Ile Maurice: Jacqueline Forget - «Le projet de loi est davantage orienté vers des mesures punitives et l'autoritarisme»

Les débats parlementaires sur le projet de loi sur la protection et la promotion des droits des personnes autrement capables se poursuivent. Jacqueline Forget, psychologue clinicienne, militante pour l'inclusion des enfants à besoins spéciaux depuis 30 ans, fondatrice et membre exécutif de la Special Educational Needs Society (SENS), estime que si un tel projet de loi était nécessaire après une longue attente, la mouture présentée à l'Assemblée nationale doit être revue et ne doit pas être utilisée comme un outil politique.

Tout d'abord, souligne-t-elle, il est question de nuances fondamentales dans le vocabulaire, reflétant la philosophie. Alors que le projet de loi fait référence aux «persons with disabilities», le terme «dis-ability» constituant un rejet de la vision pour le futur, prédéterminant les perspectives de vie de l'individu dont ses réalisations. «Il faut reconnaître les différences mais sans préjugés.

C'est un fait qu'il existe une diversité dans la société, qui est naturelle et qui doit être acceptée. Nous sommes tous capables, de manières différentes, avec une unicité, une spécificité. Ce projet de loi se fonde sur le principe que bien que la diversité soit reconnue, c'est dans le cadre d'un mécanisme d'exclusion, où les personnes autrement capables sont catégorisées et reçoivent des 'traitements spéciaux' parce qu'elles ont des besoins spéciaux», fait ressortir Jacqueline Forget.

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Elle explique que «l'inclusion, que ce soit dans le système éducatif ou dans la société, signifie pas de ségrégation, pas de ghetto d'écoles spécialisées (...) En profondeur, c'est une question de mauvais regard porté sur les personnes ; la mentalité de la société collective, et nécessite des mouvements de base et des réformes culturelles (...) alors que la définition de 'disability' implique une déficience physique, mentale, intellectuelle ou sensorielle de longue durée, le besoin d'inclusion pouvant être temporaire, de courte ou moyenne durée, mais doit néanmoins être pris en compte et traité de manière adéquate.»

Capitalisme et contrôle de l'état

Par ailleurs, la clause 11(b) du projet de loi, qui élabore les concepts de réhabilitation et d'adaptation, souligne la responsabilité de permettre aux personnes handicapées d'atteindre et de maintenir, entre autres, une inclusion et une participation intégrales dans tous les aspects de la vie, sur la base d'une évaluation pluridisciplinaire des besoins et des capacités. Les articles 41 à 44 prévoient des avantages monétaires accordés aux employeurs qui embauchent des personnes autrement capables. Cependant, les points positifs de cette loi comportent d'importantes lacunes, note la fondatrice de SENS.

«Les mesures fiscales, même si bien accueillies, comportent un contrôle excessif alors que les organisations non gouvernementales sont bien souvent déjà accablées par un nombre disproportionné et injustifié de mesures de contrôle de la part de différents organismes publics et parapublics (...) les mesures fiscales sont une approche capitaliste alors que la mise en place d'un projet de loi qui donne à la dignité et à chacun sa place, nécessite plutôt une approche humaine et sociale qui prenne en compte toutes les parties prenantes». Elle fait aussi ressortir que ce texte de loi ne fait aucunement mention de l'autonomisation des familles à travers des associations, des organisations non gouvernementales ou des groupes librement constitués et des actions communautaires.

Une autre préoccupation, selon Jacqueline Forget : la composition des différentes autorités créées pour appliquer le cadre, soulevant des questions sur l'équité de l'évaluation des services fournis par l'État, la transparence, l'indépendance et la participation aux décisions prises dans l'intérêt des personnes concernées. Ce projet de loi prévoit notamment la création d'un Disability Rights Watch, d'une Protection and Promotion of the Rights of Persons with Disabilities Unit au sein du ministère de la Sécurité sociale, d'une National Disability Authority, ainsi qu'un Independent Monitoring Mechanism (IMM). Toutefois, ces organismes sont composés de fonctionnaires ou de représentants de différents ministères, le directeur général et le président étant nommés par la ministre. La nomination de personnes autrement capables ou de professionnels engagés dans la promotion et la protection des personnes en situation de handicap sur ces conseils d'administration dépend également de l'approbation de la ministre. Ainsi, au sein de l'IMM, le conseil sera composé de sept membres: trois fonctionnaires et quatre représentants d'organisations de soutien aux personnes autrement capables, nommés par la ministre.

Il est aussi question de la liberté de choix de l'éducation de l'enfant. «Les parents devraient être libres de choisir où, quand et comment leur enfant est éduqué. Le projet de loi stipule que l'admission d'un enfant dans un établissement d'enseignement spécialisé doit se faire pour une période transitoire, sauf décision contraire de la Special Education Needs Authority (SENA). Il n'y a pas d'obligation d'admettre un enfant ou de justifier un refus, ni d'obligation pour l'État de prendre en charge financièrement le coût des aménagements pour les élèves à besoins spécifiques dans ces établissements. Actuellement, le SENA exerce un contrôle totalitaire sur les choix d'éducation et de formation des établissements d'enseignement spécialisé, en imposant des méthodes, en limitant et en définissant les organismes de certification. La législation devrait consacrer la liberté de choix afin que des possibilités multiples puissent s'épanouir pour répondre aux besoins de toutes les institutions. Ce n'est qu'à ce moment-là que les besoins spécifiques seront réellement respectés».

Alors que les débats parlementaires sur le projet de loi se poursuivent, ses dispositions sont davantage orientées vers la prohibition, les mesures punitives, l'autoritarisme, l'obligation et la bureaucratie que vers la définition de voies formelles pour une réforme sociale et culturelle dynamique, participative et consensuelle, considère Jacqueline Forget.

Elle ajoute que pour inciter les institutions à planifier des services inclusifs, il faut créer une nouvelle culture, qui ne peut provenir que d'actions communautaires que la loi devrait officiellement chercher à renforcer. «Il faut bien commencer quelque part, mais pas avec un projet de loi qui ajoute comme nouvel élément le contrôle de l'État pour favoriser une approche exclusive. Une approche pleinement inclusive aurait favorisé la conversion de toutes les infrastructures courantes - transport, sport, communication, éducation, loisirs, commerce ou emploi - en services conviviaux pour tous les citoyens. Le projet de loi devrait plutôt viser précisément toutes les facilités fournies par notre société, l'État, ainsi que le secteur privé à but lucratif et non lucratif, afin de répondre aux besoins de tous et de chacun.»

Assemblée nationale : Débats mitigés sur les droits des handicapés

Les propos des parlementaires sur le Protection and Promotion of the Rights of Persons with Disabilities Bill ont été mitigés, mardi soir, à l'Assemblée nationale. Ce projet de loi, selon certains d'entre eux, arrive au bon moment alors que pour d'autres, il présente encore des lacunes. Certains suggèrent même qu'un futur gouvernement pourrait apporter les ajustements nécessaires.

Bien qu'il accueille favorablement ce projet de loi, le député de l'opposition, Osman Mahomed, a néanmoins exprimé des réserves. Suite à ses échanges avec ses mandants, il demande que le parking réservé aux personnes handicapées à l'hôpital Dr A.G. Jeetoo à Port-Louis soit peint en bleu afin d'éviter qu'il soit utilisé par des personnes non handicapées. De plus, il demande le retrait d'un obstacle sur la voie de sortie à Trianon menant à l'arrêt d'autobus. Il a rappelé son expérience en tant qu'ingénieur en génie civil travaillant à l'adaptation des bâtiments pour les personnes handicapées et a déploré le fait que certains édifices ne disposent toujours pas d'un accès dédié à ces personnes. Il a souligné également que certains lieux de culte ne sont pas accessibles aux personnes handicapées.

Dans une démarche tournée vers l'équité sociale, le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, a annoncé, lors de son intervention, le lancement du Training and Placement of Persons with Disabilities (TPPD), une initiative qui incarne, selon lui, l'engagement du gouvernement à créer des opportunités équitables pour tous. En étroite collaboration avec le Training and Placement of Persons with Disabilities Board, ce programme vise à offrir des voies accrues d'insertion professionnelle pour les personnes inscrites. Le programme comprend une période de formation et un placement de six mois. Les participants bénéficieront d'une allocation mensuelle de Rs 10 000, ainsi que d'une allocation de déplacement de Rs 1 000. Il souligne qu'en février dernier, près de 40 personnes ont été accueillies pour des entretiens. Ce qui a abouti à la sélection de 22 personnes prêtes à intégrer diverses institutions publiques.

Selon la députée du Mouvement militant mauricien, Karen Foo Kune-Bacha, bien que le projet de loi parte d'une bonne intention, son arrivée est tardive. «Les personnes handicapées attendent ce projet de loi depuis plus de dix ans. Elles ont mené une longue et difficile lutte pour obtenir une place juste dans la République», déplore-t-elle. La députée regrette que le projet de loi ne prévoie pas de changements pour les bâtiments déjà construits et dépourvus d'accès pour les personnes handicapées. Elle souligne également que les écoles «mainstream» ne permettent pas aux enfants handicapés d'y avoir accès. En outre, elle demande que les prestataires aidant des personnes handicapées soient mieux valorisés. Si des amendements ne sont pas apportés à ce projet de loi, elle avance qu'un autre gouvernement le fera.

Soutien nécessaire

Selon le député de Rodrigues, Buisson Léopold, bien qu'il accueille favorablement ce projet de loi sur les droits des personnes handicapées, il estime qu'il reste encore beaucoup à accomplir pour ces dernières. Il avance que les personnes handicapées ont le potentiel de réaliser beaucoup de choses mais qu'elles ont besoin de soutien. Le député estime que ce projet de loi intervient à un moment opportun car Maurice est confronté à une population vieillissante.

Nando Bodha, député de l'opposition, a exprimé le souhait que les trottoirs des rues principales soient aménagés pour être accessibles aux personnes ayant des handicaps différents. Il déplore le fait que les infrastructures ne soient pas adaptées à la mobilité des personnes handicapées. Pour améliorer leur mobilité, il demande également qu'elles puissent accéder au rez-de-chaussée des logements sociaux.

En exposant le nombre de personnes ayant subi des chirurgies en raison du diabète et d'autres maladies, le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, a souligné que le gouvernement, en collaboration avec d'autres organismes, apporte son soutien à ces personnes. Il a annoncé qu'une feuille de route pour le traitement des personnes ayant été victimes de thrombose serait bientôt définie avec la collaboration d'un Mauricien résidant au Canada. Pour sa part, le député de l'opposition Khushal Lobine a exprimé son mécontentement quant au fait que l'ébauche de ce projet de loi remonte à 2012 et qu'elle ne soit présentée à l'Assemblée nationale que maintenant. Il a appelé la ministre de la Sécurité sociale, Fazila Jeewa-Daureeawoo, à y apporter les modifications constitutionnelles nécessaires.

Déplorant l'absence de plusieurs membres de l'opposition lors de ce débat, le ministre des Sports Stéphane Toussaint a exprimé son désaccord avec les députés qui ont critiqué ce projet de loi. Selon lui, plusieurs centres sportifs et stades sont accessibles aux personnes handicapées.

«Today, we have failed»

Préférant éviter toute critique envers le gouvernement par rapport au projet de loi actuel, le député du Parti Travailliste (PTr) Shakeel Mohamed a choisi de faire acte de contrition pour le manque de progrès en faveur des personnes handicapées sous l'administration du PTr. «Today, we have failed», admet-il. «Le gouvernement et le PTr partagent une responsabilité commune. Nous avons mis trop de temps à présenter un projet de loi. Nous sommes tous responsables de ce retard», a-t-il ajouté, en insistant sur le fait que la ministre concernée ne doit pas être tenue pour seule responsable.

Il a déploré l'absence de trottoirs adaptés aux personnes handicapées et a souligné le manque d'infrastructures à l'Assemblée nationale pour en assurer l'accès aux personnes handicapées. Alors que le vote sur cette loi approche, il a exprimé l'espoir que son application se fasse rapidement.

Le Parlement a été ajourné au mardi 16 avril.

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