Au regard des tendances lourdes des résultats de l'élection présidentielle du 25 février finalement tenue le 25 mars 2024, le président sortant Macky Sall et son candidat, l'ex-Premier ministre Amadou Ba ont félicité le candidat de l'opposition Bassirou Diomaye Faye pour sa victoire au premier tour devenant ainsi le 5e président du Sénégal.
Les choses sont allées très vite pour en arriver à ce stade, pour le président Diomaye Diakhar Faye qui, à dix jours du scrutin, était en prison où il a été choisi comme dauphin du populaire opposant politique Ousmane Sonko alors privé de ses droits électoraux pour cinq ans.
Un natif du Sénégal rural
Diomaye Faye, né le 25 mars 1980, vient de souffler ses 44 ans, le lendemain même de la présidentielle. C'est à Ndiaganiao (dans le centre-ouest du pays) où il a vu le jour qu'il fit son éducation primaire. Il poursuivit son cycle moyen et secondaire dans la ville Mbour (sud-est de Dakar) où il obtint le baccalauréat en 2000.
Il fit ses études supérieures à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, notamment à la Faculté des sciences juridiques et politiques où il obtint une maîtrise en 2004. Diplôme en main, il tenta les concours d'admission à l'école des officiers de police, de la magistrature et l'École nationale d'administration (Ena). Il échoua au premier, mais réussi les deux autres.
Admissible au concours de la magistrature, il préféra se désister pour laisser la place aux autres candidats et opta pour l'Ena où son bon positionnement lui permettait d'intégrer les différents domaines d'interventions des formations à une future fonction. Après sa formation en fiscalité, il intégra la Direction générale des impôts et domaines en 2007.
Ses états de service
Quand Diomaye est arrivé aux impôts et domaines, il a milité dans le tout nouveau Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (Said) dirigé par son initiateur et secrétaire général (d'avril 2005 à juin 2012), Ousmane Sonko. Il y occupa d'abord le poste de chargé des revendications, et devint le secrétaire général après le départ de Sonko, néanmoins resté à ses côtés comme secrétaire général honoraire pendant deux ans (2012-2016).
Forts de leurs expériences syndicales, Faye, Sonko et d'autres jeunes fonctionnaires vont créer le parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef) en 2014. Diomaye y occupa successivement les fonctions de membre du comité de pilotage, de président du Mouvement national des cadres patriotes (Moncap) et des diasporas et de secrétaire général, c'est-à-dire le numéro deux du parti, à partir d'octobre 2022.
L'étoile filante de Ndingler
Si jusqu'ici les Sénégalais distinguaient Diomaye à l'ombre de Sonko, ils découvriront davantage sa carrure à la suite du litige foncier entre les habitants du village de Ndingler (dans la même commune de Ndiagagniao dont il est originaire) et l'entreprise sénégalaise Sedima, dirigée par l'homme d'affaires et industriel Babacar Ngom dont la fille, Anta Ngom était aussi, ironie du sort, candidate à l'élection présidentielle.
Diomaye avait dénoncé "la spoliation foncière sans aucune forme d'indemnisation dont sont victimes les populations paysannes (...)".
L'envers des revers
Toutefois, la notoriété qu'il tirera de ce combat qui a eu un écho national ne lui permettra pas de remporter son bastion lors des élections locales de janvier 2022. Il va perdre dans sa commune de Ndiagagnao face au candidat du régime. Investi sur la liste des titulaires nationaux à la députation de juillet 2022, l'invalidation de la liste principale remplacée par une liste de suppléants, l'empêchera également d'entrer à l'Assemblée nationale.
Ces deux revers successifs semblaient sceller son sort d'opposant à l'envergure locale et nationale. Surtout qu'à la suite du procès pour diffamation contre Sonko intenté par l'ancien ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, Faye va être emprisonné. On lui a reproché de s'en être pris à la magistrature en dénonçant ce qu'il a nommé dans un message Facebook "la clochardisation continue de la fonction". Il entendait ainsi décrier la décision de la cour d'appel de Dakar de vider le dossier sans même que son mentor n'ait la possibilité d'interjeter appel.
Diomaye dénonçait alors un procès d'inéligibilité de Sonko, à la présidentielle de 2024. Il sera inculpé le 14 avril 2023 des chefs "d'outrage à magistrat, diffamation et actes de nature à compromettre la paix publique".
L'art de la ruse politique
Le secrétaire général du parti et son président vont se trouver dans les liens de la détention, ce qui n'a pas manqué de donner du crédit à l'hypothèse d'une décapitation de la direction de Pastef. Contrairement au leader du parti, le procès de Diomaye n'a jamais été enclenché. Il jouissait donc de ses droits civiques et c'est en cellule qu'un plan sera concocté pour lui permettre de participer à l'élection présidentielle.
Le dimanche 19 novembre 2023, sur les réseaux sociaux trônaient des images de campagne où l'on pouvait lire "Diomaye moy Sonko" (littéralement "Diomaye est Sonko"). Nous sommes exactement à la veille des parrainages pour l'élection présidentielle au Sénégal. La candidature de Sonko était toujours incertaine après que la Direction générale des élections (DGE) eut refusé de remettre des fiches de parrainage à son mandataire. Et ce malgré l'intervention de la Commission électorale nationale autonome (Cena) dissoute illico presto par Macky Sall. Celle-ci, conformément à ses compétences (article L.6), s'était substituée à la DGE en ordonnant la délivrance des fiches de parrainage au candidat Sonko.
Le dauphinat de Sonko par Diomaye apparaît ainsi comme une suite logique du long feuilleton de judiciarisation de la carrière politique du premier, dont la Cour suprême venait d'annuler la réinscription sur les listes électorales. Au même moment, son recours contre la dissolution de son parti auprès de la Cour de justice de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) était rejeté
Le chef de file de l'ex-Pastef, qui avait toujours affirmé que son parti était porteur d'un projet de souveraineté dont chaque militant était un porte-étendard, a surpris la classe politique traditionnelle qui ne voyait dans cette affirmation qu'une ficelle rhétorique. Devant la volonté politique du régime de l'exclure du processus électoral, il dérouta ses adversaires en mettant sur orbite Diomaye après que les députés Guy Marius Sagna, Birame Souleye Diop et Abass Fall qui étaient parmi les pressentis annoncèrent avoir pris d'un commun accord la décision validée par Sonko, de renoncer à leurs propres candidatures. Diomaye Faye devenait ainsi seul candidat de l'ex-Pastef à l'élection présidentielle.
Le Pastef dissout avait réussi à lancer sa campagne des parrainages populaires pour Faye. Ce dernier passera au second tour des parrainages après qu'un certain nombre de doublons et des cas de parrains introuvables sur le fichier électoral fourni par la Direction de l'automatisation des fichiers (Daf).
Derrière l'armure
Considéré comme quelqu'un d'introverti, Diomaye est présenté par ses intimes comme un homme qui sait faire rire. Mais aussi un homme de défis et qui sait être exigeant ; une exigence qu'il s'applique manifestement à lui-même si l'on en croit le récit de ses journées en prison, par ses ex co-détenus.
Ce père de famille avec deux épouses est également très attaché à ses origines paysannes, quand bien même la volonté de changer son destin par l'ascenseur social de l'école l'aurait emporté. On le dit altruiste. Il confesse, lors de sa première conférence de presse de sortie de prison, comment sa première bourse à l'Ena lui avait servi à payer les adductions en eau potable pour sa famille et ses voisins. Il abhorre par-dessus tout voir, soutient-il, les plus forts se servir de leur force pour écraser les supposés plus faibles".
Les questions de l'heure
Celui qui a été plébiscité par les électeurs malgré le contexte électoral à rebondissements, s'est montré assez timide lors de son baptême du feu du 25 mars pour sa première allocution présidentielle.
Les observateurs de la scène politique se posent de nombreuses questions. Les épaules de cet homme à la silhouette chétive seront-elles assez solides pour arborer le costume présidentiel ? Comment vont évoluer ses relations avec son mentor que l'écrivain Boubacar Boris Diop décrit comme ayant atteint "un niveau de popularité jamais égalé dans l'histoire du Sénégal" par aucun autre homme politique avant lui ? Quelle place dans son attelage gouvernemental pour les innombrables alliés qui ont rejoint la très large coalition populaire Diomaye Président ? Saura-t-il tenir les promesses d'une formation politique qui a bâti son ascension sur l'idée de rupture radicale avec le "Système" ? Les prochaines semaines devraient nous édifier.
Mouhamed Abdallah Ly, enseignant chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Pape Chérif Bertrand Bassène, Senior Lecturer, Université Cheikh Anta Diop de Dakar