C'est ce 2 avril 2024 que le nouveau président élu du Sénégal va sauter, pieds joints, dans l'histoire de son pays, pour avoir réussi à battre à plate couture pour sa première tentative et au premier tour, le candidat de la coalition au pouvoir, quelques jours seulement après sa sortie de prison.
« Devant Dieu et devant la nation sénégalaise », Bassirou Diomaye Faye va jurer de « remplir fidèlement la charge de président de la République du Sénégal, d'observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois » et « de ne ménager aucun effort pour la réalisation de l'unité africaine ».
Il prendra, en fin de matinée, les rênes de la vitrine démocratique du continent devant un parterre de chefs d'Etat venus de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et de la Mauritanie voisine, après son adresse à l'assistance présente pour l'occasion au Centre International de conférences Abdou Diouf de Diamniadio, suivie de la passation de charges avec le président sortant, Macky Sall, au Palais de la République. La cérémonie de ce jour est un tournant à deux titres pour le Sénégal et pour son nouveau président, puisqu'elle met fin au règne de la coalition Benno Bokk Yakaar perçue par de nombreux Sénégalais comme une machine à prébendes clientélistes, et installe tranquillement sur le piédestal du pouvoir, un homme jeune et intègre qui a brillamment réussi son baptême de feu.
Bassirou Diomaye Faye aura a priori les coudées franches pour diriger le Sénégal
Au regard de l'espoir qu'il suscite et des résultats engrangés dans les centres urbains et dans les campagnes lointaines lors de la présidentielle qui vient de le propulser à la tête du pays, on peut dire que Bassirou Diomaye Faye aura a priori les coudées franches pour diriger le Sénégal pendant les cinq prochaines années, malgré son inexpérience dans la gestion des affaires publiques.
Pour autant, l'état de grâce risque d'être de courte durée quand on sait que dans ce Sénégal légué par Macky Sall, la demande sociale est tellement forte et la crise économique tellement profonde que le nouveau président devra mettre tout de suite et rapidement le pied à l'étrier pour redonner de l'espoir à cette jeunesse déboussolée, et pour éviter de battre le triste record du règne le plus court de l'histoire de son pays.
Les défis sont si colossaux que beaucoup d'observateurs se demandent si ce président qui semble lui-même surpris par sa propre élection, aura les épaules suffisamment solides et le dos assez large pour habiter cette fonction présidentielle dont on dit qu'elle est éreintante, surtout dans un pays exigeant comme le Sénégal. Le doute est permis même s'il bénéficie du soutien de certains cadors de la politique, et surtout de son maitre à penser, Ousmane Sonko. Une présence pesante de ce dernier risque de faire plus de mal que de bien au nouveau président, et on imagine les boules de feu que les deux complices d'aujourd'hui pourraient se lancer dans les prochains mois, surtout si la présumée dualité dont on parle déjà se confirmait au sommet de l'Etat.
Il est possible, en effet, que par devoir de gratitude vis-à-vis de celui qui l'a fait roi, le président Bassirou Diomaye Faye "bombarde" son alter ego Ousmane Sonko au poste de vice-président de la République, s'il ne prend pas le risque inconsidéré de dissoudre l'Assemblée nationale juste pour lui permettre d'occuper le perchoir au Parlement en cas de victoire de la majorité présidentielle.
C'est vrai que tout cela relève, pour le moment, du fictionnel. Mais il y a eu ailleurs en Afrique des précédents qui renforcent l'incertitude quant à la cohésion du binôme Faye-Sonko jusqu'à la fin du mandat de celui qui est en train d'être investi comme président du Sénégal peut-être au moment où vous aurez cet article sous les yeux.
On sait, en effet, ce qu'il est advenu des couples Ouattara-Soro en Côte d'Ivoire, Kagamé-Kayumba au Rwanda, Tshisekedi-Kamerhé en RDC et Biya-Edzoa au Cameroun, et on espère que la présidence de Bassirou Diomaye Faye ne sera pas parasitée par une attitude paternaliste de son mentor, par le choc des ambitions des deux "amis" ou par l'ego surdimensionné de l'un et l'autre.
Le président Faye doit savoir que c'est à lui que ses compatriotes demanderont des comptes à la fin de son mandat, et il doit d'ores et déjà, s'atteler à la mise en oeuvre des réformes liées à la gouvernance qu'il a annoncées tambour battant, plutôt que de se ruiner dans des querelles picrocholines d'arrière-garde sur fond de règlement de comptes, comme on en a vu pendant le règne de ses prédécesseurs.
Cinq ans, c'est vite passé, et s'il veut que ses compatriotes lui renouvellent leur confiance en 2029, c'est dès aujourd'hui que le travail de persuasion commence pour lui et pour son équipe, en accordant une place prioritaire à l'apaisement du climat politique, au développement économique et à la lutte sans merci contre la corruption dont il s'est fait le chantre pendant la campagne électorale.