L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui traversée par une vague de « contestations » ouverte ou diffuse, violente ou non violente des pratiques Constitutionnelles en vigueur.
Sur les 16 pays de la Cedeao, 7 au moins sont aujourd’hui en proie à des soubresauts politico- judiciaires, qui à terme risquent de saper les équilibres institutionnels. La cause principale de ces crises, appelons les ainsi, se trouve pour l’essentiel, que ce soit au Mali, au Burkina Faso, en Guinée (les 2) au Niger, comme au Sénégal au Togo … dans la volonté des Présidents en exercice de pérenniser leur pouvoir, ou par des biais tout à fait illégaux, de remettre en cause le principe de la séparation des pouvoirs pour soumettre le parlement à leur bon vouloir.
S’il est vrai que les modus operandi diffèrent, la logique est quasiment la même. Il s’agit d’organiser, à travers des réformes constitutionnelles, la prorogation de mandats arrivés à terme, ou d’ouvrir des possibilités illimitées de les renouveler.
Le dernier en date, est l’exemple du Togo qui le 25 mars 2024 a adopté par le vote de son parlement une révision constitutionnelle inédite, car ayant fait basculer le pays dans un 5ème République, selon la plupart des observateurs.
Cette nouvelle révision votée avec une quasi-unanimité, opère un vrai changement de régime. Le texte instaure un régime parlementaire avec un président de la République élu par les députés sans débats pour un mandat unique de 6 ans, mais aussi crée le poste de Président du conseil des ministres pour un mandat de 6 ans , avec pour mission en tant que chef de file de la majorité au parlement à l’issue des législatives prochaines, de gérer, entre autres, les affaires du gouvernement, avec à la clé une responsabilité devant le parlement.
Ce dédoublement fonctionnel est à plusieurs égards problématique par ses conséquences, même si la date de son entrée en vigueur reste imprécise. En effet, le timing pour ce texte, qui institue le président du conseil des ministres intervient à moins d’un mois des élections législatives et régionales prévues au 20 Avril 2024, soit moins d’un mois, alors que l’opposition avait annoncé que cette fois-ci elle y prendra part.
Résultat des courses, un boulevard est ouvert pour le président de la république, dont le mandat s’achève en 2025, qui naguère était élu au suffrage universel, pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois, et qui désormais va « régner » sur le pays de façon illimitée à la faveur d’un vote favorable des députés de son camp.
Si ce n’est pas un schéma de dévolution du pouvoir qui se prépare, cela y ressemble fort, dés lors que le Président du conseil des ministres est investi de la quasi-totalité des pouvoirs du Président, dont celui de représenter l’Etat Togolais à l’extérieur, en plus de diriger le pays au quotidien. Après cet épisode de 6ans, nul doute que le Président du conseil qui sera choisi sera le prochain Président de la majorité qui sera élu sans bavure sauf miracle.
La CEDEAO devra se prononcer sur ce détournement absolument grave du suffrage universel.
Elle a du pain sur la planche car un peu partout dans la sous-région des phénomènes analogues se produisent. Récemment au Sénégal, le parlement, majoritairement composé par la mouvance présidentielle a voulu prolonger le mandat du Président de la République. Il a fallu tout le courage et la hardiesse du Conseil Constitutionnel pour stopper la manœuvre.
D’un autre côté, la Côte d’ivoire avait déjà en juillet 2023 engagé une révision qui permettait au Président de la République d’avoir un droit d’amendement sur les textes dont l’Assemblée était saisie « pour amélioration ». Ce qui n’est rien d’autre qu’une immixtion dans la prérogative de l’Assemblée, et une rupture dans la séparation nécessaire du pouvoir dans le processus législatif.
Puis le nouveau texte prévoit également qu’en « cas d’impossibilité d’organiser les élections des députés et des sénateurs à l’expiration de leurs mandats, le parlement reste en place jusqu’à l’élection de nouvelles chambres. Le problème c’est qu’aucun délai n’est arrêté pour l’organisation de telles élections. Une mauvaise volonté du pouvoir en place peut parfaitement installer un dilatoire préjudiciable au jeu démocratique et au renouvellement des élites
Si on y ajoute les suspensions de constitution dans les 4 pays de la CEDEAO (Burkina Faso, Guinée, Mali, Niger) , aujourd’hui en rupture de ban avec l’organisation régionale, il y a des prémisses sérieux annonciateurs d’une crise du constitutionnalisme, notamment avec des constitutions désormais utilisées comme des instruments de confiscation du pouvoir par les régimes en place. Toutefois il faut signaler quand même que le Bénin fait figure de bon élève dans cet environnement. Le parlement béninois a en effet rejeté le projet de texte initié par le président du groupe parlementaire de la majorité faute de majorité des 3/5ème requis en vertu de la Constitution du Pays.
Pourtant, le texte ne concernait pas le nombre de mandats fixé à deux, mais le timing de la révision proposée à quelques encablures de la fin du mandat du Président Talon, qui lui-même a affirmé urbi et orbi qu’il ne ferait pas un 3ème mandat, a jeté un voile de suspicion sur la volonté de donner suite à une décision de la cour constitutionnelle, qui ordonne au Parlement béninois de mettre en conformité certaines dispositions du Code électoral avec la Constitution, en ce qui concerne l’organisation du parrainage de la présidentielle de 2026.
L’expérience connue dans les autres pays voisins ces dernières années, a fait que dans l’espace régionale, même les révisions » consolidantes » rencontrent aujourd’hui des résistances chez les acteurs politiques. Sera-ce une tendance générale, voire une crise du constitutionnalisme dans sa sacralité ? Wait and see.