Sénégal: Avancée de la mer - Peur bleue sur la grande côte dakaroise

5 Avril 2024

À Dakar, le littoral est menacé de plus en plus par l'avancée de la mer. Pêcheurs et populations de Yoff s'inquiètent de ce phénomène naturel qui risque de créer un drame social et économique.

Lorsque les assauts des vagues dévorent les espaces du littoral de Yoff, la litanie de pirogues bat en retraite. Souillée par des eaux usées et quelques déchets, la mer gronde et menace de faire tomber les habitations situées à des dizaines de mètres. De la zone de Yoff à Guédiawaye, en passant par les Parcelles assainies, c'est la peur, car le grand bleu avance à grands pas. Les riverains, eux, sont attristés par ce phénomène naturel qui, lentement, mais surement, rétrécit la côte et sème le doute sur leur avenir. En guise de barricades, des montagnes de gravats sont entassées devant les maisons.

De près, on perçoit le bruit des vagues qui viennent lécher la berge de l'Atlantique sur l'habitation de Ndiatté Guèye. Présent depuis une trentaine d'années sur le site, il connait bien le mal du littoral. « Le véritable problème est l'utilisation du sable marin. Cela favorise aussi l'avancée des eaux. Par exemple, l'usage de ce sable a atteint des niveaux tellement importants que lors des marées hautes, les vagues s'abattent sur ma maison, mais aussi sur toutes les habitations riveraines », raconte cet habitant de Yoff Dagoudane, la mine anxieuse. Visage marqué de rides témoignant le poids des années, le patriarche Guèye appelle les populations au civisme.

« Quand je construisais ma maison, je pouvais prendre ce sable marin qui est à zéro mètre de chez moi. Mais je suis allé acheter du sable ailleurs. Pourquoi mes amis Lébous ne feraient pas de la sorte ?», s'interroge-t-il, la mort dans l'âme. Dans cette partie de la grande côte qui s'étale jusqu'à Saint-Louis, la mer est devenue, depuis quelques jours, une source d'anxiété. À l'horizon, les embarcations naviguent avec délicatesse.

En ce temps de vents forts, de baisse des températures, c'est une mer terrifiante dont l'impétuosité des vagues fait vaciller les usagers qui s'y aventurent en ces moments qui courent. Mama Sèye, originaire de Cayar, est venue à Yoff pour fuir la raréfaction du poisson qui secoue sa commune. Assis sur une pirogue accostée à proximité des maisons, il se lamente. « Ces temps-ci, l'avancée des eaux nous inquiète, nous les usagers de la mer. Depuis quelques jours, nous constatons une houle qui menace la stabilité de nos pirogues. Nous ne pouvons pas aller au travail avec cette mer agitée », explique-t-il, avec le gestuel d'un passionné.

Des résidus de poisson, des tas de gravats décorent la rive exiguë. Ici, l'érosion du littoral se manifeste par une montée de la mer, favorisant la disparition de végétaux. « Autrefois, les plantes poussaient à côté de la plage. L'eau était tellement à distance qu'on pouvait organiser des jeux de football, des séances de lutte, de "simb" (faux lion). Mais aujourd'hui, le littoral n'existe presque plus. Il n'y a même plus de place pour les pirogues », déplore Fama Gaye, transformatrice, langoureusement vautrée sur une natte. Avec leurs moyens de protection assez rudimentaires, des populations de la grande côte subissent la menace de la progression des eaux marines.

Le littoral perd 1 à 1,5 mètre par an

La région de Dakar est exposée au risque de submersion marine, qui, compte tenu de la densité d'infrastructures littorales, constitue un risque important. L'alerte est du rapport du Plan national d'adaptation pour la zone côtière du Sénégal (Pnazc) publié en décembre 2022. De la zone de Yoff à Guédiawaye, une partie de la grande côte, l'érosion avance à grands pas. « Les effets des changements climatiques sont connus, mais leur contribution exacte dans la dégradation du littoral n'a pas été évaluée. À cette portion du littoral, le taux d'érosion moyenne annuel est de 1 à 1,5 m/an », renseigne Mame Faty Niang Seydi, Chef de la Division gestion du littoral à la Direction de l'environnement et des établissements (Deec).

Selon le rapport du Pnazc, l'érosion est particulièrement dévastatrice au sud de la région de Dakar, sur le linéaire côtier entre Rufisque et Toubab Dialaw, avec de nombreuses infrastructures littorales menacées, voire déjà détruites. « Concernant l'érosion côtière, l'État s'appuie sur la stratégie de Gestion intégrée des zones côtières comme document de base. Nous disposons aussi du plan national d'adaptation des zones côtières », a ajouté Mme Seydi, jointe par téléphone. Pour sa part, Dr Oumar Ngalla Diène, géographe et spécialiste de la planification urbaine, pointe les agressions répétées sur le bâti côtier à Yoff.

« Il s'agit d'un phénomène naturel connu. Il est dû au renforcement de l'anticyclone des Açores ! Ce qui se traduit par le déclenchement de courants et de vagues très forts (houles). De ce fait, la ligne de rivage évolue à l'intérieur des habitations qui sont trop proches de l'estran de plage. C'est pourquoi l'on recommande de ne pas aménager dans le domaine public maritime », explique M. Diène, géographe et spécialiste de la planification urbaine. D'après lui, cette période est dite des « vives eaux », contrairement à la période estivale pendant laquelle la mer est très calme.

Les explications du Directeur de l'exploitation de la météo

Le littoral concentre des activités économiques (tourisme, la pêche et l'aquaculture, les industries ainsi que les activités portuaires) qui subiront, à des degrés divers, les effets du changement climatique. D'après l'Agence nationale de l'aviation civile et de la météorologie (Anacim), l'avancée de la mer est un phénomène naturel provoqué par le réchauffement climatique. « Avec les changements climatiques, un des signaux les plus clairs, c'est l'élévation de la température du globe. Cette élévation a des conséquences. L'une d'elles c'est que la partie liquide, c'est-à-dire l'eau de mer, va se dilater.

La dilatation, c'est l'augmentation de la température. Quand l'eau est chauffée, elle augmente de volume et l'océan déborde », explique Ousmane Ndiaye, Directeur de l'exploitation de l'Agence nationale de l'aviation civile et de la météorologie (Anacim). M. Ndiaye, également point focal du Groupe intergouvernemental de l'évolution du changement climatique (Giec), constate déjà que beaucoup de plages sont englouties au Sénégal. « C'est ce qu'on peut voir dans plusieurs parties du Sénégal à Thiawlène (Rufisque), à Guet Ndar (Saint-Louis) etc. Ce phénomène fait que les plages sont de plus en rétrécies », a-t-il dit.

L'expert retient également un autre phénomène qui explique la réduction du littoral. Il s'agit de la fonte des glaciers. « Les glaces qui ne sont pas dans la mer, se trouvent soit au-dessus de la mer c'est-à-dire les carottes polaires, soit dans les montagnes. Quand les températures augmentent, la glace va changer de phase en allant de solide à liquide qu'on appelle l'eau. Cela va ruisseler et rejoindre la mer. La mer va augmenter en volume », a-t-il ajouté. Pour Ousmane Ndiaye, le phénomène observé a été prédit par le dernier rapport du Giec.

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