Dans le cadre de la célébration du 40e anniversaire de Sidwaya, nous avons rencontré le politicien et homme d'Etat, Basile Laetare Guissou. Dans cet entretien, celui qui fut ministre de l'Information entre 1986 et 1987 revient sur les péripéties qui ont marqué la création du « Journal de tous les Burkinabè », son évolution, son rôle dans l'univers médiatique burkinabè et dans l'ancrage de la Révolution.
Vous avez été ministre de l'Information entre 1986 et 1987. Quelle nécessité y avait-il à créer le ministère de l'Information à l'époque ?
Je fais partie du noyau fondateur du Conseil national de la Révolution (CNR). Le groupe qui a constitué le premier gouvernement du Burkina Faso était composé de dix personnes, quatre militaires et six civils. Les quatre militaires, étaient Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani. Les six civils, étaient Adama Touré, Ousmane Touré, Philippe Ouédraogo qui formaient l'équipe du Parti africain de l'indépendance (PAI). Ensuite, il y avait un troisième parti, l'Union des luttes communistes, qui avait Dieudonné Valère Somé, Talata Eugène Dondassé et Basile Guissou.
La composition du gouvernement, a tardé à cause du poste du ministre de l'Information. Mes camarades du PAI voulaient que ce soit le ministère de la Propagande et de l'Idéologie. Ce que nous, de l'Union des luttes communistes et le groupe des militaires, avons recusé parce que cela n'était pas bon comme appellation. Donc, on a fini par convaincre nos camarades que c'est mieux d'utiliser l'appellation acceptée par l'opinion. C'est le ministère de l'Information, tout simplement. Et, c'est le camarade Adama Touré qui a occupé ce portefeuille.
Dans la foulée de la Révolution, Sidwaya était créée le 5 avril 1984. Avez-vous été associé à ce projet en son temps ?
Oui. De toute façon, Adama Touré, notre camarade du PAI qui était ministre de l'Information, a présenté le dossier au Conseil des ministres pour la création du quotidien Sidwaya. Cela n'a pas fait l'objet de discussions parce que notre principe était qu'on ne pouvait pas avoir meilleur avocat que nous-mêmes. C'est nous qui faisons notre révolution. C'est nous qui défendons notre révolution. C'est nous qui lui donnons l'orientation que nous voulons.
Donc, il n'était pas question à l'époque de laisser d'autres penser à notre place ce que nous faisons. Nous expliquons nous-mêmes ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et dans quels objectifs. A l'époque, dans l'opinion, c'était une volonté de défense de la Révolution. Ce n'était pas un crime, puisque le Comité de défense de la Révolution (CDR) était là pour défendre la Révolution. L'avènement du journal Sidwaya, « la vérité est venue » n'a pas posé de problème. Le nom Sidwaya, a été proposé et a été adopté en Conseil des ministres.
Et pourquoi la vérité est venue ?
La vérité est venue parce que la Révolution, c'est la vérité. La vérité est venue, ce n'est pas du dénigrement de l'avant Révolution, mais c'était la rupture avec l'avant Révolution qui était en fait de caresser tout le monde dans le sens du poil, de dire que tous les Burkinabè, tout le monde est beau, tout le monde est gentil, alors que c'est en fait, la liberté du renard dans le poulailler. Les plus riches piétinent les moins nantis, abusent d'eux, les exploitent.
Nous venons pour dire la vérité. Dans la société, il y a des mauvais types, il faut les combattre. Il y a des gens qui volent. Il faut les mettre en prison. Il faut les juger et les enfermer. Il y a des tricheurs dans le jeu. Il faut les sortir du jeu. Nous avons séparé le bon grain de l'ivraie et créé le tribunal populaire de la Révolution. Nous n'étions pas pour dire que tout le monde est beau, tout le monde est gentil. Nous avons notre camp et ceux qui étaient contre nous, n'avaient qu'à nous affronter. Nous devions nous aussi, les mettre de côté et avancer.
Sidwaya relevait du ministère que vous avez dirigé. Quelles étaient vos attentes du journal ?
A l'époque, comme dans tous les services de l'Etat, il y avait un Comité de défense de la Révolution y compris à Sidwaya et à l'information. Rien ne se faisait sans la participation de ces structures. Ils étaient dans le groupe des réflexions pour dégager la ligne éditoriale. La composition du journal, les rubriques ..., tout a été discuté par des techniciens du ministère, donc des journalistes et des techniciens de l'imprimerie, etc. Puis, on a engagé le processus.
Quelle était la place de Sidwaya dans la conduite de la Révolution ?
Notre Président Thomas Sankara, à l'époque, venait de quitter, il n'y a pas très longtemps son poste de secrétaire d'Etat à l'information, avec lequel, il s'est battu comme un beau diable pour défendre la liberté de la presse. A l'époque déjà, le motif qu'il a avancé pour quitter son poste,c'était l'atteinte à la liberté de presse, en disant : « Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple ». Le droit de parole, le droit de critique, la liberté d'expression étaient le leitmotiv de Sidwaya, c'est-à-dire que Sidwaya était la voix du peuple.
N'en déplaise à nos détracteurs, jusqu'à aujourd'hui, je suis de ceux qui défendent la justesse de cette option. Parce que je ne connais pas de journalisme neutre, de journal neutre, ou de journal incolore, inodore. A la création de Sidwaya, j'étais ministre de l'Environnement et du Tourisme, avant de devenir plus tard, ministre de l'Information. Je crois que s'il n'y avait pas eu Sidwaya, la répercussion des actions du CNR n'aurait pas eu la moitié, même pas le quart de la répercussion que ses actions ont eue dans l'opinion publique interne et externe, nationale et internationale. Sidwaya a été vraiment un porte-voix qui a amplifié les actions du CNR et de son gouvernement. C'est incontestable, surtout qu'en fait, c'était le premier quotidien d'Etat.
David Barry était le Directeur général (DG) d'alors. Quelles étaient vos relations avec ce dernier ?
Moi je le connaissais bien avant d'être ministre. Nous étudions ensemble. Donc, je n'avais pas d'animosité particulière avec lui, lui non plus je crois, envers moi. Et nous avons collaboré. Je dirais même qu'il était plus proche de moi que d'autres prétendus camarades qui sabotaient le travail en souterrain. Sidwaya aussi avait ses propres agents camouflés à l'intérieur qui faisaient du sabotage systématique et que nous avons combattu.
A cette période, est-ce que vous lisiez le contenu de Sidwaya avant parution ?
Non. Je faisais confiance à mon équipe. Bizarrement, contrairement à tout ce qui se raconte, concernant la presse précisément, je ne peux pas répondre à d'autres organes, mais l'organe d'Etat, qu'était Sidwaya, n'a jamais réprimé la plume d'un journaliste par rapport à la défense ou non de la ligne éditoriale. Peut-être pour d'autres fautes, oui. Pour d'autres fautes, nous avons sanctionné, suspendu, dégagé peut-être, mais pas pour ça.
Est-ce qu'il vous est arrivé d'être sermonné en Conseil des ministres pour un article paru dans Sidwaya ?
Non, pas du tout. Mais de toute façon, c'était un débat. Mon parti politique a été attaqué par des sous-marins camouflés dans Sidwaya et nous avons répondu publiquement par Sidwaya aussi. On ne se laissait pas marcher sur les pieds. Chacun exprimait son point de vue. Je me souviens très clairement que ce papier dont je parle a traité mon parti, les militants de mon parti, mes camarades de « milices au service de la contre-Révolution ». Nous avons répondu pour dire que les milices se connaissent. Et en Conseil des ministres, la question a été posée et nous avons assumé.
Quelles autres anecdotes avez-vous à nous raconter en la matière ?
Il y a eu des attaques, des jeunes qu'on appelait les journalistes révolutionnaires, qu'on avait infiltrés dans le ministère pour m'empêcher de travailler à l'époque.
Pourquoi ? Vous n'étiez pas révolutionnaire ?
Non. La Révolution, ce n'est pas un dîner de gala. C'est un combat de boxe. Donc à l'intérieur ça chauffait comme à l'extérieur. Il y avait des journalistes qui avaient des comportements très irrespectueux à mon endroit en tant que ministre.
Après 40 ans dans l'univers médiatique, comment voyez-vous le contenu informationnel de Sidwaya ?
Si Sidwaya n'était pas capable de faire face à la concurrence et à l'adversité, Sidwaya aurait disparu purement et simplement. Si, Sidwaya est là, sait qu'il a mérité d'être là. Il s'est battu pour tracer son sillon dans l'univers médiatique du Burkina. Je pense qu'il continue à se défendre comme il faut, tel que ses pères fondateurs l'ont cédé aux générations suivantes. Je ne vois pas en quoi aujourd'hui Sidwaya a perdu quoique ce soit en matière de pertinence de sa présence dans l'univers médiatique du Burkina.
Quel rôle Sidwaya peut-il jouer dans ce contexte d'insécurité que nous vivons actuellement ?
Je pense tout simplement que le journal est un moyen de défendre notre identité, notre culture, nos choix républicains, de défense de l'intégrité de notre territoire et du refus de nous laisser abattre par le découragement ou le défaitisme. Je pense que jusqu'ici, Sidwaya tient bien sa place et joue son rôle en tant qu'organe de presse, comme il se débaptise lui-même, c'est « Le journal de tous les Burkinabè ».
Quels sont vos voeux pour Sidwaya pour les prochaines années ?
Je pense que l'équipe qui a fait vivre Sidwaya depuis 1984, peut être fière d'avoir réussi quelque chose qui n'était pas donné d'avance. Parce que Sidwaya a traversé des épreuves. Même pour naitre, Sidwaya a affronté des épreuves internes, comme à externes. Il a pu les surmonter, affiner sa plume, la qualité de son travail, même le papier.
Il y a eu un moment où pour avoir le papier-journal, c'était un problème. Il nous a fallu faire des négociations. Il a traversé des difficultés matérielles, des journalistes ont quitté Sidwaya parce qu'ils ne se sentaient pas bien, ils se sentaient à l'étroit, ils ont préféré prendre leur liberté. Cela n'a pas empêché ceux qui y croyaient de se battre pour que le journal tienne la route. Et je crois qu'aujourd'hui, en 40 ans, Sidwaya peut quand même se flatter de faire partie des organes qui ont résisté au temps et qui se sont bonifiés avec le temps.
Pensez-vous que le bébé que vous avez vu naître a atteint sa maturité ?
Le bébé est né avec des dents, ce n'est pas n'importe quel bébé. Car, c'est trois partis politiques qui constituaient le gouvernement et qui géraient l'Etat qui a promu sa presse. Sidwaya n'est pas un journal qui a balbutié. Le bébé parlait déjà, c'était quand même le porte-parole de l'Etat. C'est notre journal, c'est un bébé qui est né avec des dents et qui parlait déjà en naissant. Il a grandi avec les autres et il leur a prouvé qu'il est un garçon valable.
Joyeux anniversaire à notre journal Sidwaya qui est un héritage et un objet de fierté pour l'équipe qui, à l'époque, dirigeait ce pays.