Cela fait deux ans, ce mercredi 27 mars, qu'a eu lieu le massacre de Moura. Pendant quatre jours, les habitants de ce village de la région de Mopti, dans le centre du Mali, ont vécu l'enfer. Une opération antiterroriste menée conjointement par l'armée malienne et le groupe Wagner a fait plus de 500 morts, majoritairement des civils. En dépit des engagements des autorités, deux ans après, l'impunité est totale.
« Plus de 500 morts », des femmes violées, des villageois torturés. Les cinq hélicoptères de l'armée malienne sont arrivés à Moura un jour de marché. Le village était bondé. Lorsqu'ils ont ouvert le feu sur la foule, avant même d'atterrir, les soldats maliens et les mercenaires du groupe Wagner ont d'abord tué « vingt civils et une douzaine de membres présumés de la Katiba Macina », du Jnim, lié à al-Qaïda, selon un rapport onusien publié l'année dernière.
Puis, les quatre jours suivants, Moura a été le théâtre de l'horreur. Les Nations unies ont publié une enquête particulièrement fouillée l'année dernière. De nombreux médias et organisations de défense des droits humains avaient également, dès les premiers jours, rapporté des témoignages effroyables. Au total, plus de 500 exécutions sommaires ont été dénoncées par l'ONU, des villageois ont été obligés de creuser des fosses communes et d'y enfouir les morts, au moins 58 femmes et jeunes filles ont été violées ou victimes de violences sexuelles, parfois collectives. Plusieurs dizaines de personnes interpelées à Moura ont été torturées par la suite.
L'armée malienne dénonce des accusations « infondées » destinées à « ternir l'image » des forces maliennes, et assure que 203 personnes auraient été tuées ce jours-là - et non 500 -, toutes « terroristes ». Une enquête a, officiellement, été ouverte par la justice militaire malienne il y a deux ans.
« Le Mali a failli à ses obligations de justice et de vérité »
Ousmane Diallo, chercheur à Amnesty International, à Dakar, est parmi les premiers à avoir documenté le massacre de Moura. Dans un rapport venant juste d'être publié par Amnesty, il apporte des précisions sur le bombardement d'Amasrakad, où des civils ont à nouveau été tués par l'armée malienne il y a dix jours. RFI avait révélé la tragédie. Ousmane Diallo dénonce également l'impunité dont bénéficient toujours les auteurs du massacre de Moura. Entretien.
Le 6 avril 2022, le tribunal militaire de Mopti avait annoncé l'ouverture d'une enquête et promis des « investigations approfondies ». Deux ans plus tard, où en est-on ?
Deux ans après, il n'y a pas d'avancée. Des témoins ont été traqués durant ces deux dernières années. Beaucoup de défenseurs des droits humains qui s'étaient impliqués dans cette affaire ont dû fuir en exil. L'État malien a failli à ses obligations de justice et de vérité par rapport à Moura, qui est l'incident le plus mortel depuis le début de la crise malienne. À notre connaissance, aucun officiel n'a été sanctionné par rapport à Moura. Il n'y a pas eu d'audition sérieuse pour les victimes. Il y a surtout eu des interpellations et des tentatives d'intimidation des victimes et de leurs parents. Donc deux ans après, malgré la gravité de ce crime de guerre, il n'y a toujours pas de justice pour Moura.
À vous entendre, c'est même l'inverse, pas de justice mais plutôt une inversion des responsabilités avec des menaces sur les rescapés ?
C'est ça qui est encore plus choquant, parce que dans le narratif du gouvernement par rapport à Moura, les témoins et ceux qui enquêtaient ont été vus comme tentant de saboter la résurgence militaire de l'armée malienne, donc c'était vu comme une tentative d'ingérence extérieure. Et dans le discours, c'est : « Les droits humains ne sont qu'un alibi pour critiquer le Mali », alors que là, de manière factuelle, on parle de 500 morts exécutés de manière sommaire, et je pense qu'il est important pour le Mali que les autorités sanctionnent les responsables de ce qui est arrivé entre le 27 et le 31 mars 2022.
Dans une étude publiée ce mardi par Amnesty, vous documentez un nouveau cas de civils tués par l'armée malienne. C'était il y a dix jours, le 17 mars, à Amasrakad, région de Gao.
L'armée malienne a tué treize personnes, dont sept enfants, à la suite d'une frappe de drone. Il y a quelque temps, c'était Amasrakad, mais il y a eu des allégations auparavant : il y a eu Ersane en novembre 2022, ou juste récemment, l'allégation de frappe contre un village dans le cercle (la commune, NDLR) de Mondoro, à Douna, qui aurait fait aussi une dizaine de victimes. Les frappes de drone s'intensifient, et le principe de distinction entre civils et militaires est rarement fait. Surtout, les populations qui sont victimes de ces bavures n'ont pas de possibilité de recours au niveau national.
Mais n'est-il pas difficile pour l'armée malienne et Wagner, dans leur guerre contre le terrorisme, d'éviter de tuer des civils ?
Quand les bavures se répètent régulièrement, c'est qu'on n'est pas dans une logique de protection des civils. Il y a des cibles légitimes pour les opérations maliennes, que ce soient les groupes armés ou leur dépôt logistique. Mais au Mali, à l'heure actuelle, on n'est pas dans une logique où le principe de distinction entre civils et militaires est fait.