Ile Maurice: Entre le timing budgétaire et l'urgence électorale

On connaîtra dans quelques heures le nouveau taux du Key Rate à l'issue de la réunion du comité de politique monétaire de la Banque de Maurice (BoM) ce matin. Cependant, il est fort à fort parier que rien ne sera fait cette année électorale pour troubler le «feel-good factor» que le Premier ministre tente de créer dans le pays ces derniers mois. Une hausse du taux directeur, même minime, aura un effet domino sur une série de dépenses ménagères, dont le remboursement de prêts bancaires.

Cinq hausses du taux directeur de mars 2022 à juin 2023 à 4,50 %, ont fortement fragilisé le pouvoir d'achat des ménages, entraînant une détérioration de leur niveau d'endettement. Face à des critiques populaires, la BoM avait dû intervenir pour alléger le fardeau financier des familles par le biais de mesures de rééchelonnement de leurs dettes.

Du coup, on peut anticiper un nouveau statu quo, le troisième depuis le 15 juin 2023. Ce que l'économiste Eric Ng qualifie de «grand bluff» la BoM (voir ci-contre), qui n'a aucun moyen aujourd'hui de défendre la roupie et combattre l'inflation. Elle est «l'une des rares banques centrales au monde à ne pas avoir augmenté ses taux d'intérêt l'année précédente, contrairement à d'autres institutions similaires à travers le monde».

Tant mieux si l'autorité monétaire et fiscale veut protéger le pouvoir d'achat de la population, même si, dans la foulée, certains économistes craignent toujours une dépréciation orchestrée de la roupie par la Banque de Maurice. De 2019 à ce jour, elle a perdu plus de 27 % de sa valeur vis-à-vis du billet vert. Ce qui accrédite la thèse de certains spécialistes qui soutiennent que l'augmentation de Rs 13 500 de la pension universelle ne vaut en réalité que Rs 10 500, la différence étant la perte du pouvoir d'achat face à une roupie en déclin.

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Il faut s'attendre à d'autres mesures populistes dans les prochains jours à l'approche des élections. Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, s'y emploie, tout au moins c'est ce qui est annoncé officiellement dans son entourage. Or, ces dernières heures, d'autres raisons ont été avancées, voire d'autres théories, étayées par certains observateurs. Ils privilégieraient plutôt la dissolution prochaine du Parlement et la tenue des élections générales dans un délai relativement court, sans avoir recours à la présentation du cinquième et dernier Budget de la présente législature. Pourquoi ?

L'idée est de donner le champ libre à Pravind Jugnauth, leader du MSM, pour égrener toutes les mesures électoralistes susceptibles de faire le break face à l'opposition du trio Ramgoolam-Bérenger et Duval. Comme dirait l'autre, il veut engranger seul les dividendes politiques des mesures annoncées et non les partager avec son ministre des Finances. Celui-ci rejette avec force cette hypothèse, estimant que cette analyse véhiculée par certains est machiavélique.

Renganaden Padayachy souhaite, au terme du mandat de la présente législature, se distinguer comme étant le ministre des Finances ayant permis la reprise économique post-pandémique du pays, après une contraction de 15 % de sa croissance en 2020 et les effets collatéraux de deux confinements sur l'emploi et d'autres variables macro-économiques.

Pour cela, le Grand argentier peut, dans son bilan de cinq ans, surfer et s'approprier les résultats d'un certain nombre de rapports et d'études qui confirment ces jours-ci une amélioration de la santé économique du pays, ainsi que la confiance qui s'est installée parmi les opérateurs. Évidemment, l'appréciation des uns et des autres reste largement discutable.

Il peut se référer sans doute au dernier rapport Article IV du Fonds monétaire international (FMI) qui, tout en invitant la Banque de Maurice à reconstituer ses réserves face à d'éventuels chocs externes, reconnaît que l'économie mauricienne a rebondi après la pandémie, avec une croissance réelle du Produit intérieur brut (PIB) atteignant 8,9 % en 2022 et une croissance de 6,9 % en 2023, révisée à 7 % par les National Accounts le 29 mars. Bien évidemment, le défi réel demeure la croissance à long terme.

À cet effet, l'ex-Senior Economist au ministère des Finances, Sen Narrainen, rappelle dans une récente analyse titrée «Mauritius Macroeconomics: Fumbling the Fundamentals? », publiée dans une publication en ligne, que la croissance annuelle du PIB de 2020 à 2023 n'a été que de 1,2 %, sans pour autant occulter le fait qu'en 2020, le pays était confronté à une récession. Elle était, selon lui, de 5,05 % pour la période de 1977 à 2000, de 3,8 % de 2001 à 2010 et de 3,6 % de 2011 à 2019.

Le ministre Padayachy peut aussi citer en exemple les principales conclusions du récent PwC Mauritius CEO Survey qui note «un fort optimisme concernant les perspectives économiques de Maurice », même si l'incertitude plane toujours quant à l'inflation et la volatilité macroéconomique.

Ainsi, 83 % des dirigeants mauriciens interrogés partagent une confiance relative dans les perspectives de croissance économique du pays. Même si les stratégies varient d'une entreprise à l'autre en fonction de son plan d'action, de son modèle opérationnel, du contexte industriel et du paysage concurrentiel, l'étude montre qu'il serait utile de surmonter les défis opérationnels et d'autres éléments essentiels à leur survie pour tirer parti de ces opportunités de croissance.

Et d'ajouter que dans un contexte de polycrise, marqué par une année électorale historique au cours de laquelle plus de la moitié de la population mondiale se rendra collectivement aux urnes y compris l'Inde et Maurice le sondage de PwC révèle que «83 % des dirigeants mauriciens estiment que l'économie mondiale va s'améliorer en 2024, alors que 57 % s'attendent à une reprise dans les trois années à venir».

Ce sentiment d'optimisme affiché par les capitaines de l'industrie du pays, couplé à la reprise économique post-Covid démontrée par les chiffres traduisent-ils le bienêtre de la population ?

Le baromètre politique Synthèse/l'express d'octobre 2023 avait classé l'effritement du pouvoir d'achat (79 %) et la prolifération de la drogue (58 %) comme étant les principales préoccupations des Mauriciens. À entendre les cris de coeur de la population sur ces deux problématiques, malgré les efforts des uns et des autres pour les résoudre, il y a encore du chemin à faire pour les satisfaire.

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