Au Sénégal, alors que le plus jeune président de l'histoire du pays et du continent africain, Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, doit être investi aujourd'hui, les attentes des Sénégalais sont nombreuses. Porté à la présidence par le désir de changement de 54,3% des électeurs qui l'ont élu dès le premier tour, il fera face dès son investiture à des défis considérables. Quelles seront ses priorités et comment va-t-il procéder ?
Le plus jeune président du Sénégal, le panafricaniste de gauche Bassirou Diomaye Faye, élu sur la promesse de rupture avec le système en place, prête serment mardi 2 avril après une ascension éclair, faisant face à des défis aussi considérables que les espoirs placés en lui. Jamais élu auparavant, il devient à 44 ans le cinquième président du pays ouest-africain depuis l'indépendance en 1960.
La cérémonie d'investiture est prévue en fin de matinée à Diamniadio, près de Dakar. Bassirou Diomaye Faye succède pour cinq ans à Macky Sall, 62 ans, qui a dirigé le pays de 18 millions d'habitants pendant douze années et maintenu des relations fortes avec l'Occident et la France. Plusieurs chefs d'État, dont des représentants des juntes militaires du Sahel, sont attendus (lire encadré ci-dessous).
La passation de pouvoirs entre MM. Sall et Faye aura lieu ensuite au palais présidentiel à Dakar.
Cette alternance par les urnes, la troisième dans l'histoire du Sénégal, marque la fin d'un bras de fer de trois ans entre Macky Sall et le duo gagnant de la présidentielle du 24 mars : Bassirou D. Faye et celui qui, disqualifié, l'a finalement adoubé, Ousmane Sonko.
Saluée par Paris, Washington et l'Union africaine, son élection, célébrée par des foules en liesse, a été précédée par trois années de tensions et de troubles qui ont fait des dizaines de morts. Le Sénégal, connu comme un îlot de stabilité en Afrique de l'ouest, avait traversé une nouvelle crise en février quand le président Sall avait décrété l'ajournement de la présidentielle, creusant la défiance entre une partie de la population et ses dirigeants.
Des défis économiques
Porté au pouvoir par le désir de changement des Sénégalais, il devra relever des défis importants. Baisser le coût de la vie, lutter contre la corruption et oeuvrer à la sécurité alimentaire voilà quelques-uns des chantiers prioritaires listés par Bassirou Diomaye Faye lors de sa première déclaration publique après sa victoire. Des mesures ambitieuses et qui nécessiteront des ressources conséquentes de l'État. Dans son programme, Bassirou Diomaye Faye promet également de rétablir une « souveraineté » économique.
Avec la renégociation de contrats pétroliers et gaziers, par exemple ou des accords de pêche ou encore oeuvrer à quitter le franc CFA dans les prochaines années et investir dans l'agriculture pour se rapprocher de l'autosuffisance alimentaire. Le tout en rassurant les bailleurs internationaux sur les intentions du Sénégal de rester un allié sûr et fiable.
Mais son principal défi, selon plusieurs analystes, sera « la création d'emplois » dans un pays où deux Sénégalais sur trois ont moins de 35 ans et où le taux de chômage s'élève officiellement à 20 %. « Résoudre le problème du chômage prendra du temps et ne sera pas facile », analyse l'économiste Mame Mor Sene. Car « c'est toute la structure de l'économie qu'il faut modifier ». Investir dans le secteur industriel, par exemple, alors que l'économie sénégalaise repose plutôt sur les services.
Le nouveau président devra répondre aux attentes de la population dans un contexte économique difficile. L'inflation reste élevée, la croissance a été fortement ralentie depuis la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine. Le Sénégal fait aussi partie des pays les plus endettés du continent. Avec une dette avoisinant 75% du PIB, le Sénégal est déjà le 12e pays le plus endetté du continent et les marges sont donc limitées.
Quelles sources de revenus pour répondre aux priorités ?
Mais selon l'économiste Abdou Kane, la plupart des mesures proposées dans le programme de Bassirou Diomaye Faye ne seront pas forcément extrêmement coûteuses. Pour le nouveau régime, il s'agira d'abord de réorienter les priorités. À savoir moins de dépenses sur les grosses infrastructures comme c'était le cas sous Macky Sall, avec des projets comme le TER ou le BRT, le bus rapide urbain.
Plusieurs pistes pour mobiliser des ressources supplémentaires sont aussi évoquées. D'abord d'importantes réformes fiscales, comme la suppression de nombreuses exonérations mais aussi un contrôle renforcé du paiement des taxes par les entreprises étrangères.
La lutte contre la corruption, l'une des promesses phares de Bassirou Diomaye Faye, pourrait aussi permettre de dégager plusieurs milliards de francs CFA supplémentaires chaque année. Même si, selon les spécialistes, cette lutte se fera sur le long terme.
Enfin, l'État sénégalais pourra aussi compter sur un meilleur climat des affaires. Les tensions politiques de ces dernières années avaient freiné de nombreux investissements. L'exploitation prochaine du gaz et du pétrole pourrait aussi rapporter jusqu'à un milliard d'euros par an au pays. Mais elle a pris beaucoup de retard.
Enfin, le jeune président est très attendu sur son gouvernement. Qui pour le composer ? Quelle place tiendra son mentor et leader de parti Ousmane Sonko, qui devait être candidat à sa place s'il n'en avait pas été empêché par une condamnation de justice ?
Les juntes malienne, nigérienne et burkinabè présentes à l'investiture
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, trois pays du Sahel qui ont claqué la porte de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (Cédéao), auront des représentants à Dakar ce mardi 2 avril pour la passation de pouvoir. Le Mali et le Burkina seront représentés par les présidents des Parlements de transition, respectivement Malick Diaw et Ousmane Bougouma. Quant au Niger, où il n'existe pas encore de Parlement de transition, on assure que le fauteuil du Niger à la cérémonie ne restera pas vide.
Ces invitations et les réponses réservées par ces pays enchantent ce haut responsable de la Cédéao qui sera à la cérémonie. « Le Mali, le Niger et le Burkina ont leur place parmi nous, et il y a toujours de la place pour un dialogue », explique cette source. Les nouvelles autorités sénégalaises pourraient même faciliter ce dialogue pour que le Mali, le Niger et le Burkina Faso reconsidèrent leurs décisions de quitter l'organisation régionale. Mais en venant à Dakar, les représentants des trois pays savent qu'ils vont également rencontrer du grand monde. L'occasion de faire passer des messages.
Parmi les autres invités sont attendus le Nigérian Bola Ahmed Tinubu, président en exercice de la Cédéao, le Mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, le Gambien Adama Barrow, le Guinéen Mamadi Doumbouya et le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embalo sont annoncés, tout comme le vice-président ivoirien Tiémoko Meyliet Koné et le Premier ministre rwandais Edouard Ngirente.