Le « Fianar Reggae Festival » se tiendra du 29 au 31 mars cette année à Fianarantsoa. Le chef de file de l'association Sarondra, organisatrice de l'évènement, Tanjona Rabearivony évoque ce festival misant sur l'histoire commune régionale.
Midi Madagasikara : Dix ans de « Fianar Reggae Festival », la question qui me vient à l'esprit en premier lieu est la suivante : pouvez-vous nous dresser un bilan ?
Tanjona Rabearivony : Le Fianar Reggae Festival est devenu un événement phare dans le paysage festivalier de Madagascar, étant l'unique plate-forme dédiée à ce genre de musique. Le bilan de ces 8 dernières éditions est plus que satisfaisant, nous avons su aller au-delà du reggae, beaucoup de personnes et d'institutions diverses nous ont octroyé leur confiance durant ces dix ans d'existence. Beaucoup de bénévoles ont rallié l'organisation et les Fianarois se sentent de plus en plus impliqués dans le rayonnement que le festival leur offre.
MM : Avoir osé parier sur le reggae et en faire un festival... Racontez-nous un peu l'histoire du festival, la genèse, les moments marquants, les déceptions, les victoires, etc. ?
TR : L'idée de cet événement, car à la base nous pensions juste à faire un événement ponctuel, est né autour d'une petite table lors d'un apéro. Nous nous étions rendu compte qu'on avait tous les éléments réunis pour monter un événement. Nous l'avons tout bêtement baptisé festival car il se déroulait sur trois jours et sur différents sites. Nous étions loin de nous imaginer que nous devions en assumer les conséquences et le refaire tous les ans. Pour ma part, le moment marquant est sans aucun doute l'édition de 2017, ou nous avions obtenu un financement du projet Dinika mené entre autres par l'Union européenne.
Cette édition nous a permis de suivre les normes financières d'un projet de grande envergure, nous avions dépensé environ 70 000 euros en une dizaine de jours à travers des résidences de création, et des concerts en dehors de Fianarantsoa, Antananarivo et Antsirabe ont eu leur dose de reggae cette année-là. Quant à la déception, seul l'épisode de la Covid est dans cette liste. Déception surtout car nous avions mis pas mal de mois à la préparation et qu'au dernier moment, nous étions obligés d'annuler. Notre plus grande victoire est le fait que nous soyons encore présents sur la scène des festivals malgaches et de l'océan Indien.
MM : Pourquoi avoir choisi Fianarantsoa ?
TR : Tout simplement parce que les fondateurs du Fianar Reggae Festival vivaient à Fianarantsoa à l'époque, Christian est même originaire de Fianarantsoa. En second lieu, il y a aussi le fait que la ville de Fianarantsoa avait besoin d'un événement qui atteste de son dynamisme culturel et de sa capacité à accueillir un événement d'envergure.
MM : Comment choisissez-vous les artistes ?
TR : Les artistes sont souvent sélectionnés par les membres du bureau de l'association Sarondra, organisatrice du festival depuis 2014. Une année nous avions aussi fonctionné par appel à candidature, ce qui nous a permis de découvrir des talents cachés. Nous les choisissons surtout en fonction de la qualité de leur travail et des efforts qu'ils fournissent dans le milieu du reggae. Durant les trois premières années du Fianar Reggae Festival nous avions même programmé d'autres genres musicaux qui avaient certaines affinités avec le reggae.
MM : Pour cette édition, la présence de Jah Fazon, déjà annoncée dans la programmation, est quelque peu problématique... Comment prenez-vous cette situation en tant qu'organisateur ?
TR : Jah Fazon fait partie de ces rastas mauriciens qui mènent un réel combat à travers leur quête identitaire, il est un activiste. Et ce combat-là les amène à être en désaccord avec les politiques menées dans cette île soeur. Malheureusement, les autorités mauriciennes n'ont pas accordé à Wendy Ambroise l'honneur de représenter son pays lors de cette édition 2024. Rappelons au passage qu'il a déjà participé à une édition précédente.
La problématique vient du fait qu'un artiste de Maurice ne pourra être là, uniquement du fait de ses revendications pour l'acceptation de sa culture. Les regards et les comportements à l'égard des Rastas évoluent difficilement, les préjugés et les discriminations n'ont pas totalement disparu. L'universalité et la solidarité des cultures indianocéaniques seront tout de même représentées par Wubani Spirit de Mayotte. Notons aussi que nous avons déjà accueilli lors des éditions précédentes, d'autres artistes de La Réunion, Maurice, Mayotte, un sound-system belge : Mighty Patch Sound System...
MM : Le reggae a-t-il encore sa place dans le paysage musical malgache, c'est-à-dire apporter sa contribution dans le vivre ensemble, l'amélioration du quotidien des Malgaches ?
TR : Le reggae a toute sa place dans le paysage musical malgache. Le FRF est un événement à fort impact auprès d'une communauté engagée et passionnée. C'est un événement responsable et porteur de valeur forte. Il favorise l'échange et la compréhension entre ces personnes. Le public du FRF regroupe toutes les catégories et couches sociales, le public regroupe tous les âges... Il a aussi pour effet positif de stimuler les activités économiques locales.
MM : Qu'est ce qui fera la particularité de cette édition, qui pourrait encore cadrer avec la période post-Covid ?
TR : La première particularité de cette édition, nous accueillerons le premier sound-system malgache. C'est un sound-system qui existe depuis plusieurs années maintenant. La particularité cette année c'est qu'ils ont créé leur propre sound-system, entendez par là, leur « Mur de Son », c'est-à-dire leur propre système de sonorisation mobile, permettant de diffuser la musique à une échelle massive pour une expérience sonore immersive. Sinon pour revenir à la Covid, certes, elle a mis un stop. Je pense que nous avons oublié cette période, nous avons su la surmonter, surtout qu'avant la Covid, nos événements étaient totalement en entrée libre. Nous sommes maintenant obligés d'instaurer une entrée payante car nos charges sont assez conséquentes et nous avons très peu de soutien de la part des grandes entreprises nationales, et encore moins de la part des autorités étatiques. Notons cependant que les institutions et l'administration « fianaroises » nous ont toujours soutenus, que ce soit auprès de la municipalité, de la région, ou des services de la police nationale avec qui nous travaillons.
MM : Le reggae est une musique avec un versant politique déclaré, les exemples sont nombreux dans la discographie internationale de cette musique, « Fianar Reggae Festival » prend-il en compte cette dimension ?
TR : Le reggae véhicule des messages de paix, de justice, de tolérance et d'unité. Il contribue à renforcer un esprit de solidarité et de respect mutuel. Il est évident que cette dimension fait partie intégrante de nos objectifs. Nous avons toujours porté une attention particulière aux messages délivrés par tous les participants. Nous ne pratiquons pas la censure mais nous privilégions avant tout les artistes oeuvrant dans le « conscious », très peu chez nous le reggae de loisir et d'entertainment. Nous sommes conscients que nous sommes un porte-voix pour les artistes, envers le public. Le public qui vient au Fianar Reggae Festival est très réceptif.
MM : Pour les jeunes artistes en quête de scène, comment peuvent-il y participer ? Et pensiez-vous pouvoir atteindre ces dix ans, voire les dépasser ?
TR : En 2013, nous étions deux au front, au fil des ans, plusieurs personnes ont rallié nos rangs et nous sommes actuellement une bonne vingtaine de personnes à nous activer derrière le festival. Je pense que nous avons atteint ces dix ans et que le festival n'est plus une histoire de nom sur une liste de bénévoles ou autres, il est devenu un navire sur lequel il y aura toujours un équipage. Le Fianar Reggae Festival est intemporel.