Au Burkina Faso, le Fonds national de la recherche et de l'innovation pour le développement (FONRID) joue un rôle capital dans le financement des projets de recherche. Depuis sa création en 2011, elle a, à son actif le financement de plus de 200 projets dans des domaines variés.
Dans cette interview accordée à SciDev.Net, son directeur général, Babou André Bationo, chercheur en biologie, écologie végétale, précise l'importance d'une telle institution dans le développement et la promotion de la recherche scientifique.
Quel est l'intérêt d'avoir dans les Etats africains des organismes comme le FONRID ?
La recherche est un domaine de souveraineté et elle est une activité transversale du développement. Nos pays ont construit des universités, des centres de recherche, mais ils n'avaient pas l'habitude de financer de façon directe les activités de recherche. La plupart des activités sont financées par l'extérieur.
"Il n'y a pas de connaissance sans investissement. Produire la connaissance coûte cher. Que le secteur privé décide de participer à la production des connaissances dont elle a besoin pour se développer est formidable"Babou André Bationo, Directeur général, FONRID
Mais à un moment donné, au Burkina Faso, l'État a compris qu'il fallait mettre en oeuvre un mécanisme de financement de la recherche pour lui donner un élan et montrer qu'elle est un domaine de souveraineté. Nous devons mettre notre argent, même s'il est insignifiant, pour financer ce que nous voulons, en fonction de nos objectifs de développement. C'est dans ce cadre que le Burkina Faso et d'autres pays africains ont mis en place des institutions de financement de la recherche.
A ce jour, combien de projets ont été financés par cette institution ?
Depuis sa création en 2011, le FONRIID a déjà financé environ 200 projets dans les domaines de la santé, de l'agriculture, de l'élevage, de la foresterie, de l'éducation, etc. Mais, nous avons reçu plus de 2000 propositions. Malheureusement, nous n'avons pas la possibilité de financer l'ensemble des bons projets. Et donc, nous prenons les meilleurs.
Comment sont sélectionnés les projets à financer ?
Pour décrire le processus, le FONRID a un plan stratégique. Ce plan définit les thèmes et les axes clés de recherche. Ces axes sont des priorités de recherche définies par les acteurs de la recherche aussi bien du public que du privé, c'est-à-dire l'ensemble des acteurs du domaine. Lorsque le FONRID veut faire un appel à projets, il tire les substances dans ce plan pour lancer l'appel en question. Lorsque le FONRID lance l'appel, les acteurs du public et du privé soumettent leurs propositions.
La recevabilité de ces propositions est vérifiée au niveau du FONRID. Ensuite chaque projet est envoyé à deux experts (des enseignants d'université, des chercheurs, des experts étrangers) du domaine. Chacun des experts l'analyse, l'évalue en fonction des critères qui ont été retenus avant de renvoyer son évaluation et ses commentaires au FONRID.
Que se passe-t-il ensuite ?
L'étape suivante est l'évaluation du Comité scientifique du FONRID qui, à son tour, évalue les projets et regarde ce qu'ont dit les premiers experts qui ont évalué les projets. Et le comité scientifique se réunit pour analyser les notes et les commentaires faits par tous les experts. Puis, il sélectionne les projets en fonction d'un certain nombre de critères dont la pertinence, la qualité scientifique et la qualité de l'équipe qui va mettre ce projet en oeuvre. En fonction de l'enveloppe dont nous disposons pour financer les projets, nous retenons les meilleurs projets dans chaque domaine.
Enfin, nous soumettons les projets retenus au Conseil d'administration qui, après analyse, donne l'autorisation à la direction du FONRID, de financer ces projets. Lorsque ces projets sont financés, le FONRID les suit en collaboration avec les bénéficiaires pour atteindre les résultats escomptés.
Quelle est l'origine des fonds dont se sert le FONRID pour financer ces projets de recherches ?
Le principal bailleur du FONRID est l'État du Burkina Faso. L'État met à notre disposition une subvention annuelle pour financer un certain nombre de projets. Mais nous avons aussi des partenariats extérieurs, par exemple dans le cadre des réseaux des organismes subventionnaires de la recherche, et bien d'autres.
Nous avons aussi, au niveau national, des acteurs locaux. La mobilisation n'est pas encore au niveau que nous souhaitons, mais il ne faut pas négliger ces acteurs. Et, c'est même là que nous voulons mettre l'accent. Notre travail, c'est de faire en sorte que le financement de la recherche soit en grande partie assuré par la partie nationale ; c'est-à-dire l'État et les nationaux à savoir les entreprises, les acteurs du développement. Mais nous avons aussi des partenariats à l'étranger. Nous ne pouvons pas vivre en autarcie.
De quels pays viennent ces financements extérieurs ?
Ces collaborations viennent du Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Nous avons des projets financés par le Canada. Nous avons des financements qui viennent de l'Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS) dont le CRDI est un bailleur important. Nous avons aussi la Fondation sud-africaine pour la recherche, le Commonwealth, la coopération allemande, la coopération suédoise, etc. C'est un ensemble de pays qui se sont mis ensemble pour financer la recherche dans le cadre de l'IOSRS.
Quels sont les principaux succès à mettre à l'actif du FONRID depuis sa création ?
Pour moi, l'acquis le plus important, c'est le fait de montrer que c'est d'abord nous-mêmes qui devons financer notre recherche. Le fait que l'État ait compris à un moment donné que la recherche doit prendre une part active dans le développement du pays a été une très bonne chose.
L'autre acquis, c'est l'impact des résultats obtenus. Dans le domaine de l'agroalimentaire, l'environnement, la vie sociale, l'éducation, etc., beaucoup de résultats ont été obtenus par les 200 projets mis en oeuvre et largement valorisés dans différents secteurs économiques. Ces résultats ne sont pas seulement à mettre à l'actif du FONRID mais également à l'actif des universités et des centres de recherche où se mène la recherche ainsi qu'à l'actif des acteurs du développement qui les utilisent.
Qu'en est-il de la participation des acteurs locaux que vous avez évoquée précédemment ?
Les acteurs locaux du développement commencent à comprendre qu'ils doivent financer la recherche pour trouver des solutions aux problèmes qu'ils rencontrent. Ils ne sont pas nombreux pour le moment, mais c'est très important. Nous avons de petits accords avec certaines filières (anacarde, mangue...). Cette conscience qui commence à naître, à savoir que la recherche doit être financée par nous-mêmes et que des acteurs privés commencent à le comprendre, est un autre acquis. Il n'y a pas de connaissance sans investissement. Produire la connaissance coûte cher. Que le secteur privé décide de participer à la production des connaissances dont elle a besoin pour se développer est formidable.
Quelles difficultés opérationnelles rencontre le FONRID dans son fonctionnement ?
La vraie difficulté, c'est le financement. Nous avons enregistré plus de 2000 demandes ; ce qui est d'ailleurs en deçà du potentiel. Beaucoup ne soumettent pas leurs projets entre autres à cause de la modestie du montant par projet. Nous n'avons pu en financer que 200, soit environ un dixième des propositions reçues.
Qu'est-ce que le FONRID tire comme profits de sa participation à l'IOSRS ?
C'est un grand avantage d'être dans des réseaux. Cela nous permet de nous faire connaître, d'avoir de l'expérience, de partager notre expérience avec les autres. Nous apprenons des autres et eux aussi apprennent de vous. Nous partageons nos difficultés et nous imaginons des solutions ensemble. Cette association des agences de financement de la recherche compte 17 pays dont le Burkina Faso.
Les thèmes qu'on y aborde sont aussi des priorités de nos pays. Par exemple la valorisation de la recherche, l'aspect genre, le renforcement des capacités des organismes comme le nôtre pour bien gérer les connaissances, les diffuser par une communication stratégique, sont des points clés que le SGCI (sigle en anglais de IOSRS) défend et soutient. Notre présence dans cette association, est à mon avis très importante pour le partage des connaissances et pour le travail en synergie.
Quelles améliorations peut-on apporter à ce programme pour le rendre encore plus bénéfique pour les institutions qui y prennent part ?
Il fait déjà de très bonnes choses que nous partageons. Mais nous pouvons l'améliorer en essayant d'ouvrir les portes à d'autres bailleurs extérieurs. Ensemble, nous sommes plus forts. Nous pouvons construire des idées qui peuvent séduire un certain nombre de bailleurs. Cela nous permet d'aller en rangs serrés pour défendre des idées et pour convaincre. Si nos 17 pays décident de soutenir une idée de projet, cela peut accroître sa crédibilité auprès des décideurs, des bailleurs et des utilisateurs des connaissances générées et les résultats auront plus d'impacts.
Comment voyez-vous l'avenir de la recherche scientifique au Burkina Faso ?
L'avenir va être lié à notre conviction que la recherche peut nous aider à résoudre nos problèmes. Nous devons avoir à l'idée que la recherche peut être une partie de la solution de nos problèmes. Je ne dis pas la solution, mais une partie de la solution. Si nous continuons de ne pas associer la recherche à la résolution de nos problèmes de développement, la recherche n'avancera pas. Mais si nous pensons qu'une partie de la solution de nos problèmes peut venir de la recherche, alors la recherche aura une place prépondérante dans le développement de nos pays. Ainsi, tout le monde s'intéressera à la recherche.
Quelles sont les perspectives du FONRID ?
C'est d'abord de nous faire connaître, faire connaître les recherches que le FONRID finance et leur impact. C'est ainsi que nous allons accroître notre crédibilité. C'est véritablement un pilier important. C'est la raison pour laquelle nous travaillons avec tous nos partenaires pour faire connaître les produits de la recherche par le citoyen lambda.
L'État est le principal contributeur. Il s'agit donc de l'argent du contribuable. Il faut qu'il voie ce que la recherche a engendré comme impact sur le plan de la santé, de l'alimentation, de l'environnement, en somme, dans sa vie quotidienne. Un autre aspect est d'accroître les financements aussi bien du côté de l'État que du privé. Il faut que les acteurs du développement s'intéressent au financement de la recherche et surtout à la valorisation économique des résultats générés.
Cet article a été produit avec le soutien de l'Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS), qui vise à renforcer les capacités institutionnelles de 17 agences publiques de financement de la science en Afrique subsaharienne.