En Tunisie, la migration vers l'Europe fait la une de l'actualité depuis des années maintenant. Mais un phénomène plus silencieux commence à sortir de l'ombre : celui des retours au pays. L'artiste et slammeur Hatem Karoui se met en scène dans une pièce qu'il a intitulé Boomerang. Celui qui a décidé de revenir vivre en Tunisie après une courte expatriation de six mois au Canada tente de questionner l'envie de départ qui poussent de nombreux Tunisiens à se détourner de leur pays.
Un an jour pour jour après son retour en Tunisie, Hatem Karoui monte sur scène pour croquer dix personnages tunisiens tiraillés face à un choix cornélien : quitter ou pas la Tunisie.
En tout cas, pour lui, la question est réglée : le Canada, non merci. Le mal du pays l'a emporté... La Tunisie, il y est, il y reste, explique-t-il. « Rapidement, les gens décident : "Allez, on va partir !" Et partir non pas seul, mais partir en famille. C'est une décision très lourde de conséquences ! Quand tu prends une décision pour toi, ta femme, tes enfants et après tu laisses tes vieux parents ici. Tu laisses tes racines ici, ce n'est pas évident. »
Une carte postale idyllique qui continue à faire tourner bien des têtes en Tunisie. Une fois arrivé sur place, Hatem Karoui, qui a travaillé pour les services canadiens de l'immigration, a déchanté : « Tu connais la loi de l'omerta en Sicile ? Le silence, le tabou... Mais moi j'ai vu des témoignages de Brésiliens, de Colombiens... Tous, ils disent la même chose : "Je ne peux pas vivre ici, j'ai envie de rentrer mais je ne peux pas, j'ai trop d'engagements ici." »
À peine le spectacle terminé qu'un couple et ses trois enfants montent sur scène, revenus du Canada, eux aussi, seulement quatre mois après leur départ. Un selfie et des remerciements glissés à Hatem Karoui pour avoir osé briser le tabou autour de l'envie de revenir au pays de certains émigrants.
À un moment donné, on se sent comme s'appauvrir de soi-même, année après année, même si ces personnes peuvent être tout à fait reconnaissantes de tout le parcours qu'elles ont fait à l'étranger, de ce que le pays d'accueil leur a donné. Mais il y a une part qui s'attriste, qui se mélancolise au fur et à mesure que les années passent, parce qu'on est loin de chez soi. Ce que je rencontre, moi, ce sont des personnes qui soit devaient partir - étaient vraiment prêtes à partir et finalement freinent leur départ pour réfléchir un peu plus à cet acte qui n'est plus du tout idéalisé - ou bien d'autres qui partent mais sans illusions.
On intègre aujourd'hui l'idée que le paradis n'existe pas ni en France ni en Tunisie et donc peut-être qu'on peut faire des choix où la Tunisie redevient un choix audible. Cela va avec l'idée qu'il y a peut-être la possibilité d'inventer quelque chose dans son pays, de travailler plus ici parce qu'il y a une désillusion profonde de ce que l'on peut trouver ailleurs. Donc je pense effectivement que revenir - je ne dirais pas tout de suite - mais revenir est moins tabou, moins honteux et plus entendable vraiment.