Le Sénégal a un nouveau président, le cinquième depuis son accession à l'indépendance en 1960 et le troisième après une alternance politique réussie.
Bassirou Diomaye Diakhar Faye, à 44 ans, a été en effet investi hier au Centre de conférences de Diamniadio devant huit chefs d'Etat étrangers, les corps constitués et un parterre de personnalités triées sur le volet. Rien ne prédestinait pourtant cet inspecteur des impôts à être là où il est aujourd'hui. Candidat par procuration, Ousmane Sonko ayant été emprisonné suite à des ennuis judiciaires, il a, à la surprise générale, raflé la mise, mais reste à savoir ce qu'il va en faire. Il a deux challenges qui sautent aux yeux.
D'abord on a le sentiment, depuis dimanche passé, que les Sénégalais auront un fauteuil pour deux pour la raison sus-évoquée. Bassirou Faye ayant été élu à défaut d'Ousmane Sonko, tous les observateurs sont curieux de savoir comment cet attelage va fonctionner. En attendant de savoir quelle fonction officielle il va occuper, Ousmane Sonko, dont on connaît l'omniprésence, acceptera-t-il de se faire tout petit et de se mettre au service du désormais président ou va-t-il au contraire vouloir exercer, même si ce sera en sous-main, les fonctions de chef de l'Etat ?
De la réussite de cet attelage, qui peut facilement tirer à hue et à dia, dépendra le succès du nouveau pouvoir. Outre l'omniprésence de Sonko, qui peut s'avérer problématique, le nouveau magistrat pourrait aussi être très rapidement confronté aux militants de l'ex-PASTEF et à ceux des partis qui l'ont soutenu, lesquels pourraient se poser en rentiers politiques pour exiger des dividendes qui leur seraient dus.
Le président du Conseil constitutionnel, comme pour appeler celui qu'on n'attendait pas à la tête de l'Etat il y a quelques mois de cela, n'a justement pas manqué de l'inviter à l'humilité et au sens de la mesure « A l'heure où surgiront les inévitables tentations du pouvoir, l'ivresse de la puissance et les démons de la division, il faudra se souvenir de la main de Dieu dont la volonté domine et détermine inéluctablement les moments que nous vivons. Vous êtes le garant de la démocratie sénégalaise, des droits et libertés et de l'unité du peuple sénégalais », lui a -t-il dit.
Le deuxième défi, ce sont les grosses attentes. Les nouveaux tenants du pouvoir n'ont cessé deparler de rupture avec l'ordre ancien et les attentes sur le plan socio-économiques sont énormes avec le chômage endémique qui pousse des milliers et des milliers de jeunes à entreprendre l'aventure occidentale, quitte à terminer leur traversée dans le ventre des requins. Le panier de la ménagère, qui ressent cette crise, peine à assurer un « tchep djien », le plat national du pays de la Teranga. Après trois dernières années d'agitation politique qui a entraîné des morts et des blessés, celui qui a promis "un changement systémique" à la tête de l'État et "plus de souveraineté" se voit aussi dans l'obligation de recoller les morceaux et d'oeuvrer à l'apaisement car comme il l'a dit dans son discours d'investiture, la stabilité est la principale richesse du pays. Selon lui, la victoire du 24 mars n'est pas celle d'un camp contre un autre mais celle du Sénégal tout entier.
"Le Sénégal, sous mon magistère, sera un pays d'espérance, un pays apaisé avec une justice indépendante et une démocratie renforcée", a -t-il promis. Après les affaires domestiques, le porte-drapeau du PASTEF a annoncé la couleur, surtout qu'en prêtant serment, il a juré de ne ménager aucun effort pour la réalisation de l'unité africaine. Les populations du Sahel, qui font face à la menace existentielle qu'est le terrorisme, ont sans doute apprécié le clin d'oeil que le premier magistrat sénégalais leur a fait en appelant à plus de solidarité entre les pays. « Sur le plan africain, l'ampleur des défis sécuritaires (...) nous oblige à plus de solidarité ...Je réaffirme l'engagement du Sénégal à renforcer les efforts déployés pour la paix, la sécurité, la stabilité et l'intégration africaine", a-t-il souligné.
Cet appel à plus de solidarité a de quoi ravir les présidents du Parlement des transitions malienne et burkinabè, qui représentaient leurs pays respectifs à cette « belle rencontre de la démocratie ». Il reste à savoir si, comme il l'avait annoncé dès sa victoire, il pourra ramener les trois frondeurs de la CEDEAO dans la famille alors que le capitaine Ibrahim Traoré, le colonel Assimi Goïta et le général Tiani ont clairement indiqué que leur décision était irrévocable.
Mais en politique, rien n'est impossible et qui sait si le nouveau venu ne va pas jouer de sa virginité politique pour concilier les positions a priori inconciliables entre les différents camps qui menacent même l'existence de l'organisation ? C'est dire qu'on observera ses premiers pas en matière de diplomatie sous-régionale.
En tout état de cause, une chose est d'être un opposant radical qui a réponse à tout et qui pense que tout se résout d'un claquement de doigts, une autre est de gérer le pouvoir d'Etat et là, c'est une autre paire de manches. Comme le dit si bien un adage, c'est au pied du mur qu'on saura si Diomaye Faye est un bon maçon qui ajoutera de la terre à la terre pour la construction de la nation sénégalaise et de la solidarité africaine.