Il est crucial d'enquêter sur les frappes indiscriminées de drones et les exécutions sommaires
- Depuis décembre, les forces armées maliennes et les combattants étrangers du groupe Wagner ont illégalement tué et sommairement exécuté plusieurs dizaines de civils lors d'opérations de contre-insurrection menées dans les régions du centre et du nord du Mali.
- Le gouvernement militaire de transition du Mali, soutenu par la Russie, commet d'horribles abus et quitte le groupe régional qui pourrait surveiller sa situation en matière de droits humains.
- Le mandat de l'Expert indépendant du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Mali, qui assiste le gouvernement malien dans sa protection des droits humains, devrait être renouvelé et doté de ressources adéquates.
(Nairobi) - Les forces armées maliennes et les combattants étrangers du groupe Wagner ont illégalement tué et sommairement exécuté plusieurs dizaines de civils au cours d'opérations de contre-insurrection dans les régions du centre et du nord du Mali depuis décembre 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Des frappes de drones militaires menées contre une cérémonie de mariage le 16 février, puis contre des funérailles le lendemain, ont tué au moins 14 civils, dont 4 enfants.
Le Mali est engagé depuis longtemps dans un conflit armé avec des groupes armés islamistes liés à Al-Qaïda et à l'État islamique. Les récents abus ont été commis alors que les relations qu'entretient le Mali avec les Nations Unies et les gouvernements ouest-africains voisins se sont fortement détériorées. En décembre, la mission de maintien de la paix de l'ONU, la MINUSMA, s'est retirée du pays à la demande des autorités militaires de transition du Mali, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la protection des civils et à la surveillance des abus dans le pays. En janvier, les autorités de transition ont annoncé que le Mali quitterait la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ce qui priverait les victimes de violations flagrantes des droits humains de la possibilité de chercher à obtenir justice auprès de la Cour de justice de la Communauté de la CEDEAO.
« Non seulement le gouvernement militaire de transition du Mali, soutenu par la Russie, commet d'horribles abus, mais il cherche également à supprimer tout contrôle indépendant de sa situation en matière de droits humains », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse principale sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités maliennes devraient de toute urgence collaborer avec des experts indépendants pour surveiller les violations des droits humains et veiller à ce que les responsables rendent des comptes. »
Entre le 1er janvier et le 7 mars, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 31 personnes qui ont eu connaissance des incidents survenus dans le centre et le nord du Mali. Parmi ces personnes figuraient 20 témoins d'abus, ainsi que des dirigeants communautaires, des activistes, des représentants d'organisations internationales, des journalistes et des universitaires. Le 1er mars, Human Rights Watch a envoyé des lettres aux ministres maliens de la Justice et de la Défense, détaillant ses conclusions et sollicitant des informations sur les abus présumés. Les autorités maliennes n'ont pas répondu.
Des témoins ont fait état de graves abus commis par les forces armées maliennes et le groupe Wagner, la société de sécurité militaire privée liée à la Russie, au cours d'opérations de contre-terrorisme menées contre des groupes islamistes armés dans les villages d'Attara dans la région de Tombouctou ; de Dakka Sebbe et Nienanpela dans la région de Ségou ; de Dioura et Gatie Loumo dans la région de Mopti, et d'Ouro Fero dans la région de Nara. Ils ont déclaré que des hommes armés étrangers et non francophones, décrits comme « blancs » ou « Wagner », ont pris part dans la plupart des opérations. À Dakka Sebbe, l'opération a été menée presque entièrement par des combattants Wagner. À Attara, davantage de combattants Wagner que de soldats maliens ont été identifiés.
Le personnel du groupe Wagner s'est déployé pour la première fois à Bamako, la capitale du Mali, en décembre 2021, avec le soutien des forces armées russes. Human Rights Watch a précédemment documenté de graves exactions commises par les forces de sécurité maliennes et des combattants alliés, soupçonnés d'appartenir au groupe Wagner. En août 2023, la Russie a opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui aurait prolongé les travaux du panel d'experts chargé d'examiner les exactions commises par les groupes armés, les forces de sécurité maliennes et les combattants Wagner, freinant ainsi les efforts qui permettraient que les auteurs de violations liées au conflit rendent compte de leurs actes.
Le 26 janvier, des dizaines de soldats maliens à la recherche de combattants islamistes dans le village d'Ouro Fero ont fait du porte-à-porte et ont arrêté 25 personnes, dont 4 enfants. Plus tard dans la journée, les villageois ont trouvé leurs corps à environ quatre kilomètres d'Ouro Fero. « Nous avons trouvé les corps sur une colline, carbonisés, attachés aux mains, les yeux bandés », a déclaré un villageois de 26 ans qui a aidé à enterrer les corps. « Ils avaient tous reçu une balle dans la tête. »
Le 16 février, un drone malien a frappé une cérémonie de mariage en plein air, à Konokassi, tuant au moins cinq hommes et deux garçons et en blessant trois autres. Le lendemain, alors que des villageois s'attelaient à enterrer les corps, une deuxième frappe de drone a touché un groupe de personnes au cimetière de Konokassi, tuant cinq hommes et deux garçons et en blessant six autres. Des villageois ont déclaré que malgré le fait que le Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, contrôle les zones autour de Konakassi, aucun de ses combattants n'était toutefois présent au mariage.
Les groupes armés islamistes commettent de graves abus au Mali depuis plus d'une décennie. Ils ont exécuté sommairement des centaines de personnes accusées de collaborer avec les forces gouvernementales, violé des femmes et des filles, posé des engins explosifs improvisés de manière indiscriminée, forcé des civils à adhérer à leur vision de l'islam, pillé et incendié des biens, et refusé aux civils toute nourriture et aide humanitaire lors de sièges de villes et de villages.
« Quoique nous choisissions, c'est un mauvais choix et où que nous allions, nous faisons face à la souffrance », a déclaré un homme du village de Nienanpela où, le 23 janvier, des soldats maliens et des combattants du groupe Wagner ont exécuté un homme de 75 ans qui n'avait pas réussi à fuir. « Les djihadistes sont brutaux et nous ont imposé leur vision de l'islam, mais les soldats et les [combattants de] Wagner, qui sont censés nous protéger, ce qu'ils font ce n'est que tuer, piller et brûler. »
Mamoudou Kassogué, le ministre malien de la Justice, a déclaré au Conseil des droits de l'homme de l'ONU le 28 février que son gouvernement avait « déployé des efforts importants en vue d'enquêter sur toutes les allégations de violations des droits humains », notamment celles « formulées à l'encontre des forces de défense et de sécurité ». Il a également promis que la Direction nationale des droits de l'homme, un organe du ministère de la Justice, commencerait ses travaux. Cette direction a été créée en avril 2023 pour élaborer des politiques liées aux droits humains et empêcher les violations de ces derniers en mettant en oeuvre les recommandations des organisations de défense des droits humains et de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH).
Les activistes maliens des droits humains ont exprimé leur scepticisme quant à l'efficacité de cette commission, son responsable étant directement placé sous l'autorité du ministre de la Justice. « La CNDH est aujourd'hui le seul organe indépendant de protection des droits humains qu'il reste dans le pays, mais elle est confrontée à des défis », a déclaré un important défenseur malien des droits humains. « Quand la MINUSMA était encore présente, la CNDH, les défenseurs des droits humains, ainsi que les victimes et les témoins d'exactions se sentaient rassurés. Aujourd'hui, rares sont ceux qui osent s'exprimer. »
Le mandat de l'Expert indépendant du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Mali, qui aide le gouvernement malien à promouvoir et protéger les droits humains, expire le 4 avril. Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU devrait renouveler le mandat de l'expert indépendant et s'assurer que son bureau dispose des ressources nécessaires, a déclaré Human Rights Watch.
Toutes les parties au conflit armé au Mali, y compris les membres de groupes armés étrangers, sont soumis au droit international humanitaire. Le droit applicable comprend l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier. Les lois de la guerre interdisent le meurtre ou l'infliction de mauvais traitements de personnes détenues, les attaques qui ne font pas la différence entre civils et combattants, et la destruction ou le pillage des biens civils, entre autres violations. Les individus qui commettent des violations des lois de la guerre avec intentions criminelles, c'est-à-dire délibérément ou par imprudence, sont responsables de crimes de guerre. Les commandants qui savaient ou auraient dû savoir que leurs subordonnés commettaient des abus, mais qui ne les ont pas empêchés ou n'ont pas puni ceux qui les ont commis, peuvent être tenus pour responsables au titre de la responsabilité du commandement.
« L'armée malienne et les combattants du groupe Wagner ont fait preuve à l'égard des civils maliens d'une cruauté délibérée, qui devrait faire l'objet d'une enquête en tant que crimes de guerre », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les autorités maliennes devraient continuer à travailler avec la Commission nationale des droits de l'homme et l'expert indépendant de l'ONU pour recueillir les preuves de graves exactions, garantir des enquêtes crédibles et impartiales, et traduire les responsables en justice. »
Pour lire des témoignages et d'autres détails sur ces abus, veuillez voir ci-dessous. Les noms des personnes avec lesquels Human Rights Watch s'est entretenu ne sont pas cités, pour garantir leur protection.
Frappes de drones militaires maliens
Konokassi, région de Ségou, 16 et 17 février
Le 16 février, vers 15 heures, un drone malien a bombardé une cérémonie de mariage qui avait lieu en plein air à Konokassi, dans la région de Ségou, ont indiqué trois témoins à Human Rights Watch. L'attaque a tué au moins cinq hommes et deux garçons, et a blessé trois autres hommes. Le lendemain, alors que des villageois s'attelaient à enterrer les corps des personnes tuées pendant la cérémonie, une deuxième frappe de drone a touché un groupe de personnes au cimetière de Konokassi, tuant cinq hommes et deux garçons et blessant six autres hommes.
Le Mali a fait l'acquisition de drones Bayraktar TB2 de fabrication turque depuis 2022. Ces dispositifs aériens de combat pilotés à distance peuvent surveiller, cibler avec précision et larguer jusqu'à quatre bombes MAM-L guidées par laser.
Un homme de 57 ans qui a perdu son fils de 20 ans lors de la première frappe a déclaré que tous les participants à la cérémonie étaient assis en trois groupes : un premier groupe de jeunes amis du marié, composé d'environ 30 individus, puis les adultes, soit 20 hommes environ, ainsi qu'un groupe formé de 10 personnes âgées. « Lorsque nous avons vu le drone arriver du sud, nous ne nous sommes pas trop inquiétés car, depuis novembre 2023, nous sommes habitués à voir ce drone, il vient régulièrement et survole le village », a-t-il déclaré. « Mais cette fois-ci, nous avons soudainement entendu un bruit, comme un sifflement, puis le grand "boum !" de l'explosion. »
Le groupe islamiste armé GSIM opère dans la région de Ségou. Cependant, des témoins ont déclaré qu'il n'y avait pas de combattants islamistes ni aucun autre homme armé au mariage. « Il n'y avait pas de djihadistes au mariage », a déclaré l'homme :
Ils sont présents dans notre région mais ne se mêlent pas à nous, ils sont dans la brousse. Ils ne viendraient jamais à un mariage civil. ... Ils ne célèbrent pas les mariages. Ils demandent au père la main de sa fille. S'il accepte, ils lui versent la dot et c'est fini, il n'y a pas de fête. Si le père refuse, il leur arrive de prendre la fille de force.
Un homme de 34 ans a déclaré :
La frappe a eu lieu vers 15 heures. C'est à cause des djihadistes que nous célébrons les mariages pendant la journée désormais. Ils nous ont interdit de le faire la nuit, comme nous avions l'habitude de le faire avant. ... Ils ne veulent pas non plus que les hommes et les femmes se mélangent, c'est pourquoi ce jour-là, les femmes étaient à l'intérieur, dans la maison du marié, tandis que les hommes et les garçons célébraient le mariage à l'extérieur.
Un autre homme de 57 ans a déclaré :
La bombe a frappé le groupe des jeunes. ... Nous nous sommes tous enfuis, même les blessés ont couru. Il y avait trois blessés : l'un avec un bras cassé, l'autre blessé à la tête, et un autre blessé à l'épaule. En regardant les blessures, on aurait dit des blessures faites avec des lames, très profondes. ... Nous ne sommes revenus au village que le lendemain.
Des témoins ont déclaré que le lendemain, plusieurs villageois étaient retournés à Konokassi pour enterrer les corps des personnes tuées pendant le mariage, mais qu'ils ont été frappés par une deuxième attaque de drone.
L'homme qui a perdu son fils lors de la première frappe a déclaré :
Nous avons trouvé sept corps, dont trois étaient complètement déchiquetés. Nous avons commencé par enterrer ces trois-là sur place, puis nous avons enveloppé les quatre autres dans des vêtements et nous les avons emmenés au cimetière. Nous étions en train de creuser les tombes quand nous avons vu arriver un drone qui ressemblait à celui que nous avions vu la veille. Il nous a survolés avant de lâcher une bombe. Nous avons été secoués par l'explosion. Je suis tombé et je me suis enfui. J'ai été légèrement blessé au dos. Nous nous sommes enfuis dans la brousse et, tard dans la nuit, certains d'entre nous, moi y compris, sommes retournés au cimetière et avons dénombré sept autres morts. Nous les avons enterrés à la hâte.
Human Rights Watch a examiné deux listes de victimes et de blessés établies par des rescapés et des habitants, sur lesquelles figurent les noms de 14 personnes tuées et de 9 personnes blessées lors des deux frappes. La liste des victimes de la première frappe comporte 10 noms : parmi les morts figurent 5 hommes âgés de 18 à 30 ans, deux garçons de 16 et 17 ans, et parmi les trois blessés figurent 3 hommes âgés de 18 à 30 ans. La liste des victimes de la deuxième frappe comprend 13 noms : les 7 morts sont 5 hommes âgés de 19 à 24 ans, et deux garçons de 17 et 14 ans, et les 6 blessés sont tous des hommes âgés de 22 à 61 ans.
Radio France Internationale a également fait état de l'incident, déclarant qu'« un drone a frappé un mariage à Konokassi, dans le district de Mariko. Six personnes ont été tuées sur le coup. Le lendemain, samedi, un drone a de nouveau frappé la même localité pendant l'enterrement des victimes de la veille. Six autres personnes ont été tuées. Et plusieurs autres personnes ont été blessées ».
Exactions commises par les forces armées maliennes et les combattants du groupe Wagner
Ouro Fero (village également connu sous le nom de Welingara), région de Nara, 26 janvier
Le 26 janvier, des dizaines de soldats maliens ont mené une opération dans le village d'Ouro Fero, à la recherche de combattants islamistes, selon quatre témoins. Au cours de l'opération, ils ont fait du porte-à-porte et ont arrêté 25 personnes, dont 4 enfants. Plus tard dans la journée, à environ quatre kilomètres d'Ouro Fero, des villageois ont trouvé les corps carbonisés des 25 personnes arrêtées. Le groupe armé GSIM est connu pour opérer dans la région.
Des témoins ont déclaré que l'opération avait été menée en représailles d'une attaque revendiquée par le GSIM contrela base militaire de Mourdiah, à 18 kilomètres d'Ouro Fero, le 25 décembre. Un homme de 26 ans, originaire d'Ouro Fero, a déclaré :
À la suite de l'attaque contre la caserne militaire de Mourdiah, on s'attendait à une réponse violente de l'armée. C'est toujours comme ça. Chaque fois que les djihadistes attaquent l'armée, des représailles contre les civils s'ensuivent, en particulier contre les Peuls. Les militaires nous accusent d'être complices des djihadistes alors que nous ne faisons que subir leur domination.
Des témoins ont déclaré que les soldats, qui venaient de la base militaire de Mourdiah, étaient armés de fusils d'assaut de type kalachnikov et portaient des uniformes de camouflage, des gilets pare-balles et des casques. Ils ont déclaré que les soldats étaient arrivés par l'est d'Ouro Fero vers 6 heures du matin et avaient encerclé le village en tirant en l'air, ce qui avait poussé les gens à fuir. Un éleveur de 56 ans a déclaré :
J'ai été réveillé par des tirs. Je suis sorti, j'ai vu des gens courir et je les ai rejoints. Lorsque nous sommes arrivés à l'ouest du village, nous avons réalisé que nous ne pouvions pas aller plus loin car les militaires avaient encerclé tout le village. Je suis donc rentré chez moi et je me suis caché sur le toit d'un hangar, sous de la paille et de l'herbe. ... J'ai vu deux soldats pénétrer dans ma maison. Je les ai entendus demander à ma femme : « Où est ton mari ? » Elle a répondu que je n'étais pas là. ... Avant de partir, l'un des deux soldats a dit à ma femme qu'ils menaient une opération pour identifier des combattants islamistes présumés pour les emmener dans leur camp à Mourdiah afin de les interroger.
Des témoins ont déclaré qu'à la fin de l'opération, vers 7 heures du matin, les soldats avaient arrêté 21 hommes et 4 garçons.
Des témoins ont déclaré que plus tard le même jour, des habitants d'un hameau voisin, situé à environ quatre kilomètres d'Ouro Fero, les ont informés par téléphone qu'ils avaient vu les militaires s'y arrêter avec un groupe de personnes, puis avaient entendu des coups de feu. Un groupe de 12 villageois d'Ouro Fero, dont deux personnes avec lesquelles Human Rights Watch a mené des entretiens, ont déclaré s'être précipités sur place, où ils ont trouvé les corps des personnes arrêtées ce jour-là. Les victimes, selon les témoins, étaient ligotées et avaient les yeux bandés, et semblaient avoir été abattues avant d'être brûlées.
Un homme qui a découvert les corps a déclaré :
Avant de trouver les corps, nous avons trouvé l'endroit où les soldats avaient fouillé les poches des victimes. Nous avons trouvé des cartes d'identité et des chapeaux. Puis, environ 200 mètres plus loin, nous avons trouvé les corps de toutes les personnes arrêtées le matin même. Ils avaient les mains attachées, les yeux bandés. Ils ont été abattus, certains d'une balle dans la tête, avant d'être brûlés. ... Nous les avons enterrés vers 17 heures. Nous avons ramassé plusieurs pierres et les avons placées autour des corps, puis nous les avons recouverts de sable et de branches d'arbres.
Human Rights Watch a examiné deux listes compilées par des rescapés et des habitants d'Ouro Fero, avec les noms de 25 victimes, dont 21 hommes, âgés de 21 à 67 ans, et 4 garçons, âgés de 12 à 16 ans.
Le 30 janvier, le média français Radio France Internationale a également fait état des meurtres à Ouro Fero, en mentionnant également la présence des combattants de Wagner. Le 1er février, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme s'est dit « consterné par les allégations crédibles selon lesquelles les forces armées maliennes accompagnées de personnel militaire étranger ont exécuté sommairement au moins 25 personnes dans le village de Welingara », le 26 janvier, et a appelé à une « enquête impartiale » afin que les responsables répondent de leurs actes.
Le 26 janvier, le chef d'Ouro Fero a envoyé une lettre au ministre malien de la Défense, que Human Rights Watch a examinée, pour l'informer des meurtres commis par l'armée dans son village et lui faire part de ses regrets. Il a déclaré que les soldats avaient tué 25 personnes, dont un homme malvoyant ainsi que des enfants, et que leurs corps avaient été brûlés.
Attara, région de Tombouctou, 25 janvier
Le 25 janvier, les forces armées maliennes et les combattants du groupe Wagner ont mené une opération militaire à Attara, un village situé sur les rives du fleuve Niger, dans une zone où il est connu que le GSIM est actif. Ils ont menacé de mort les villageois, tué sommairement sept hommes civils et pillé des biens, selon trois témoins.
Les témoins ont déclaré que les soldats et les combattants de Wagner venaient de Leré, une ville située à environ 65 kilomètres d'Attara.
Un éleveur de 57 ans a déclaré :
Tôt le matin, nos proches de Leré ont appelés pour nous informer qu'un convoi de plus de 100 véhicules militaires maliens avec [des combattants de] Wagner avait quitté Leré et se dirigeait dans notre direction. Compte tenu des abus commis par [les combattants de] Wagner, leurs mouvements sont toujours surveillés par les villageois. ... Nous avons également reçu des appels d'autres parents au fur et à mesure que le convoi avançait et traversait les villages de Dianké et de Sambani. Nos contacts nous ont dit qu'à Sambani, le convoi s'était divisé en deux groupes, que l'un se dirigeait vers Attara, tandis que l'autre se dirigeait vers Soumpi.
Les soldats basés à Leré participaient à l'opération « Maliko », créée par un décret du 30 janvier 2020 signé par le président de l'époque, Ibrahim Boubacar Keïta, pour « enrayer » les menaces terroristes et criminelles. L'opération est placée sous le commandement direct du chef d'état-major général des forces armées maliennes et divisée en secteurs géographiques. Des sources crédibles ont indiqué à Human Rights Watch que les soldats basés à Léré opèrent dans le secteur 3, dont le commandant est le colonel Seydou Niangadou.
Des témoins ont déclaré que l'un des convois, qui comptait 50 véhicules militaires environ, dont des véhicules blindés et des pickups transportant des soldats et des combattants du groupe Wagner, était arrivé à Attara vers 10 heures du matin. Les soldats et les combattants de Wagner sont allés de porte en porte, ont sorti les hommes, les femmes et les enfants de leurs maisons et les ont rassemblés près du fleuve Niger. Un homme de 55 ans a déclaré :
J'étais au marché quand les militaires et les [combattants de] Wagner sont arrivés et ont donné l'ordre à tout le monde d'aller au bord de la rivière. Il y avait plus de [combattants de] Wagner que de soldats maliens. Ils y ont rassemblé les villageois. Ils se tenaient devant nous en pointant leurs armes vers nous. Puis, un [combattant de] Wagner a pris un Coran. Il ... a commencé à prêcher. Il parlait une langue que je ne comprenais pas, mais ce n'était pas le français. Un soldat malien a traduit en [langue] bambara. Il a dit : « Dieu nous a autorisés à vous sécuriser. Le Coran lui-même dit que vous devez vous soumettre à notre autorité. Si vous refusez, nous vous tuerons. ... Ne vous laissez pas égarer par les djihadistes qui vous mentent en disant que nous, les soldats, sommes des kuffar [non-croyants] ; nous sommes plus légitimes que les djihadistes ».
Des témoins ont déclaré que plusieurs personnes avaient tenté de s'échapper pendant ce « sermon », et que les soldats maliens et les combattants du groupe Wagner leur avaient tiré dessus, tuant sept hommes dont quatre sont tombés dans la rivière. Le témoin âgé de 57 ans a déclaré :
Dès que le [combattant de] Wagner a menacé de mort la communauté, sept personnes se sont levées et se sont enfuies. Mais les soldats et les [combattants de] Wagner ont immédiatement ouvert le feu. Trois personnes ont été tuées sur le bord de la rivière et sont mortes sur le coup. Quatre autres personnes ont tenté de prendre un bateau, mais ont été touchées par les tirs et sont tombées dans la rivière. ... Lorsque les soldats sont partis, nous avons récupéré leurs corps dans l'eau.
Human Rights Watch a obtenu trois listes de victimes établies par des survivants et des habitants d'Attara, sur lesquelles figurent les noms de trois hommes âgés de 27, 28 et 35 ans. Des témoins ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas identifier les quatre autres personnes tuées parce qu'elles n'étaient pas originaires d'Attara, mais ont indiqué qu'il s'agissait de civils et de commerçants touaregs.
Des témoins ont déclaré que les soldats et les combattants de Wagner avaient également pillé toutes les boutiques du marché d'Attara, emportant des marchandises et de l'argent. « J'étais propriétaire d'un grand magasin sur le marché d'Attara, où je vendais du carburant », a déclaré un commerçant de 74 ans. « J'ai perdu près de 5 millions de francs CFA (8 200 dollars des Etats-Unis) en barils de carburant. Les militaires m'ont tout pris et ont pillé la quasi-totalité du marché. »
Le 25 janvier, des dizaines de combattants du groupe Wagner, avec au moins un soldat malien, ont attaqué le campement de l'ethnie Bozo à Dakka Sebbe, selon deux témoins. Dakka Sebbe se trouve dans une région où le GSIM mène régulièrement des attaques. Les combattants ont torturé trois bergers peuls, qu'ils soupçonnaient de collaborer avec des groupes armés islamistes.
L'une des victimes, âgée de 35 ans, a déclaré :
À 10 heures, une centaine de [combattants] Wagner à moto ont pris le campement d'assaut. Comme nous savons que les [combattants] Wagner et les militaires ne s'en prennent qu'aux hommes peuls, mes deux amis et moi nous sommes cachés dans une maison. Mais trois [combattants] Wagner sont entrés dans la maison et nous ont fait sortir. Ils étaient grands, portaient des uniformes militaires de camouflage et des kalachnikovs. Ils étaient masqués. Ils parlaient une langue que je ne comprenais pas. ... Ils ont commencé à nous donner des coups de pied avec leurs bottes ... et de coups de crosse de fusil. Ensuite, l'un des [combattants] Wagner a appelé quelqu'un, probablement un soldat malien, et m'a donné le téléphone. L'homme au téléphone m'a demandé en bambara si nous avions été pris avec des armes. J'ai répondu que non. ... Mais les deux autres [combattants] Wagner ne semblaient pas satisfaits de ma réponse et nous ont frappés à nouveau. L'un d'eux a sorti un couteau de son sac et a menacé de nous massacrer. Mais celui qui avait le téléphone les a arrêtés et les a convaincus de nous laisser partir.
Le 23 janvier, vers 9 heures du matin, des dizaines de soldats maliens à bord de camionnettes ont pris d'assaut le village de Nienanpela et ont exécuté un homme de 75 ans, ont rapporté deux témoins.
Un homme âgé de 52 ans a déclaré :
Les villageois ont été informés que des soldats de Dougabougou se dirigeaient vers Nienanpela. Tout le monde s'est donc enfui par crainte des militaires. Je me suis caché dans la brousse voisine et j'ai vu arriver un convoi de 17 camionnettes avec des soldats maliens à bord. Ils portaient des kalachnikovs, des casques et des gilets pare-balles. Ils n'ont trouvé personne dans le village, à l'exception d'un vieil homme qui était allé faire paître ses bêtes tôt le matin et qui était revenu. ... Lorsque les soldats sont partis, je suis retourné au village avec d'autres personnes. Nous avons trouvé son corps et l'avons enterré.
Le fils de la victime, âgé de 34 ans, a déclaré :
Je n'ai pas vu comment les soldats ont tué mon père parce que je me suis caché dans la brousse quand ils sont arrivés. Mais j'ai entendu au moins deux coups de feu depuis ma cachette. ... Lorsque je suis retourné au village, j'ai découvert le corps de mon père allongé sur le côté gauche, avec une blessure par balle au front et une autre sur le côté droit. Mon père était un vieil homme et ne pouvait pas s'enfuir. Les villageois ont enveloppé son corps dans des vêtements et l'ont enterré dans le cimetière local.
Le 7 janvier, vers 20 heures, deux soldats maliens ont arrêté un homme peul de 50 ans qu'ils soupçonnaient de collaborer avec des groupes armés islamistes à Dioura, selon ses proches. Le lendemain, des villageois ont retrouvé son corps, blessé par balle à la tête, à environ un kilomètre de Dioura. Le groupe armé GSIM est actif dans la région.
La mère de l'homme a déclaré :
Les soldats sont entrés dans notre maison et l'ont fouillée. Ils cherchaient mon fils mais ne l'ont pas trouvé. Ils sont restés dehors. Pendant ce temps, mon fils est revenu de la mosquée et a été immédiatement arrêté. Les soldats ont dit qu'ils l'emmèneraient à leur base, à environ deux kilomètres de là, pour l'interroger. Je les ai suppliés de ne pas le faire. Mais ils ont dit que si je continuais de parler, ils me tueraient. Puis ils sont partis avec lui dans une camionnette. C'est la dernière fois que j'ai vu mon fils.
L'épouse de l'homme, qui était également présente au moment de l'arrestation, a déclaré :
Lorsque les soldats sont partis, je suis allée voir un villageois qui connaît les militaires et je lui ai demandé s'il pouvait se rendre à leur base pour se renseigner sur mon mari. ... Le lendemain, il y est allé et les militaires lui ont dit que mon mari allait bien et qu'ils n'avaient pas encore fini de l'interroger. Mais à midi, un homme est venu chez moi pour m'informer que le corps de mon mari avait été retrouvé sous un arbre.
Le 8 janvier, les villageois ont tenté d'enterrer le corps de l'homme, mais les soldats les en ont empêchés en tirant des coups de feu en l'air. « C'est grâce à l'intervention d'un soldat de Dioura que nous avons pu finalement enterrer le corps le 9 janvier », a déclaré l'épouse de la victime.
Le 18 décembre vers 9 heures du matin, des soldats maliens et des combattants du groupe Wagner, qui recherchaient des combattants islamistes, ont encerclé le village de Gatie Loumo, dans la région de Mopti où opère le GSIM, selon trois témoins. Les militaires sont arrivés à bord d'une trentaine de véhicules, dont trois véhicules blindés, des pick-up et des motos. Ils sont entrés à pied dans le village et ont pris la direction du marché, où ils ont tué au moins 21 hommes, pillé des magasins et ont emporté des motos et de l'argent. Des témoins ont déclaré que les soldats et les combattants du groupe Wagner venaient de la base militaire de Leré, à environ 30 kilomètres de Gatie Loumo, et que l'attaque était une mesure de représailles contre la communauté, qui aurait collaboré avec des groupes armés islamistes.
Un villageois de 35 ans a déclaré :
Environ 10 jours avant l'attaque, nous avons reçu des messages sur WhatsApp disant que les militaires et les [combattants] Wagner basés à Leré préparaient une opération dans notre région et plus précisément à Gatie Loumo. ... Effectivement, le jour de l'attaque, les militaires sont venus de Leré et sont repartis dans cette direction.
Il a indiqué qu'ils avaient également retrouvé le corps d'une des personnes tuées dans le village sur la route qui relie Gatie Loumo à Leré.
Un commerçant de 52 ans a déclaré :
Les [combattants de] Wagner étaient masqués ou portaient des lunettes de soleil. Les Maliens n'étaient pas masqués. Ils portaient tous le même uniforme de camouflage et étaient lourdement armés. Sur le marché, ils ont commencé à arrêter les commerçants. Les [combattants] Wagner ont procédé aux arrestations. ... Beaucoup ont fui parce qu'ils avaient peur. ... J'ai vu un [combattant] Wagner tirer à bout portant sur un marchand de bétail à environ 20 mètres de l'endroit où je me trouvais dans mon magasin. La victime est tombée et le [combattant] Wagner a fouillé ses poches et a volé de l'argent. Ensuite, ce même [combattant] Wagner, accompagné d'un autre et d'un soldat malien, s'est dirigé vers mon magasin. Le soldat malien m'a demandé : « Que faites-vous ici ? » J'ai répondu que c'était mon magasin. Il a dit que je vendais des produits aux djihadistes. Je lui ai répondu que je ne vendais que des biscuits et des bonbons aux enfants. Alors, il m'a dit : « Ne vends pas tes produits aux terroristes. » Et ils sont partis.
Un autre homme de 35 ans a déclaré :
J'étais au marché avec mon ami Salla Dambere, un commerçant réputé. Les soldats et les [combattants de] Wagner ont envahi le marché, pillant les magasins et tirant sur les gens. Ils ont pris Salla et l'ont passé à tabac avant de l'emmener. J'ai pris la fuite pour rester en vie. ... Quand ils [les soldats] sont partis, on m'a informé que le corps de Salla avait été retrouvé sur la route entre Gatie Loumo et Leré, d'où venaient les soldats. J'y suis allé avec six autres hommes et j'ai vu le corps. J'ai vu des marques de torture ; il avait la gorge tranchée. Il a été abattu comme un animal. Nous avons enterré le corps là où nous l'avons trouvé. En revenant au village, j'ai vu le corps d'un autre homme, un Touareg, tué d'une balle dans la tête.
L'autre villageois de 35 ans (précédemment cité) a déclaré :
Lorsque les soldats sont partis, nous avons identifié les corps de 14 personnes de Gatie Loumo et nous les avons enterrés dans quatre tombes. Les sept autres personnes tuées n'étaient pas originaires de Gatie Loumo, mais du village voisin de Kelesegui, et nous n'avons donc pas pu les identifier. Mais le lendemain, leurs proches sont venus chercher les corps. Toutes ces personnes ont été tuées d'une balle dans la tête ou dans la poitrine.
Human Rights Watch a obtenu trois listes de victimes établies par des survivants et des habitants de Gatie Loumo, avec les noms de 14 personnes âgées de 20 à 70 ans.
Des témoins ont déclaré que des soldats et des combattants du groupe Wagner avaient pillé presque tous les magasins du marché, et pris des motos et de l'argent.
« Le bilan matériel de l'attaque est lourd », a déclaré le commerçant de 52 ans. « Les soldats et les [combattants de] Wagner ont pillé une vingtaine de boutiques, et ont pris 60 motos Sanili et près de trente millions de francs CFA aux commerçants qu'ils ont tués. »