Kafountine, dans le département de Bignona (sud), abrite un des plus importants quais de pêche du Sénégal, mais avec la particularité que les femmes transformatrices de produits halieutiques utilisent une quantité énorme de bois pour le fumage du poisson, faisant peser une menace sur les réserves forestières de cette commune et d'autres localités de la région de Ziguinchor où l'exploitation du bois d'oeuvre est interdite depuis 1991.
Selon un document officiel, 60.560 tonnes de produits halieutiques ont été débarquées en 2023, au quai de pêche de Kafountine, pour une valeur commerciale de 23 milliards 860 millions de francs CFA. La pêche artisanale locale, dotée d'une flotte de 1001 pirogues, emploie plus de dix mille acteurs : pêcheurs, mareyeurs, transformatrices de poisson.
Cette position importante dans le secteur de la pêche a fait de cette collectivité territoriale de l'arrondissement de Kataba 1, une destination privilégiée de divers acteurs évoluant dans la filière pêche. Parmi eux, plus de 2.800 femmes gagnent durement leur vie sur le principal site de fumage de Kafountine, implanté sur plusieurs hectares, non loin du quai de pêche.
Mais bien qu'étant une des principales activités génératrices de revenus des femmes, le fumage du poisson est resté archaïque et rudimentaire à Kafountine avec une forte dépendance vis-à-vis des ressources ligneuses.
Généralement, le fumage traditionnel consiste à saler, sécher et fumer les poissons dans des fours alimentés avec du bois de chauffage, sous une température comprise entre 60 et 120°C.
A Kafountine, la dépendance du fumage du poisson des ressources ligneuses, a favorisé la coupe clandestine de bois dans les réserves forestières de Kafountine et d'autres localités de la région de Ziguinchor où l'exploitation du bois d'oeuvre est interdite depuis 1991.
"Une étude menée par l'ONG Enda Energie révèle que les fours traditionnels utilisés pour le fumage du poisson à Kafountine consomment au moins plus de 70 tonnes de bois par jour", indique David Diatta, le maire de la commune de Kafountine.
2840 stères de bois de chauffage transportés en 2023
Le site de fumage du poisson de Kafountine a reçu en 2023, quelque 2840 stères de bois de chauffage pour assurer un fonctionnement correct des fours traditionnels, indique l'inspecteur régional des eaux et forêts de Ziguinchor, le lieutenant-colonel El Hadji Malick Dione.
"En 2023, nous avons transporté à Kafountine 2. 840 stères de bois de chauffage, pour satisfaire les besoins du fumage", a-t-il précisé. Ces stères de bois avaient été saisis par le sous-secteur des eaux et forêts de Diouloulou, dans le département de Bignona.
L'inspecteur régional des eaux et forêts appelle à revoir les méthodes archaïques de fumage du poisson à Kafountine. "Elles consomment beaucoup de bois. Donc, il serait beaucoup plus indiqué qu'on change d'approche en essayant de mettre en place des vieux fours traditionnels, des fourneaux +jambar+ moins dépendants en bois", a-t-il préconisé.
Le lieutenant-colonel El Hadji Malick Dione rappelle qu'à l'époque, les gens s'approvisionnaient en bois de chauffage à partir de la forêt de Kafountine. "Maintenant que la ressource se fait rare là-bas dans cette forêt, a-t-il poursuivi, les gens se déplacent de plus en plus loin, vers Kataba 1 et Djignaki, pour chercher du bois afin de satisfaire la demande pressante de la filière locale de transformation du poisson."
Ce matin, au grand site de fumage de Kafountine, de la fumée s'échappe des fours traditionnels, signe d'une grande activité. Ces fours appartiennent, pour l'essentiel, à des femmes transformatrices de produits halieutiques originaires du Sénégal et de pays de la sous-région, comme la Guinée, le Burkina Faso, le Mali, et le Ghana, entre autres.
Plus de 500 mille francs pour l'achat de bois de chauffage
Agée d'une cinquantaine d'années, Siré Diabang, vice-présidente d'un Groupement d'intérêt économique (GIE), fait partie des milliers de femmes qui gagnent leur vie sur le principal site de fumage du poisson de Kafountine.
"Nous dépensons, dans le cadre de nos activités de fumage, jusqu'à 500 mille francs CFA pour acheter du bois de chauffage. Le fumage, c'est un travail très minutieux qui demande beaucoup de courage", fait-elle remarquer.
"Très tôt le matin, nous allons au quai de pêche, pour acheter du poisson frais. Nous revenons ensuite au site de fumage pour enlever les écailles et nettoyer les poissons avec de l'eau, avant de démarrer le processus de salage, séchage et fumage", explique-t-elle. Elle se félicite de la quantité de poisson fumé quotidiennement par leur GIE.
La transformatrice précise que son groupement arrive à fumer 100 kilogrammes de poissons "kong" (mâchoiron ou poisson chat) et une tonne de "yabooy" (sardinelle) par jour. Toutefois, ce volume est fonction "de la disponibilité des ressources halieutiques sur le marché", déclare-t-elle.
Elle indique que les femmes travaillent juste pour subvenir à leurs besoins et éviter de quémander dans la rue.
Méthodes archaïques
Le principal site de transformation des produits halieutiques de Kafountine est équipé de fours traditionnels conçus à l'aide de fûts métalliques et de grillages. Créé en 1996, ce site résiste encore à la modernité.
Plusieurs couloirs y sont aménagés pour faciliter la mobilité des clients et des visiteurs au milieu des installations. Ici, des femmes travaillent sans aucune protection pour trier, nettoyer, découper, plier et essorer le poisson, avant son fumage.
D'origine guinéenne, Tady Aïdara, aidée de son équipe, travaille dans ce décor envahi par une épaisse couche de fumée et l'odeur de poisson.
"A la recherche d'un travail, j'ai quitté mon pays pour Kafountine où je travaille dans la transformation de produits halieutiques pour gagner ma vie et investir chez moi", explique la jeune dame.
Vêtue d'un grand boubou, la tête recouverte d'un foulard multicolore et visiblement fatiguée, Tady Aïdara signale qu'elle a rencontré à Kafountine, des centaines de Guinéens travaillant dans le fumage du poisson.
Dans son magasin d'exposition situé juste à l'entrée du site de fumage, Ardiana Coly, une transformatrice, a l'air bien occupée. Le pagne bien noué autour des reins, une sacoche en bandoulière, elle présente ses produits halieutiques transformés. Des produits bien emballés qui attirent dès le premier regard.
"Ici, il y a du poisson fumé, +guedji+, des crevettes séchés, moules braisées fumées, +kong+ braises fulés, +yet+, toupha sèche et +yokhoss+ fumés secs", énumère-t-elle. Elle déclare qu'avec la bénédiction de Dieu, elle arrive à commercialiser ses fruits de mer transformés sur l'étendue du territoire national.
Toutefois, elle déplore "les conditions difficiles" de travail des transformatrices de Kafountine. Ces dernières travaillent au quotidien sous un chaud soleil, dans la fumée et la chaleur des fours archaïques en n'ayant pour seule source principale d'énergie que le bois, devenu de plus en plus très cher sur le marché, déplore Mme Coly, qui dit évoluer dans ce métier depuis dix-neuf ans.
A Kafountine, l'essentiel du dispositif de fumage du poisson est constitué de fours traditionnels, hormis quelques fours modernes acquis grâce à des partenaires.
Nana Abna, originaire du Ghana, dit mener cette activité depuis une vingtaine d'années avec plusieurs de ses compatriotes. Le Ghanéen appelle à améliorer les conditions de travail et les techniques archaïques de fumage du poisson en modernisant le principal site de transformation de Kafountine.
Plus de 2800 femmes originaires de plusieurs pays africains
Kafountine accueille au minimum plus de 2800 femmes organisées en groupements d'intérêt économique (GIE) pour faire prospérer leurs activités et améliorer leurs conditions de vie grâce à la production et la commercialisation des produits fumés, informe le coordonnateur du Conseil local de pêche artisanal (CLPA) de Kafountine, Abdoulaye Demba.
Il appelle l'Etat à moderniser ce site de production pour mettre un terme à l'agression des réserves forestières et à la détérioration de la santé des femmes transformatrices. "Donc, nous appelons les pouvoirs publics à moderniser le site de fumage avec des fours semi-modernes qui dégageront moins de fumée et consommeront moins de bois afin de protéger l'environnement", lance-t-il.
Le coordonnateur du Conseil local de pêche artisanal de Kafountine fait observer que pour transformer une tonne de poisson, il faut au moins une tonne de bois.
Abdoulaye Diédhiou, le chef du service régional des pêches et de la surveillance de Ziguinchor, rappelle que la préoccupation de tout technicien des pêches, "c'est la modernisation des techniques de transformation des produits halieutiques".
"A Kafountine, nous avons un projet financé par la Banque mondiale qui prévoit la construction d'une unité moderne de fumage avec des fours fonctionnant sans beaucoup de bois, ni beaucoup d'émission de gaz carbonique", signale-t-il. C'est une technique de "fumage à chaud et à froid", complète-t-il.
Plaidoyer pour des fours semi-modernes
Afin de freiner la déforestation, le maire de Kafountine, David Diatta, dit miser sur les foyers améliorés pour réduire la quantité de bois utilisée par jour dans les fours traditionnels du site de fumage de poisson de sa ville.
Il annonce que sa commune envisage d'installer, avec des partenaires, des foyers améliorés sur le quai de pêche, dans le but de réduire la quantité de bois utilisée quotidiennement par les femmes transformatrices de produits halieutiques.
"Notre ambition est de faire de Kafountine, une commune sobre en carbone. Nous sommes également en train de voir par quel moyen il faut transformer les impacts des changements climatiques en opportunités", déclare-t-il.
Il explique que la politique environnementale de sa commune vise à promouvoir la consommation d'énergie propre en vue de réduire les quantités de bois et de gaz carbonique dégagées à Kafountine.
"Nous voulons reverdir Kafountine par des activités de reboisement mais aussi par la promotion d'une consommation d'énergie propre", promet David Diatta.
L'inspection régionale des eaux et forêts de Ziguinchor envisage de créer, avec les transporteurs de bois et les femmes transformatrices de Kafountine, "un bois villageois" privilégiant des espèces convoitées pour le fumage du poissons, selon l'inspecteur régional El Hadj Malick Dione.
Le service des eaux et forêts, relève-t-il, est confronté dans la région de Ziguinchor à des défis, dont le trafic de bois et la dégradation des réserves forestières, causée par la coupe abusive du bois.
Il salue l'appui de l'armée aux côtés du service forestier pour installer la peur chez les coupeurs et trafiquants de bois.
M. Dione salue également la détermination des agents des eaux et forêts à mettre fin au trafic de bois dans la région, à travers la traque des délinquants.
Il arrive selon lui que des exploitants clandestins coupent et acheminent de manière frauduleuse du bois vers la commune de Kafountine.
"C'est un problème que nous tentons de régler avec l'armée. Nous travaillons pour juguler ce problème extrêmement compliqué. Nous essayons aussi de traquer ces coupeurs clandestins pour les mettre hors d'état de nuire et faisons tout pour limiter ce problème majeur", rassure le lieutenant-colonel El Hadji Malick Dione.