Ile Maurice: Aneeta Ghoorah - «On enquête sur six enfants qui sont internés à l'hôpital Brown-Séquard»

interview

Elle a connu un riche parcours professionnel. Enseignante de chimie de 1985 à 2000, puis rectrice adjointe et rectrice de 2001 à 2007, Aneeta Ghoorah a aussi été assistante directrice et directrice de la Zone 3 avant d'être rattachée au siège du ministère de l'Éducation jusqu'à sa retraite en janvier de cette année. Elle a alors été nommée «Ombudsperson for children» en février. Elle revient sans détour sur ses priorités...

Vous avez été nommée «Ombudsperson for children» le 19 février. Après avoir passé un mois en poste, quelles sont vos priorités pour nos enfants ?

Cela fait cinq semaines que je suis en poste et la priorité de mon bureau reste l'intérêt supérieur de l'enfant. Tous les cas nous concernent.

Quels sont les dossiers prioritaires pour vous ?

Ces jours-ci, on note toutes sortes de violences envers certains enfants au niveau de la société et, de ce fait, on doit promouvoir leurs droits et le respect, mais aussi situer les responsabilités. Dans un monde en constante évolution de la technologie informatique, il y a plusieurs défis à relever comme la pédopornographie et traquer les prédateurs en ligne mais aussi le harcèlement en ligne, entre autres... Il y a eu, par exemple, récemment l'affaire Telegram. Il faut aussi bien comprendre que tous les cas ne sont pas rapportés à notre bureau. On passe d'abord par la Child Development Unit (CDU) et la police, puis comme dernier recours dans certains cas, on frappe à notre porte lorsqu'on ne se sent pas entendu. Donc, nous avons un nombre inférieur de cas à traiter que la police et la CDU. Nous enquêtons également à notre niveau sur plusieurs dossiers lorsqu'une affaire éclate. Toute personne peut se tourner vers nous soit par téléphone soit en venant sur place, dans nos locaux. Et elle peut dénoncer un cas anonymement.

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La vidéo de la petite fille de quatre ans a choqué plus d'un. Pensez-vous qu'il faut un durcissement de la loi en ce qui concerne la protection des enfants ?

Avec la Children's Act 2020, les sanctions sont déjà plus sévères. Mais cela n'a pas forcément diminué les cas rapportés. L'affaire est complexe. Elle concerne tout Mauricien. Il faut miser sur la sensibilisation. Et je pense qu'il faut désormais un one stop pour les enfants qui sont victimes de toutes sortes de violences. Que leurs témoignages soient enregistrés et soient faits devant toutes les autorités concernées. Comme cela, l'enfant n'a pas à raconter la même chose plusieurs fois. Et on évite de le traumatiser à plusieurs reprises.

Avons-nous des chiffres concernant les cas de violences physiques rapportés par les enfants l'année dernière/cette année ? Et pourquoi certains n'osent-ils toujours pas venir de l'avant ? Comment faire pour que les enfants se sentent protégés et connaissent aussi leurs droits ?

De juillet 2022 à août 2023, il y a eu 446 cas rapportés, dont 50 % concernaient des cas de violences (NdlR, dernier chiffre compilé). C'est presque la même tendance chaque année. Plusieurs n'osent pas venir de l'avant par peur des représailles. Mais il faut savoir que selon la Children's Act, il est obligatoire de signaler le cas d'un enfant en danger. Au cas contraire, vous pouvez être poursuivi comme étant complice. Cette loi fait provision pour que l'identité du dénonciateur soit protégée.

La police et le ministère de l'Égalité des genres et du bien-être de la famille collaborent-ils pleinement avec votre bureau ?

Oui. La police et le ministère, notamment la CDU, sont nos partenaires privilégiés. D'ailleurs, j'écris au commissaire de police pour certains cas.

La gestion des «shelters» est aussi très critiquée par l'opposition, notamment depuis des années. Entre enfants maltraités et manque de soins et d'accompagnement, des «caregivers» ont été traînés devant la justice pour mauvais traitements durant les dernières années. Quel est votre constat ?

J'ai eu la chance d'en visiter deux depuis que je suis en poste et je dois vous dire qu'il ne faut pas généraliser. Il y a des shelters qui sont très bien. Puis, à notre niveau, il y a aussi des visites surprises sur les lieux pour nous assurer que les normes et les conditions sont respectées. S'il y a un couac, on écrit officiellement au manager qui a environ un mois pour y remédier. Au cas contraire, ce sont les enforcement officers du ministère de l'Égalité des genres qui entrent en jeu et prennent des actions. Nous n'avons pas le pouvoir de sanctionner un abri à notre niveau.

Les employés de ces abris ne devraient-ils pas bénéficier de plus de formation à l'avenir ?

Définitivement. Il faut une formation en continu pour tous. Surtout dans un monde où tout change constamment.

Certains enfants placés passent des semaines, voire des mois, à l'hôpital avant d'avoir une place dans un abri. Il y a aussi ceux qui sont envoyés à l'hôpital Brown-Séquard pour des traitements...

Le problème avec les abris pour enfants, c'est que bien souvent, les enfants placés y demeurent jusqu'à l'âge de 18 ans. Alors que les abris devraient en principe servir de solutions temporaires pour eux, le temps de trouver une solution à long terme. Je suis plutôt pour l'option des familles d'accueil, qui sont plus appropriées pour l'épanouissement de l'enfant. L'enfant grandit dans le cocon familial. Pour ce qui est des enfants qui se retrouvent bien souvent à l'hôpital, il s'agit de ceux qui sont, par exemple, hyperactifs et qui sont difficilement contrôlables par les shelters. Ils sont alors envoyés à l'hôpital Brown-Séquard et après, certains shelters refusent de les reprendre. On enquête sur six enfants qui sont actuellement internés à l'hôpital Brown-Séquard. Cela fait beaucoup de temps qu'ils y sont... On veut notamment savoir depuis quand ils ont obtenu leur décharge de l'établissement hospitalier et dans quels abris ils étaient, entre autres.

Ne croyez-vous pas que la CDU est dépassée ?

Étant un service essentiel, avec les nouveaux défis contemporains, je pense qu'il faut plus de personnel pour améliorer son travail. Et aussi plus de formation pour ces personnes.

Le dossier de l'adoption tenait à coeur à votre prédécesseur. Êtes-vous pour ou contre ?

Oui et non, dépendant de l'angle. Il faut un bon cadre légal afin d'éviter le trafic de bébés avant tout.

Autres problèmes : la drogue dans les écoles touchant les mineurs mais aussi les cas de «bullying», entre élèves. Votre bureau est-il largement sollicité pour cela ?

C'est vrai que le bullying prend de l'ampleur. Et pour cela, il faut encadrer les jeunes dans les écoles où des cas sont rapportés. Je ne dis cela pas juste pour la victime mais aussi pour l'agresseur. Bien souvent, il y a des éléments déclencheurs chez ce dernier qui le poussent à agir de la sorte. Souvent, ce sont des problèmes familiaux. Le harcèlement à l'école continue aussi hors des heures de cours avec des vidéos de l'acte postées sur les réseaux sociaux.

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