Sénégal: Les nouveaux visages du féminisme se dévoilent

Dakar, 5 avr (APS) - Né dans le sillage du mouvement "Yeewu Yeewi" pour la libération des femmes, fondé en 1984, et dont il s'inscrit dans la continuité quarante ans après, le Collectif des féministes du Sénégal (CFS) est porté par des femmes âgées entre 25 et 40 ans. Celles qui incarnent aujourd'hui le féminisme ont raconté à l'APS leur parcours et leur engagement pour la cause féminine.

De la réalisatrice à la juriste consultante en passant par la bibliothécaire archiviste, l'écrivaine scénariste et la communicante, toutes s'affichent pour prendre la parole et faire entendre leur voix sur la lutte pour les droits des femmes. La toile, l'écran et les réseaux sociaux sont les outils les plus investis.

Adama Pouye : la lutte contre les agressions sexuelles dans les transports a débuté pour elle sur Facebook et d'autres réseaux sociaux. A vingt-sept ans, la diplômée de l'Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (Ebad) s'est fait remarquer par ses post virulents sur les réseaux sociaux pour dénoncer les agressions sexuelles dans les transports en commun.

Un engagement qui sonne comme un déclic dans le parcours féministe et évolutif de Adama Pouye, débuté en 2019. C'est l'année où elle créa le mouvement "Boulma rissou" (Ne te frottes pas à moi en wolof). Un mouvement né de cette lutte sans merci qu'elle mène avec des féministes telles que Aminata Liben Mbengue, Maïmouna Astou Yade, Amy Sakho.

Documentaliste à l'Institut français de Saint-Louis, elle s'associe lors d'une campagne de sensibilisation avec des transporteurs des bus tata Aftu (mini bus de Dakar) et de Dakar Dem Dikk (DDD), l'entreprise de transport public.

Elle met ensuite sur pied l'Association féministe "Awas" ("la voix" en farsi iranien), avec sa soeur jumelle Marième Pouye et d'autres féministes dans le but d'élargir le champ de lutte pour les droits des femmes.

Adama a été éduquée dans un cocon familial "sécurisé" où il y a qu'un seul homme à la maison, son père, et où on fait comprendre à toutes les possibilités qu'une fille peut avoir dans la vie.

Mais le choc eut lieu lorsqu'elle sortit du cocon familial avec des messages d'un autre son de cloche. Par exemple, il y a l'école où on demande aux filles de balayer les classes et pas les garçons. Et pour ne rien arranger, ces derniers "sont mis en avant dans les gouvernements scolaires et autres instances dirigeants", dénonce Adama Pouye qui assume son féminisme une fois à l'université de Dakar, à l'Ebad.

Aujourd'hui, la co-coordinatrice du collectif des féministes du Sénégal, la plus jeune d'ailleurs du bureau de douze membres de cette organisation, a lancé en 2021 un forum exclusivement féminin à Saint-Louis. Le but : promouvoir les initiatives des femmes dans la littérature, l'entreprenariat, le numérique où elles doivent s'investir et la nécessité d'avoir un cadre d'échanges pour les droits des femmes.

La réalisatrice sénégalaise Mamyto Nakamura, pour qui le cinéma est un outil de plaidoyer pour parler aux femmes, est engagée dans le mouvement féministe du Sénégal, depuis 2012. Elle se sert de sa caméra pour "réparer certaines injustices faites aux femmes et plaider en leur faveur".

En témoignent les multiples podcasts réalisés sur les articles discriminatoires du Code de la famille à l'endroit des femmes et diffusés en zone rurale de façon gratuite pour ouvrir le débat et donner aux femmes le courage de se raconter et de s'exprimer sans être jugées.

Son dernier film documentaire "Au nom du sang" (sorti en janvier), sélectionné au prochain Festival film femme Afrique, prévu du 26 avril au 4 mai, traite du viol dans l'espace familial. Autant dire qu'il en dit long pour celle qui, aujourd'hui, suit les pas de sa mère, Fatou Diop, "bajenu gox" (marraine de quartier), très réputée à Louga, sa ville natale.

C'est d'ailleurs là que Mamyto Nakamura officie pour faire passer ses messages. Elle qui a pris le nom de "Hiros Nakamura", personnage de fiction de télévision américaine qui a le pouvoir de fermer les yeux et de voyager dans le temps. "J'aurais aimé voyager dans le temps pour réparer certaines injustices faites aux femmes et filles", lance Mamyto Nakamura, qui se définit comme "une féministe communautaire".

"On est toute féministe, il s'agit de s'engager ou de ne pas le faire", souligne celle qui s'est engagée dans cette voie pour être au service de sa communauté et faire tout pour que les femmes occupent les devants.

L'épanouissement des femmes, leur sécurité, le travail, l'autonomie financièrement, l'indépendante à travers les idées et les envies restent le fil rouge de son combat.

Même chose pour Maïmouna Astou Yade dite "Maya", à qui le surnom de féministe radicale irait bien. Elle est la fondatrice exécutive de "JGen Sénégal" (JGEN women global entrepreneurship), une structure créée en 2016 et qui regroupe de jeunes féministes.

Elle se classe parmi les "féministes hyper radicales", surtout face au patriarcat, dit-elle. Son engagement pour la cause des femmes est partie d'une privation de parole en public dont elle a été victime. Mais pour Maya, "on est tous féministe dans l'âme", même s'il faut un déclic pour l'affirmer.

Depuis 2020, la consultante, juriste de formation, s'active dans la construction du mouvement féministe au Sénégal et dans l'Afrique francophone. Elle se bat, dit-elle surtout, " pour éliminer toutes sortes de violences basées sur le genre au Sénégal".

La mission des femmes réunies autour de JGen Sénégal est de "décoder les codes sociaux", et dans une approche innovante avec le collectif des féministes du Sénégal, d'aller à la rencontre des communautés pour déconstruire le mythe construit autour du féminisme.

Son modèle reste aujourd'hui la sociologue Fatou Sow, "une figure emblématique du féminisme" dont elle admire la posture, mais surtout la préservation de sa culture et des valeurs sénégalaises. "A chaque fin de rencontre entre féministes, elle se précipite pour rentrer et quand on l'interpelle pour savoir pourquoi, elle répond : +Je vais aller m'occuper de ma famille+. En bonne sénégalaise et malgré son engagement, elle garde sa culture et c'est ce qui est admirable", magnifie Maya.

Elle se donne comme ambition d'accompagner les plus jeunes pour qu'elles puissent grandir avec l'opportunité d'en apprendre plus sur le féminisme africain.

Car pour Maïmouna Astou Yade, même s'il y existe un féminisme universel, il en existe aussi qui spécifique à l'Afrique parce que les Africaines ont des priorités spécifiques.

Et ce n'est pas Amina Seck qui dira le contraire, elle qui se bat pour l'égalité femme-homme à travers l'écriture. La romancière et scénariste sénégalaise ne saurait dire comment elle est devenue féministe, mais est convaincu des raisons pour lesquelles elle est féministe. "J'ai toujours défendu les droits humains depuis mon enfance. En grandissant, j'observais les femmes, les filles et plus particulièrement ma mère. J'ai donc compris qu'il y avait une inégalité qu'il fallait combattre", confie-t-elle à l'APS.

La fondatrice de "Les Cultur'elles" (une agence pour la promotion des arts et cultures au féminin) et organisatrice du Salon du livre féminin de Dakar fait un travail de "déconstruction" à travers son art. "Je mets en lumière toutes les femmes qui évoluent dans le milieu des arts et de la culture. Mes projets personnels (livres et scénarios) racontent les femmes aux femmes et hommes. Je forme et encadre beaucoup de personnes dans le domaine de la création (l'écriture)", déclare-t-elle.

Celle qui est devenue une militante pour les droits des femmes grâce à son parcours, son vécu et aux circonstances, fonde son engagement sur la paix et le respect de tous, plus particulièrement des femmes.

"Je n'ai pas de limite. J'évolue dans le milieu des arts, nous avons donc deux statuts dans la société, celui d'être une femme et aussi d'être artiste qui n'a que son art pour s'exprimer et vivre dans la dignité. Et nous savons tous qu'il existe toutes les formes de violence dans le milieu artistique", dénonce-t-elle. Amina Seck estime que le féminisme a du chemin à faire, que ce soit au Sénégal ou dans d'autres pays africains.

"En ce qui concerne le Sénégal, tant que le code de la famille n'est pas revu, beaucoup de combats seront vains. Ce qui serait vraiment dommage pour tout le chemin parcouru jusqu'ici sur les luttes pour les droits des femmes. Le code de la famille constitue un mur que seules les autorités peuvent briser pour donner aux femmes ce qui leur est du", estime-t-elle.

Une autre féministe qui partage les mêmes convictions est Eva Rassoul Ngo Bakenekhe, pour qui le combat pour la déconstruction passe par l'éducation. La militante féministe qui se définit comme quelqu'un qui refuse de rentrer dans une moule, plaide pour une déconstruction dans l'éducation. "Apprendre aux enfants à être humain", lance-t-elle.

La Camerounaise qui vit au Sénégal depuis une quinzaine d'années, précise que son combat se résume à voir comment faire pour que l'éducation féministe qui renvoie à l'éducation des enfants, puisse atteindre tous les enfants, aussi bien les garçons comme filles. La journaliste s'active davantage aujourd'hui dans la communication et rêve d'un monde plus "humaniste" où l'on apprendra "au garçon à être un homme accompli et à la fille de même pour arriver à un monde juste".

Eva Rassoul estime que le féminisme n'est différent en rien des autres combats menés dans nos sociétés. Celle qui se réclame féministe est entrée dans le mouvement pendant l'Affaire "Adji Sarr", l'ex-employée d'un salon de beauté qui avait accusé de viol le leader de l'ex-PASTEF, Ousmane Sonko.

"Féministe, je le suis depuis longtemps, parce que lorsqu'on est journaliste, il faut s'imposer dans les rédactions, et pour aller sur le terrain, toujours défendre ses positions, briser les codes", souligne-t-elle.

Elle regrette toutefois que parfois dans les combats des féministes, "les plus grands pourfendeurs soient des femmes".

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