Dans un contexte géostratégique dynamique mais incertain au Sahel, Bassirou Diomaye Faye succède à Macky Sall
Bassirou Diomaye Faye est désormais le nouveau visage du pouvoir au Sénégal. Agé de 44 ans, il est en passe de devenir le plus jeune président de l'histoire contemporaine de ce pays. Pour plusieurs commentateurs, il s'agit bien d'un séisme politique. Pour d'autres, il s'agit plutôt d'un tournant ou d'une rupture. Qui est donc ce nouveau président ? Quel impact aura son élection sur les relations maroco-sénégalaises ? Et quel sera l'avenir des liens stratégiques et historiques entre les deux pays ? Décryptage avec Abdellah Rami, chercheur au Centre marocain des sciences sociales, Université Hassan II (Casablanca).
Des relations profondes et stratégiques
Pour ce chercheur, le Maroc et le Sénégal entretiennent «des relations profondes, vitales, stratégiques et historiques qui datent d'avant la création de l'Etat contemporain». «N'oublions pas que le Sénégal a fait partie de l'empire marocain. Et cette relation s'est poursuivie dans le temps notamment aux niveaux religieux et stratégique. Et elle n'a jamais connu de fluctuations ou d'instabilité. A l'inverse, elle s'est beaucoup développée et le Sénégal reste le pays le plus proche au niveau des pays du Sahel. Bien plus proche que la Mauritanie», nous a-t-il rappelé. Et d'ajouter : «Nous entretenons aussi des relations religieuses via l'institution d'Imarat Al Mouminine qui est une spécificité du Royaume du Maroc à travers l'histoire et la Zaouia Tijania. A noter que même le régime algérien considère le Sénégal comme un prolongement du Maroc au sein du Sahel ».
Le réveil africain
Concernant le changement à la tête de la présidence sénégalaise, notre interlocuteur a qualifié cette mutation de «surprise» qui suscite tant de questions notamment dans une région en pleine fluctuations et marquée par une dynamique incertaine. «Il y a une sorte de «réveil africain», qui va à l'opposé des intérêts de l'ancien colon (France) et qui intervient dans des circonstances marquées par la pénétration de la Russie et la Chine dans la région, des conflits entre les alliés du NATO, le terrorisme, la précarité économique et des projets régionaux et internationaux», explique-t-il.
Et de poursuivre: «Mais personne ne sait quelle voie va emprunter ce réveil et comment il sera contrôlé par les grandes puissances régionales puisqu'aucune partie ne maîrise le rythme des changements dans la région. D'autant que les chefs de fil de ce réveil africain sont des jeunes. Cependant, il faut dire que le Sénégal n'est pas comme les autres pays du Sahel puisqu'il a profité d'une certaine protection russe. Et ce qui se passe actuellement au Sénégal est le reflet d'une dynamique démocratique saine et non d'une manipulation concoctée par l'étranger. Il s'agit bien d'un mouvement en relation avec le système politique interne ».
Un président réputé anti-Occident
En outre, Abdellah Rami considère que le nouveau président fait partie de la tendance actuelle dans la région qui représente un grand défi pour les intérêts occidentaux. « Pourtant, il reste un civil, cultivé et non un militaire comme c'est le cas pour d'autres régions du Sahel. Il a toujours été contre les intérêts occidentaux et ses promesses rejoignent celles des leaders des coups d'Etat dans le Sahel, à savoir l'abandon du franc français et la renégociation des accords concernant le pétrole et le gaz. Ce qui gênera certes les intérêts occidentaux, notamment ceux de la France qui considère le Sénégal comme l'un de ses leviers dans l'Afrique de l'Ouest», a-t-il expliqué. Et d'indiquer: «Aujourd'hui, il y a un réveil civil et populaire profond chez les nouvelles générations comme en témoignent les résultats des dernières élections au Sénégal ».
Le Maroc gagnant
Et qu'en est-il du sort des relations entre Rabat et Dakar? «Le Maroc est l'un des pays ayant des investissements importants au Sénégal. Et sa place en tant que partenaire est plus importante que celle de la Mauritanie malgré la distance géographique», a rappelé notre interlocuteur. Et de souligner: «Le nouveau président n'évoque pas les relations avec le Maroc. D'autant que ce nouveau visage n'appartient pas à l'élite qui a des relations avec le Maroc. Et c'est pourquoi la question reste ouverte. Notamment dans un contexte particulier et instable, marqué par des convoitises dans la région comme c'est le cas pour l'Algérie qui considère cette zone comme un lieu vital. Et il est possible que l'Algérie profite de l'échec de Macky Sall, qui a été un allié et un proche du Maroc, pour entrer en ligne et tenter d'exploiter la situation ».
Cependant, notre source estime que le Maroc peut contenir ce dossier parce que Rabat a su traiter avec les autres pays du Sahal à l'inverse de l'Algérie et sa crise avec le Mali à titre d'exemple. L'Initiative Atlantique annoncée par SM le Roi Mohammed VI, qui a pour objectif de favoriser l'accès des Etats du Sahel à l'océan Atlantique, reste le thème central d'approfondissement des relations avec le nouveau dépositaire du pouvoir au Sénégal.
« Le nouveau Sénégal va garder les mêmes relations avec le Maroc mais cela reste conditionné aux développements géostratégiques dans la région. Et en attendant, le Maroc peut jouer le rôle d'intermédiaire, de stabilisateur ou d'organisateur, notamment envers la France qui est en conflit avec la Russie et la Turquie, qu'elle considère comme des concurrents dans la région», analyse-t-il. Et de conclure : «Il s'agit d'un levier qui pourrait permettre au Maroc de faire pression sur la France pour reconnaître la marocanité du Sahara et de jouer un rôle de premier plan dans la région. Mais cela dépendra aussi de l'Algérie qui ne va pas permettre une telle configuration des rapports de force dans la région. Il ne faut pas oublier non plus que le Maroc ne joue pas seul et qu'il y a d'autres puissances comme les EAU ou la Russie. Toutefois, Rabat reste, de toute façon, la gagnante dans un espace incontrôlé qui va dans le sens des intérêts du Maroc ».