Ile Maurice: Le DPP argue avoir le dernier mot

L'affaire opposant le commissaire de police (CP), Anil Kumar Dip, à Bruneau Laurette et à la magistrature de Moka, dans le cadre d'une demande de prolongation du délai légal pour une révision judiciaire de la décision, a été débattue lundi 25 mars devant les juges Aruna Devi Narain et Raj Seebaluck.

Le Directeur des poursuites publiques (DPP), Me Rashid Ahmine, qui a plaidé en personne, maintient que le commissaire de police avait la possibilité de contester la décision du tribunal de Moka dans le délai des 7 jours prescrits par la loi mais qu'il ne l'a pas fait.

«Le CP était déjà déterminé à contester cette libération conditionnelle. Au lieu de donner une conférence de presse et d'émettre un communiqué, pourquoi n'a-t-il pas agi promptement en informant la cour qu'il comptait demander une révision judiciaire ? Est-ce que le CP a été mal conseillé ?», a argumenté Me Ahmine.

Les juges ont mis en délibéré leur verdict, une décision qui pourrait se faire attendre car ils comptent se référer au jugement de la Cour suprême sur les pouvoirs constitutionnels du CP et du DPP, une décision qui a aussi été mise en délibéré après les débats le 18 mars dernier.

Me Ahmine a bien souligné que le CP disposait de sept jours pour déposer une contestation à partir de la décision du bureau du DPP de ne pas contester la décision de la cour de Moka.

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Or, pour le DPP, il est clair que si le CP avait des raisons pour justifier sa demande d'extension, il aurait dû faire part de ses justifications dans sa demande. Or, dans son affidavit, il n'y a rien en ce sens.

Aucune obligation envers le CP

Bien que le CP soit responsable du Law and Order dans le pays, ses pouvoirs constitutionnels ne le placent pas au-dessus des lois. Me Ahmine a fait référence à un jugement antérieur de la juge Aruna Devi Narain, qui évoque la discrétion de la cour pour accorder une extension dans l'intérêt de la justice. «Where does the interest of justice lie in the present matter? There is no interest of justice in this matter in view of the liberty at stake», a souligné Me Ahmine.

Ce dernier a insisté sur le fait que cette demande ne peut être une exception car il y va des droits constitutionnels d'une personne à la liberté et la cour ne pourra trancher contre ces principes.

Me Ahmine a aussi fait ressortir qu'une lettre avait été envoyée au CP avant l'audience de la cour de Moka, le 27 février, pour l'informer de la décision du bureau du DPP de ne pas contester cette décision. Or, le CP dit avoir reçu cette lettre bien après, soit après l'audience de la cour.

La juge Narain a demandé au DPP s'il n'était pas plus approprié d'adopter une ligne de communication directe avec le CP afin que les informations passent plus vite, au lieu d'envoyer une lettre. Ce à quoi le DPP a répondu en disant qu'un DPP n'a aucune obligation envers le CP concernant les décisions de liberté conditionnelle.

Bail Act

«Nous avons procédé sur la base que le CP n'a aucun droit de déposer une révision judiciaire de cette décision. Allons-nous dire que le CP a été pris par surprise, ce qui n'est pas le cas. Il avait tout le temps de faire part de son objection. Il y avait le représentant du CP en cour et il aurait pu, à ce moment-là, faire part de sa décision, vu que ce dernier était bel et bien déterminé à contester la décision d'accorder la liberté conditionnelle», a fait ressortir Me Ahmine.

La juge Narain a aussi voulu savoir si le DPP avait fait savoir au CP qu'il n'a pas le droit de demander une révision judiciaire. Me Ahmine a argué que cela a toujours été la pratique et qu'il n'y avait aucune raison de le faire.

«C'est le bureau du DPP qui a le dernier mot. C'est une question de loi. La décision du DPP de contester ou pas une décision repose sur des aspects légaux à partir du Bail Act. S'il y a des raisons suffisantes pour déposer une contestation, ce n'est pas là une question d'enquête ou d'arrestation mais les droits constitutionnels d'une personne à la liberté. Ces droits ne peuvent être laissés au CP. D'ailleurs, c'est pour cela que la Constitution donne ses pouvoirs uniques au DPP sous la section 72», a soutenu Me Ahmine.

Il a expliqué que même si dans certains cas, le CP souhaite contester, il ne peut le faire sans consultation avec le DPP. Le DPP s'est aussi attardé sur les intentions des législateurs avec l'introduction de la Bail Act au Parlement en 1999.

Faisant référence aux allocutions de l'Attorney General d'alors, Me Razack Peeroo, le DPP a fait ressortir que le droit de demander le gel d'une décision d'accorder la liberté conditionnelle revient uniquement au DPP. «Si le DPP ne dépose pas une contestation, le CP ne peut pas le faire par la porte dérobée», dit-il.

Me Ahmine a aussi souligné le fait que bien souvent dans des demandes de révision judiciaire, la cour s'intéresse au développement de l'affaire en question pour savoir si l'enquête a été bouclée et les charges formelles logées.

Il en ressort que bien que les enquêteurs aient indiqué au tribunal de Moka que l'enquête allait être bouclée en quatre mois, cela n'a toujours pas été fait. L'enquête avait été complétée une première fois et le dossier envoyé au bureau du DPP. Ce dernier a renvoyé le dossier à la police pour une enquête complémentaire.

Me Shakeel Mohamed, avocat de Bruneau Laurette, a aussi plaidé dans le même sens que le DPP, rappelant toutefois que son client est victime d'un conflit institutionnel et estime que la cour aurait dû trancher sur cette question depuis longtemps pour la bonne administration de la justice.

Il insiste sur le fait que son client ne peut jouir pleinement de ses droits en raison de cette affaire et qu'un an après, on veut toujours le remettre en prison. Il a insisté aussi sur le fait que le CP avait son représentant au tribunal de Moka le jour où Bruneau Laurette avait été libéré et avait même fait part de son accord pour qu'il puisse se présenter au poste de police de Goodlands au lieu de celui de Grand-Gaube, et qu'à aucun moment, il n'a fait part de la décision du CP de contester cette libération conditionnelle.

Pour Me Mohamed, la demande du CP a été logée bien en dehors du délai des sept jours et il n'a pu expliquer pour quelles raisons. Au nom du CP, c'est toujours Me Paul Ozin, King's Counsel, qui a plaidé. Il s'est attardé sur le fait qu'il y a eu une communication tardive du DPP au CP sur sa décision et que cela lui a donné très peu de temps pour agir, d'où la raison pour laquelle sa demande a été déposée bien après. Il estime que le CP se fiait à la décision du DPP et que ce dernier n'a pas coopéré.

45 minutes chrono pour convaincre

Lors de cette audience, un fait assez rare a captivé l'attention des observateurs : les avocats présents se sont vu allouer seulement 45 minutes chacun pour leurs plaidoiries. Cette contrainte de temps inhabituelle a rapidement engendré un certain stress parmi les avocats, conscients qu'ils devaient se conformer strictement au chronomètre. À chaque dépassement, la juge Narain intervenait promptement, rappelant aux plaideurs que leur «time is up». Dans ce contexte tendu, Me Ahmine a meme soulevé une requête : il a demandé aux juges s'il pouvait, en cas de non-dépassement du temps imparti lors de sa plaidoirie, aborder d'autres points qu'il jugeait pertinents.

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