Sénégal: Emploi, compétitivité, souveraineté alimentaire... - Ces défis économiques qui attendent Bassirou Diomaye Faye

27 Mars 2024

L'emploi, la compétitivité économique et la souveraineté alimentaire sont les chantiers prioritaires qui attendent le nouveau Président élu du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, estime l'économiste Mounirou Ndiaye. L'économiste et fiscaliste Mamadou Ngom identifie, de son côté, le relèvement du taux de pression fiscale comme l'un des défis majeurs pour une bonne mise en oeuvre des politiques publiques.

Quels sont les défis économiques pour le nouveau Président de la République, Bassirou Diomaye Faye ? L'économiste Mounirou Ndiaye considère la lutte contre le chômage comme la priorité du nouveau Président. En effet, malgré les taux de croissance obtenus depuis 2000, le chômage, soutient-il, n'a pas reculé. « L'emploi repose sur une mécanique économique fortement tributaire du rythme de création de richesses et de leur répartition.

Or, l'économie sénégalaise a connu une croissance continue dont la moyenne a été supérieure à 3 % dans la période 2000-2012 et à 5 % dans la période 2012-2024. Pourtant, le taux de chômage officiel, qui était de 12 % environ en 2011, se situe actuellement à près de 23 %. De même, le chômage des diplômés est passé de 16 à 34 % durant la même période », explique le Pr Ndiaye.

Mais, l'économiste trouve important de se départir de cette croyance que la croissance économique crée de l'emploi. Pour lui, il faut aussi reconnaître qu'il n'y a pas eu de politique d'emploi digne de ce nom, mais des programmes qui n'ont finalement été que des artifices sans suite. « Aucun n'a été évalué pour appuyer techniquement ces programmes. Et ils ont donc tous échoué, comme l'a reconnu le Président Macky Sall en mars 2021 », ajoute le spécialiste.

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L'autre chantier à côté de l'emploi, estime le spécialiste, c'est la dynamisation de l'économie pour plus de compétitivité. « L'exécution du Pse à partir de 2014 est très illustratrice : environ 11 000 milliards de FCfa dépensés pour une croissance cumulée inférieure à 50 % en 10 ans. La productivité de l'économie sénégalaise a été très faible et cela justifie son besoin perpétuel de perfusion », affirme-t-il. Mounirou Ndiaye fait remarquer qu'après les 3927 milliards de FCfa d'engagements obtenus au groupe consultatif de Paris en 2014 pour la phase 1 du Pse (Pap 1 : 2014-2018), des engagements de 7356 milliards de FCfa ont été décrochés en 2018 dans la perspective de la phase 2 du Pse. « Ainsi, la dette publique du Sénégal est passée d'environ 40 % du Pib en 2014 à 67 % en 2020. L'encours de la dette publique se situe à 20 000 milliards de FCfa actuellement, soit plus de 70 % du Pib », argumente-t-il.

Développer le secteur agricole et la préférence nationale

Avec les ruptures annoncées dans son projet de société, le Président Bassirou Diomaye Faye, assure le Pr Mounirou Ndiaye, pourrait définitivement mettre un terme à un paradoxe qui est le principal élément qui plombe l'éclosion du potentiel économique du Sénégal. L'agriculture, annoncée comme priorité face à l'extrême maigreur des moyens qui lui sont consacrés, pourrait permettre, selon l'économiste, le développement si les moyens budgétaires suivent. En 2024, le budget du secteur se situe à moins de 4,5 % des dépenses publiques et moins de 6 % du budget général de l'État.

La loi de finances rectificative, prévisible dans les semaines à venir, doit au moins permettre d'aller jusqu'à 10 % du budget de l'État en 2024, en conformité avec les accords de Maputo, d'après Mounirou Ndiaye. « Il est envisageable d'atteindre 20 % du budget de l'État en 2026 à raison de 5 % de plus par an à partir de 2025 », ajoute-t-il. À ses yeux, il est impossible de relever les défis de la création de richesses, de la réduction de la pauvreté et du chômage sans une croissance accélérée dans les activités agro-sylvo-pastorales et halieutiques.

Afin de permettre au secteur agricole, au sens large, de porter 80 % des besoins d'emploi, l'État, explique l'économiste, doit apporter les ajustements nécessaires sur le plan foncier, de la modernisation et de la professionnalisation de l'agriculture familiale, de la régulation et de la protection des marchés et des débouchés locaux, de l'accompagnement des transformateurs locaux et des infrastructures de stockage et de conservation à travers tout le pays. Le successeur du Président Macky Sall devra aussi favoriser le développement de la culture rizicole et autres spéculations, car, avance le Pr Ndiaye, la souveraineté et la sécurité alimentaires vont non seulement renforcer la résilience et l'assise économiques du pays, mais aussi être un apport indispensable sur notre position extérieure dans la perspective de l'autonomie monétaire.

Toutefois, M. Ndiaye pense que cela doit s'accompagner d'un changement des habitudes alimentaires extraverties des Sénégalais qui est le lit des importations. « Par exemple, l'Isra devrait, en collaboration avec l'Institut de technologie alimentaire (Ita), pouvoir proposer une farine composée à partir du niébé, du mil, du sorgho et du maïs, en substitut du blé importé où est injecté plus de 110 milliards de FCfa chaque année », propose-t-il.

MAMADOU NGOM, ÉCONOMISTE-FISCALISTE

« Il faudra repenser la structure des dépenses fiscales »

Sur le plan fiscal, les priorités du cinquième Président sont de divers ordres, selon l'économiste-fiscaliste Mamadou Ngom. Pour lui, celui qui attire plus l'attention est l'alignement au critère de convergence fiscale de 20 % dans l'Uemoa. « Certes, nous avons une position confortante par rapport aux autres pays de l'Uemoa, mais nous peinons à franchir le seuil de 19 % depuis ces trois dernières années.

Bien évidemment, atteindre cet objectif se base sur la nécessité d'élargir notre assiette d'imposition en apportant des corrections déjà prévues par nos textes fiscaux », estime-t-il. Mamadou Ngom d'identifier plusieurs politiques prioritaires. Il s'agit d'abord, selon lui, de corriger les abus sur le système d'exonération et de remises gracieuses. À l'en croire, même si les exonérations et remises d'impôts sont réglementées, il n'en reste pas moins qu'elles doivent impacter positivement sur l'économie.

Autrement dit, soutient-il, ces mesures doivent plus profiter aux acteurs créateurs d'une forte valeur ajoutée ou d'emplois permanents. Listant les priorités, l'expert pense également qu'il faudra repenser la structure des dépenses fiscales en se fondant plus sur les critères d'équité fiscale. « La fonction de redistribution, qui a un caractère social, nous permet de redynamiser les institutions en charge d'administrer et de gérer les cotisations fiscales et sociales. Le problème de liquidité ne se pose pas ; c'est plutôt une affectation inefficace de ses ressources », dit-il.

Cela laisse présager qu'il faut innover en mettant en place des systèmes d'allocations performants et innovants, assis sur des critères de répartition optimale, quelle que soit l'activité occupée par les ayants droit. « La valeur ajoutée nationale est, en effet, l'affaire de tout le monde », souligne Mamadou Ngom. Fort de cela, il juge important de mettre en place un cadre fiscal plus incitatif permettant de relancer l'activité industrielle nationale. Cette façon de faire n'exclut pas, d'après lui, la mise en place d'un Statut des Pme plutôt qu'une simple charte qui est moins sécurisante, car nos Pme traversent actuellement des situations financières et fiscales difficiles.

À en croire Mamadou Ngom, le pays dispose d'autres niches fiscales à faire entrer dans l'assiette pour assouplir le poids de l'impôt dans certains secteurs d'activité. « Même avec les recettes non fiscales et douanières espérées les années à venir, il n'en reste pas moins que nos recettes fiscales ne sont pas à leur niveau optimal », constate l'économiste-fiscaliste. Citant le Ministère des Finances et du Budget, Mamadou Ngom note que les recettes fiscales hors douane, en 2023, sont de 2206 milliards de FCfa et les recettes douanières à la même période sont portées à 1416 milliards de FCfa. Ces recettes nettes fiscales comparées au budget de 2023, arrêté à 6411 milliards de FCfa, présentent un rapport recettes fiscales totales sur budget d'une moyenne de 57 %.

La stabilité, une revendication « collective » du secteur privé

Les attentes sont également nombreuses pour le secteur privé. La plus importante, selon le Directeur exécutif du Club des investisseurs du Sénégal (Cis), Abdoulaye Ly, est le rétablissement de l'État de droit afin d'avoir un cadre propice à la compétitivité économique. « C'est une revendication collective, car la paix et la stabilité sont des catalyseurs de l'investissement.

On a beaucoup souffert des violences. Il faut un État de droit pour une compétitivité du secteur privé. Ce secteur a été abimé », analyse-t-il. Pour M. Ly, le Gouvernement à venir devra également poursuivre les politiques de souveraineté économique et alimentaire, devenues des exigences depuis la Covid-19 et le conflit russo-ukrainien. « Il s'agit surtout de tirer les leçons de la guerre en Ukraine et des effets persistants de la Covid-19 à travers les problèmes d'approvisionnement », souligne-t-il.

À l'en croire, cette souveraineté tant voulue n'a de sens que si elle est durable et portée par le secteur privé. « Dieu nous a donné tous les atouts du monde. Nous avons l'eau, les minerais, 240 000 hectares de terres arables dans la vallée, le bassin de l'Anambé... Donc, en renforçant les politiques et initiatives, nous pourrons assurer cette souveraineté alimentaire », estime Abdoulaye Ly. Concernant la création de champions nationaux, le Directeur exécutif du Club des investisseurs du Sénégal appelle à la protection des industries naissantes.

« Les boîtes et industries, telles que Amazon (États-Unis) et Ali Baba (Chine), ont été très tôt protégées par leurs États. C'est une nécessité, aujourd'hui, pour nos jeunes entreprises. Il faut également développer le secteur financier afin de faire du marché financier un outil de développement des Petites et moyennes entreprises », estime Abdoulaye Ly.

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