Dans cette interview, le vice-président de la Société financière internationale (Ifc, en anglais), Sergio Pimenta, aborde les grands moments de sa mission à Dakar, du 4 au 6 mars 2024. Cette filiale de la Banque mondiale dédiée au secteur privé ambitionne d'investir 500 millions de dollars (environ 300 milliards de FCfa) au Sénégal en 2024. Les secteurs ciblés sont l'agriculture, l'agro-alimentaire, le numérique, les services, etc.
Vous avez séjourné au Sénégal du 4 au 6 mars 2024. Quel a été l'objet de cette visite ?
Je suis venu au Sénégal, car c'est un pays important pour la Société financière internationale. Nous sommes présents au Sénégal depuis de nombreuses années. Nous avons fait un bon nombre d'opérations et d'initiatives ici. Mais il est temps de les accélérer et d'élargir le champ de nos interventions. Nous sommes depuis quelques années sur l'élargissement de nos opérations afin d'avoir beaucoup plus d'impacts dans le secteur agricole, par la transformation et la création de valeur ajoutée.
Je suis retourné dans la Vallée du fleuve Sénégal pour voir comment nous pouvons aider le secteur agricole. J'ai eu l'opportunité de visiter une entreprise que nous soutenons financièrement et qui fait la transformation de l'oignon, mais nous voulions également voir d'autres entreprises à soutenir avec de nouveaux produits, de nouvelles approches. Je suis revenu avec beaucoup d'optimisme et les besoins sont clairement identifiés. J'ai eu une visite très intéressante, j'ai rencontré un bon nombre de partenaires. Et nous allons, avec nos équipes, accélérer la mise en oeuvre de nos programmes.
L'agriculture et l'agro-alimentaire sont, aujourd'hui, des orientations prioritaires de la Sfi. Comment comptez-vous accompagner les acteurs à adresser les principaux défis tels que l'accès aux financements ?
C'est un secteur qui a un très fort potentiel, qui présente aussi un certain nombre de défis à relever. Nous avons une approche qui s'appuie sur plusieurs axes qui vont intervenir en parallèle. Tout d'abord, nous allons continuer à travailler avec la Banque mondiale. Elle a un vaste projet de financement dans la Vallée du fleuve Sénégal. Nous faisons partie de l'équipe. Et nous travaillons avec eux pour définir les angles du secteur privé. Nous allons faire des financements directs pour soutenir les entreprises. Nous sommes en train de déployer des instruments intéressants dans le financement pour les agriculteurs en utilisant notamment les nouvelles technologies.
Il y a maintenant un nombre important d'entreprises qui ont des produits destinés à l'agriculture en utilisant l'économie numérique, l'accès à l'information, l'accès aux données. Cet angle permet de transformer l'économie agricole et aux agriculteurs d'avoir beaucoup plus de connaissances et de plus de connexion avec les marchés. Nous sommes capables de travailler là-dessus. Nous avons lancé une initiative panafricaine dont le projet a été fait au Sénégal. Nous allons nous associer avec les institutions financières. J'ai rencontré plusieurs dirigeants de banques et de systèmes financiers décentralisés à Dakar. Nous allons travailler avec eux pour adresser ce problème qui est l'accès aux financements. C'est l'un des points les plus importants.
Dans cette zone, les productions souffrent également de pertes post-récoltes à cause de l'absence d'infrastructures de stockage. Comment allez-vous accompagner les acteurs à faire face à cette difficulté ?
J'ai visité des entreprises de production d'oignon. Quand j'ai vu les chiffres concernant les pertes post-récoltes, elles sont énormes. L'oignon ne se conserve pas au-delà de quelques mois. Il faut voir comment réduire les pertes. Il y a d'abord une question d'organisation de la filière. Les investissements sont lourds pour mettre en place des infrastructures de stockage. Une seule entreprise ne peut pas le faire.
Avoir une filière bien organisée permet une synergie d'actions et des investissements plus efficaces. J'ai rencontré une union d'agriculteurs dans le secteur de l'oignon qui réunit 1021 femmes. C'est en travaillant avec ce genre d'organisations qu'on peut aider à avoir un effet d'échelle qui permet de résoudre les problèmes. Nous sommes tout à fait partant pour soutenir la chaîne de valeur. Et il faut penser à la chaîne froide pour certains produits. En travaillant avec nos experts, la Banque mondiale et les acteurs locaux, nous pourrons réduire les pertes post-récoltes.
Dans le Pap3 du Pse, l'État du Sénégal s'attend à une forte contribution du secteur privé. Comment comptez-vous accompagner cet important segment de l'économie sénégalaise ?
Aujourd'hui, quand on regarde le monde dans lequel nous vivons, les gouvernements doivent faire face à des besoins de populations de plus en plus importants, qui exigent des financements lourds. Les gouvernements, au Sénégal comme dans la totalité des pays du monde, n'ont pas les moyens financiers nécessaires. Le secteur privé joue donc un rôle très important. Il y a l'apport de capital pour développer des projets d'intérêt public, mais qui peuvent être gérés de façon efficace par le secteur privé. L'autre aspect important à retenir, c'est que le secteur privé, historiquement, est plus agile et plus efficace que le secteur public. Cela permet d'avoir des solutions plus disciplinées, plus soutenables dans la durée et qui n'alourdissent pas les budgets des États.
Il y a donc beaucoup de programmes qui peuvent être développés par le secteur privé et aussi un bon nombre pouvant être développés par le partenariat public-privé. C'est un axe qu'on n'explore pas suffisamment. Et ça devrait se faire. Le Sénégal a pris une orientation dans le Plan Sénégal émergent que nous du Groupe de la Banque mondiale soutenons fortement. Le Sénégal a un secteur privé très dynamique, un secteur privé compétent qui a les moyens de mettre en oeuvre un bon nombre de projets structurants pour le pays et qui auront un impact durable.
On a vu que votre groupe a récemment soutenu Sococim à travers le groupe Vicat. Quelles sont vos politiques pour le secteur de la cimenterie et l'industrie en général ?
Nous avons soutenu, au Sénégal, plusieurs entreprises du secteur de la cimenterie. C'est un produit très important pour le développement du pays. Sans ciment, il n'y a pas de construction. Maintenant, développer la production locale permet de diminuer les coûts de transport. Cela a beaucoup d'impacts positifs sur l'économique. Tous nos programmes de soutien au ciment au Sénégal ont été mis sous un angle environnemental puisque nous avons soutenu la mise en place de nouvelles technologies qui permettent de réduire les impacts négatifs d'une industrie. C'est un ciment bas carbone qui est minime.
C'est un secteur où nous avons réalisé des investissements assez importants au Sénégal. Nous allons continuer à construire l'industrie, la transformation, soutenir l'industrie agroalimentaire et les services, parce que ce sont les industries qui créent de la valeur dans un pays grâce à la transformation sur place. C'est ce genre de projets que nous voulons accompagner afin de créer d'impacts et plus d'emplois.
La Sfi s'intéresse également beaucoup aux industries créatives. Quel accompagnement prévoyez-vous notamment pour les jeunes ?
Nous avons réalisé, il y a deux ans, avec notre Directeur général, Makhtar Diop, vu sa connaissance du terrain et des réalités économiques africaines, l'importance des industries créatives ? (le sens de la phrase ?). Ce sont elles qui créent des emplois, de la richesse locale, mais également du contenu. Les jeunes en Afrique ont énormément de talent. Alors, si l'on arrive à soutenir ce genre d'entreprises, on aura à la fois un impact économique et culturel. C'est important dans un contexte où l'Afrique est en train de se transformer, de grandir et de créer une classe moyenne de plus en plus importante.
Nous ne voulons pas oublier cette dimension, même si nous sommes sur le développement économique et social. Nous avons lancé des initiatives et fait deux ou trois financements en Afrique de l'Ouest. Ici à Dakar et à Saint-Louis, nous avons rencontré des professionnels du secteur et nous avons discuté de comment les soutenir. C'est un sujet sur lequel nous allons avancer très rapidement pour apporter des financements et contribuer au développement du pays.
À l'ère de l'intelligence artificielle, le numérique et les services deviennent incontournables. Comment comptez-vous stimuler l'entrepreneuriat dans ces domaines ?
L'économie numérique est en train de transformer le monde et l'Afrique en premier, car c'est le continent le plus jeune. Les jeunes ont une capacité à développer ce secteur grâce à leurs talents informatiques et qui se traduisent dans des projets intéressants. De notre côté, nous avons accéléré nos investissements. Durant la pandémie de Covid-19, nous avons déployé plus d'un milliard de dollars en Afrique dans le secteur du numérique.
Nous avons déployé presque le même montant l'année suivante et nous avons financé l'infrastructure numérique, c'est-à-dire, les câbles, les pylônes et les centres de données et les startups. Au Sénégal, par exemple, nous avons financé une entreprise extrêmement importante qui fait de la télé médecine et des activités. C'est ce genre d'activités que nous allons soutenir. Nous voulons augmenter notre présence dans ce secteur et de le considérer de façon globale, en partant de l'éducation. Nous nous intéressons également aux Fintech. Au Sénégal, nous avons financé, par exemple, le groupe Wave qui transforme, aujourd'hui, ce secteur au Sénégal.
À date, à combien sont estimés vos engagements au Sénégal ? Nos engagements ont fortement augmenté au cours des dernières années. En 2023, nous avons financé 354 millions de dollars dans l'agriculture, le numérique, l'accès aux financements, etc. Durant cette année fiscale (2024), qui se termine en juin, nous sommes en bonne voie pour atteindre 500 millions de dollars (environ 300 milliards de FCfa) de financements. Ce sont des montants importants pour le pays. Nous voulons soutenir les acteurs économiques pour les années à venir.
Quel objectif pour les deux ou trois prochaines années ?
Nous sommes en train de préparer notre stratégie-pays pour les trois prochaines années. Dans ce cadre-là, nous allons définir les objectifs. Mais avec le dynamisme que nous voyons au Sénégal, je pense que nous pourrons faire plus.