Congo-Kinshasa: David Thonon - « Les résultats, c'est la priorité numéro un »

interview

Le nouveau délégué général de Wallonie-Bruxelles en République démocratique du Congo (RDC) prend petit à petit ses marques à Kinshasa. Fort de son passé commercial, il affiche déjà son ambition de réorienter les choses. C'est le sujet de cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa, six mois après sa prise de fonction en remplacement de Kathryn Brahy.

Vous avez pris les rênes de la Délégation Wallonie-Bruxelles depuis quelques mois, comment trouvez-vous l'atmosphère de Kinshasa ?

Ma femme et moi, on l'adore. J'ai fait quinze ans dans le privé, sept ans à Stockholm puis cinq ans en France, à Lyon, et puis à Londres. Etre à Kinshasa, c'est vraiment un choix. C'est une ville qui bouge et puis surtout, je trouve qu'on se sent utile. L'on a parfois l'impression que notre action est une goutte d'eau dans la mer mais la mer est faite de gouttes d'eau, donc ce n'est pas si mal que cela.

Ce poste vous fait naviguer dans une nouvelle sphère, comment se passent les choses ?

Très, très bien, en tout cas. Il y a une grosse réorientation ici, tant au niveau de la Délégation que du Centre puisque, d'ailleurs, nous recrutons un nouveau directeur ou directrice artistique du Centre car Brain Tshibanda prend sa retraite après des dizaines d'années avec nous. Ce qui change beaucoup, c'est peut-être mon passé commercial, dans le commerce extérieur. Ce qui m'intéresse, ce sont les résultats plutôt que de faire les choses pour cocher les cases. Ce sont les résultats qui comptent, les choses doivent être bien faites.

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Le Centre vient de rouvrir et à votre prise de fonction, vous annonciez un changement à la suite de nouveaux financements. Qu'en est-il réellement ?

Il y a plusieurs choses. En premier, beaucoup de matériels de son, lumière et d'agencement des scènes sont prévus et attendus. Pour cela, nos techniciens doivent se rendre au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris car les technologies connues ici sont parfois bien dépassées. Et les consommables de certains appareillages demandés n'existent plus. Les matériels que nous voulons acquérir sont ultramodernes, ils ne les connaissent pas. Une mise à jour va se faire avec nos techniciens du Centre de Paris qui vient de rouvrir lui aussi après de gros travaux de réaménagement.

Ensuite, des financements ont été pourvus pour faire venir des artistes de Wallonie-Bruxelles. Les deux premiers sont venus mais nous avons une grosse opération en ce mois d'avril autour de l'humour. L'idée, c'est de mettre ensemble des artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles avec des artistes congolais pour qu'ils apprennent à se connaître et co-créent ensemble. Ils vont ensuite exporter leurs co-créations dans des marchés où il y a de l'argent, en Europe. Pour cela, nous nous appuierons sur le réseau de Wallonie-Bruxelles International. Ce sont là de gros changements.

Au bout de six mois, avez-vous déjà un bilan à nous partager ?

Oui, les choses bougent. L'on me rapporte que l'on n' entend déjà plus parler de nous maintenant mais il y a encore beaucoup de travail. Nous devons viser l'excellence et ne pas nous contenter de faire comme d'habitude avec les moyens du bord.

Hormis la musique, qu'est-ce qui vous a impressionné ? Quelle est votre opinion après la découverte du génie créatif congolais ?

Ce qui m'a frappé de manière générale, c'est d'abord le génie des artistes. Tous les Belges qui viennent ici, qu'importe le domaine dans lequel ils évoluent, disent, après avoir rencontré et travaillé avec les Congolais, qu'est-ce qu'ils sont créatifs ! C'est déjà une constante qui renforce mon analyse qu'il y a ici un génie créatif que l'on ne trouve pas ailleurs.

Ce qui m'a aussi frappé c'est que, de manière générale, les artistes congolais ne connaissent pas leurs clients, c'est presque comme s'ils s'en moquent. De très bons écrivains qui n'ont aucune idée de la façon d'approcher un journaliste en Europe pour qu'il parle de leurs livres. Ils ne pensent pas à faire une liste de journalistes, de critiques à qui les leur envoyer ...

Le slam, la poésie est importante ici, mais des poètes qui vivent de leur art, il n'y en a pas des tonnes. Par contre, puisqu'ils écrivent bien, ils pourraient penser à écrire des scripts pour le cinéma. À l'ère Netflix, Apple TV, etc., qui achètent des scénarii, cela est en dehors de l'imagination ici en RDC ? Et même parlant de la musique, la rumba congolaise, c'est super pour le Congo mais je trouve que c'est une base formidable pour le monde entier qui doit être adaptée à la demande étrangère.

A l'envie de ce que veulent écouter les Européens, qui est sûrement différent de ce dont ont envie les Américains, qui l'est encore de ce que veulent écouter les Japonais. D'où, nous avons déjà commencé à lancer des formations sur la demande du client. En avril, nous aurons des master class d'écrivains congolais sur l'écriture humoristique pour les y intéresser. Il y a des gens avec un talent fou mais, des génies incompris, il y en a plein sur la planète. Moi, j'aimerais que plus de génies congolais soient compris.

Votre regard se poserait-il aussi sur les artistes amateurs, en herbe et pas uniquement sur les talents confirmés, les professionnels renommés ?

Historiquement, je crois que tous les professionnels de renom sont passés par chez nous, à Wallonie-Bruxelles. Ils ont bien souvent commencé ici, c'est ce que j'ai appris. Mais, les professionnels congolais internationaux qui ont un nom, il n'y en a pas tant que cela. En voyant combien les artistes belges qui viennent ici sont émerveillés, peu importe leur discipline, et que cela n'ait pas un impact sur le nombre d'artistes congolais qui vivent de leur art, soient reconnus au niveau international, je crois qu'il y a une grande marche à franchir. C'est donc la mission de Wallonie-Bruxelles d'essayer de les aider à la franchir. Là nous sommes en plein dedans.

Comment fait un jeune artiste pour voir les portes du Centre s'ouvrir devant lui ?

Il frappe à la porte et on discute. A priori, la réponse est toujours oui. Nous sommes là pour faire en sorte que cela fonctionne. Avec ma femme, nous sommes arrivés ici, l'esprit et le coeur grands ouverts. Et, je l'ai dit lors de mon discours du 27 septembre : « Ensemble, on peut faire mieux; ensemble, on doit faire mieux ». Ce n'est pas être ensemble de manière passive, mais plutôt de manière active.

Je pense que de manière globale, les artistes congolais ont une partie des ingrédients, la créativité et une espèce de dynamisme positif. Et les artistes de chez nous ont peut-être une meilleure connaissance du marché et une rigueur probablement différente. Il faut mettre les deux ensemble, comme il faut de la farine, de l'eau et de la levure pour faire du pain. Nous allons le faire de plus en plus, je tanne mes équipes là-dessus.

Quelles sont vos perspectives générales pour cette première année ?

La première année, c'est une année de remise en ordre. Changer les priorités pour mieux faire comprendre ce que l'on veut et ce que l'on veut faire va prendre du temps. Il y a l'exemple de la co-création avec les humoristes belges qui vont faire de la co-écriture avec les artistes congolais. Si tout va bien, l'on espère en emmener deux ou trois au Festival du rire à Liège.

Nous voulons créer un mouvement dans le but que les artistes congolais puissent vivre de leur art. On s'est beaucoup focalisé sur les artistes, mais mon travail c'est aussi avec les universités, la coopération scientifique, les rapports politiques avec la RDC, la Francophonie. Je suis le délégué général et non pas le directeur du Centre et donc le diplomate en charge. Cela est dû peut-être au fait que l'on n'a probablement pas couvert toute la palette à couvrir jusqu'à présent.

Qu'entendez-vous par changer les priorités ?

Les résultats, c'est la priorité numéro un. Nous venons ici pour essayer de faire en sorte que les Congolais vivent mieux. Faire les choses et dire qu'on les a faites n'a pas beaucoup de valeur pour moi. Il faut que cela serve à quelque chose, sinon c'est doublement méchant. C'est envers le Congolais parce qu'on lui fait imaginer une chose qui n'est pas et envers le contribuable belge qui parfois travaille de nuit en faisant des shifts, une partie de ses impôts vient ici pour faire quelque chose de constructif et l'on ne le ferait pas ! Nous fonctionnons avec de l'argent public dont je suis très respectueux.

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