Sénégal: Jeunes révolutionnaires

Dans les commentaires entendus après la victoire de Bassirou Diomaye Faye à l'élection du 24 mars, au Sénégal, d'aucuns n'ont pas hésité à parler de révolution. A la fois parce que l'élu sortait de prison quelques jours auparavant, mais aussi parce qu'à ses côtés se trouvait son compagnon ayant connu le même sort, en fait le principal opposant au pouvoir (alors) en place, Ousmane Sonko, dont l'invalidation de la candidature à la présidentielle a ouvert la voie au premier.

Combat politique ensemble, prison et libération de concert, projet de société commun, campagne électorale puis victoire magistrale. Un parcours atypique pour les deux hommes qui entrent dans l'histoire de leur pays d'une façon très particulière. Beaucoup s'interrogeaient aussi sur l'attelage que devait constituer le nouveau chef de l'Etat pour poursuivre la route avec son ami, tant il est vrai que la personne choisie par les Sénégalais pour exercer la fonction présidentielle de plein droit est bien Bassirou Faye.

Sans l'ombre d'un doute, le président de la République a confié la charge de diriger le gouvernement à Ousmane Sonko en le nommant Premier ministre. Sur les chapeaux de roue, l'équipe qui les accompagnera a été dévoilée comportant vingt-cinq ministres et cinq secrétaires d'Etat. La feuille de route a de toute évidence été concoctée d'assez longue date, convaincus qu'ils étaient, Faye et Sonko, de la direction que prenait le vent d'une campagne présidentielle faite d'opiniâtreté et de confiance réciproque.

Le qualificatif de « révolutionnaires » associé aux deux compagnons tient à ce qu'ils ont bousculé l'establishment se présentant aussi, beaucoup l'ont évoqué, comme des dirigeants « antisystème ». Juste pour convaincre que n'étant pas du bord de l'équipe au pouvoir, leur vision politique sort de l'ordinaire, mais peut-être aussi qu'ils seraient disposés à revisiter de fond en comble les arcanes sur lesquelles reposait jusque-là la gouvernance publique du Sénégal.

Le problème des révolutionnaires, et notamment des révolutions qui les engendrent tient souvent au rythme de la mise en musique des idées qui les sous-tendent. En règle générale se pose la question de la vitesse de la marche en avant. « Aller vite, plus vite ; aller lentement, méthodiquement » peuvent se frotter insidieusement si les meneurs, s'ils forment un duo, ne parviennent pas à hiérarchiser les priorités, et surtout, à agiter suffisamment avant usage les propositions, conseils, avertissements de ceux ou celles identifiés comme leurs amis communs ou individuels, mais prompts à les opposer.

Dans le cas des jeunes « révolutionnaires » sénégalais du moment, dans leur entourage pourrait être développé ce genre de propos : « Mais, oui, c'est vous le président de la République, et pas quelqu'un d'autre ! » ; « Mais si, c'est grâce à vous qu'il est là, ne reculez pas ! ». Si Bassirou Diomaye Diakhar Faye et Ousmane Sonko, au lieu de se mettre au travail cèdent à ces chants de la division, le harnais qui les a tant liés avant, pendant et après l'élection présidentielle verra ses cordes se rompre l'une après l'autre. Ils auront manqué à leur promesse de ne pas décevoir, lancée le jour de la prestation de serment du chef de l'Etat.

Pour autant, les défis sur leur chemin restent immenses. Entre autres, savoir coupler le temps de l'apprentissage, donc nécessairement des erreurs, à celui du raffermissement de la confiance qui les unit. Cinq années peuvent être longues mais poursuivre une juste cause avec honnêteté et courage peut aider à défier le temps, déjouer les pièges, et bonifier une révolution. Si tant est que celle du 24 mars 2024 au Sénégal en serait une.

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