chasse l'autre, Marc Ravalomanana avec Didier Ratsiraka (2002), Andry Rajoelina avec Marc Ravalomanana (2009), investissait ainsi leur bras de fer politique d'une guerre entre le bien et le mal. Manichéen et primitif, de quoi rassasier la masse suiveuse, dans un pays où le jour du Seigneur rend certains quartiers de la capitale léthargiques le dimanche.

Rien de mieux que des dévots survoltés vociférant leurs litanies afin de légitimer la prise du pouvoir ou un simple coup d'Etat par la rue. En quelque sorte, Dieu et le peuple y sont pris à témoin. Depuis, les symboles confessionnels ont réussi à s'insérer de manière diluée mais permanente dans la « dynamique politique ». « Une visibilité nouvelle » du religieux s'installe d'après les chercheurs en anthropologie de la religion, notamment le professeur Benjamin Soares, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet.

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Les exemples les plus basiques chez les politiques sont d'insérer de petites références à la Bible dans les discours. Se faire prendre en photo avec un livre saint à la main. Partager des chansons de louanges sur les réseaux sociaux, à Pâques ou à Noël. Dans ce décorum en mutation, le bloc moral et théologique du rassemblement des quatre grandes Églises au sein du FFKM (Conseil des Églises chrétiennes de Madagascar) d'avant les années 2000 s'étiole. Celui-ci a monopolisé depuis l'indépendance le discours religieux sur la politique.

Un statu quo bouleversé à partir des années 90. La « démocratisation à outrance » initiée par le Zafy Albert (président de la République de 1993 à 1996) a servi de boulevard pour ceux ou celles qui se disaient « prophètes ». Ce professeur en médecine pensait démontrer au monde que la nation « verte, blanche et rouge » adopte pleinement les valeurs politiques de l'Occident. D'ailleurs, la fin de la guerre froide (1991) a fini d'entériner tout anti-américanisme dans le monde. Ainsi, des noms de personnes témoignant avoir discuté directement avec les archanges, le Christ, Marie, Saint-Pierre et toute la bande ont foisonné.

Gourous auto-plébiscités

Ces personnes jurent avoir hérité de dons spirituels après avoir eu des visions. Leurs discours décomposent d'un coup les certitudes chrétiennes. Premier réflexe des grandes instances morales : regarder de haut, voire humilier le potentiel de ces prédicateurs. De prêche en prêche, ces derniers arrivent à rassembler de plus en plus d'ouailles. S'invitent sur les plateaux télévisés privés. Font des mises en scène spectaculaires de leur foi. Deux camps majeurs dominent le milieu. « Apokalypsy », une Église évangélique fondée par André Christian Dieu Donné Mailhol. Et plus tard « Shine », menée par le couple Patrick et Fara Andrianarivo.

Elles totalisent plus de 2 millions d'adeptes et plusieurs succursales sur tout le territoire. Un vent nouveau sur la religion s'est bel et bien levé. À Madagascar, l'avènement des « sectes » semble aller à l'encontre de ce qu'affirme Daniel Vidal dans la revue « Sociologie du travail » (publication de 1982). Lui qui disait, « il n'est pas vrai que les sectes naissent de la décomposition des grandes Églises... elles surgissent contre les mouvements prophétiques, qui apparaissent dans les moments de débâcle sociale et de saccage des cultures, de religion, de sens, pour intérioriser, exprimer toute cette dissolution et se faire porteur de non-sens ». En Europe, les premières sectes exigeaient un retour à l'application littérale des Saintes Ecritures face aux bouleversements sociaux : libéralisation sexuelle, avortement, individualisme exacerbé, etc.

Depuis 2010, s'opèrent au sein de ces nouvelles « industries à prière et aumône », le prophétisme accompagné d'un usage distillé de symboliques capitalistes. Parfois sulfurisé par les théories du complot, des discours libéraux ou des formes d'analyse transactionnelle. Avec des adeptes d'un nouveau genre : la génération Z. Hyper connectée et souvent bercée dans un terreau familial chrétien, elle manque de repères historiques.

Mal dans sa peau à cause du choc des générations, elle prône sans complexe la chrétienté en valeur identitaire. En chef d'orchestre, la « dépression collective » due à une grande pauvreté de Madagascar. Cette génération des réseaux sociaux et de la transparence, du « savoir accessible à tous », représente un potentiel électoral immense. Les chiffres nationaux sur ce vivier d'électeurs et électrices sont sûrement entre les mains de l'administration. Puisque les derniers recensements effectués avant les élections de 2023 ont exigé la mention de la religion. Quand le nom du Créateur sert de lubrifiant pour faciliter la pénétration de la chose politique.

Emprunts assumés

À tort ou à raison, le FFKM, rassemblant l'Église protestante, catholique, luthérienne et adventiste, fût souvent qualifié de système rigide et archaïque. Les tendances montrent cependant que les quatre grandes religions rassemblent toujours la majorité des croyants malgaches. Tout d'abord, 85% de la population est chrétienne. Des chiffres dominés par les catholiques et les protestants. Les statistiques sur la démographie des sectes à Madagascar sont encore peu fiables. La confiance des citoyens dans ce quatuor historique est maintenue malgré tout. La déchristianisation de l'île rouge ne sera pas encore pour ce siècle.

Cela est sans doute dû à une émergence d'une nouvelle élite issue de ces obédiences. Celle-ci arrive à assimiler les bouleversements sociaux et sait se faire entendre des hautes instances chrétiennes. Certaines méthodes des sectes, comme décrasser le discours confessionnel de ses certitudes sociales, de son paternalisme ringard, tout en gardant le « coeur de la foi », sont reprises par les quatre Églises historiques. La course à cette « nouvelle visibilité » est lancée.

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