Le Rwanda célèbre depuis hier le 30e anniversaire du génocide tutsi, survenu en 1994. Ce sont entre huit cent mille et plus d'un million de Tutsis, l'ethnie minoritaire du pays, mais aussi des Hutus modérés, l'ethnie majoritaire, qui ont été massacrés en 100 jours de tueries comparables à des pogroms.
L'armée rwandaise, les milices Interahamwe et aussi des civils, partisans des lobbies Hutus power, y sont allés qui de sa kalachnikov, qui de son fusil de chasse, de sa machette ou de son gourdin.
Le casus belli ? L'avion abattu du président rwandais Juvénal Habyarimana, qui avait à son bord, outre le président Cyprien Ntaryamira du Burundi, de hauts cadres de l'administration de ces 2 pays, majoritairement hutus. C'était le 6 avril 1994 en fin d'après-midi, alors que l'aéronef avait amorcé sa descente pour atterrir à Kigali. La mort du président Habyarimana confirmée, les tueries de Tutsis commencèrent aux premières lueurs de la journée du 7 avril 1994, d'abord à Kigali pour plus tard se propager à tout le pays.
Le génocide des Tutsis venait ainsi de débuter. Il durera plus de 3 mois, faisant 800 000 victimes, selon les Nations unies, et plus d'un million, d'après les autorités rwandaises issues du coup d'Etat de juillet 1994, l'oeuvre du Front patriotique rwandais, alors en rébellion dirigée par Paul Kagame.
Surpris, désemparés, impuissants ou n'ayant pas la volonté d'agir, les Casques bleus de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) et les troupes françaises présents au Rwanda assistèrent aux massacres, même s'il est vrai que des soldats de l'ONU ont péri en tentant d'empêcher certains assassinats. On pense notamment à celui d'Agathe Uwilingiyimana, une Hutue modérée alors Première ministre et dont 10 Casques bleus belges de son escorte ont été tués en volant la protéger. D'autres Casques bleus, d'autres expatriés d'autres pays sont morts dans cette folie meurtrière qui s'est emparée d'un Rwanda déstabilisé avec notamment la percée des rebelles du FPR qui prendront le pouvoir à Kigali le 18 juillet 1994.
Cette impuissance des Casques bleus ou ce manque de volonté des troupes françaises de l'opération Turquoise d'empêcher ce génocide ont été bien caractérisés par le président Emmanuel Macron qui, à la veille de cet anniversaire traumatisant, a déclaré que la France, « qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n'en a pas eu la volonté alors qu'elle en avait la possibilité. » Des aveux de culpabilité après ceux de responsabilité faits par le même Emmanuel Macron en 2021 ? En tout cas, si ce ne sont pas des excuses publiques à l'adresse du peuple rwandais et de ses dirigeants, ça y ressemble. Mais on attend toujours la demande de pardon, ce qui semble être la mer à boire pour l'Elysée depuis 3 décennies maintenant.
Au-delà de la France, la Belgique, les Etats-Unis et l'ONU, pour ne citer que les pays et les organisations qui étaient les plus informés de la situation sociopolitique du Rwanda au moment de ces massacres à grande échelle, sont interpellés. Devant l'histoire, et au nom des droits de l'homme et des peuples, ils sont coupables de non-assistance à populations en danger, voire de complicité de meurtres et de génocide par inaction et omerta. Concernant la France, l'accusation de complicité par dissimulation de preuves, subornation de témoins pourrait s'ajouter au tableau des charges.
De fait, Kigali a toujours pointé du doigt Paris, l'accusant d'avoir aidé des génocidaires, exécutants ou commanditaires, à fuir le Rwanda et à se soustraire à la justice. Quand bien même certains se seraient retrouvés sur le sol français, les demandes d'extradition du gouvernement Paul Kagame sont restées sans suite, la justice française préférant se saisir des cas les plus emblématiques, dont 6 ont été jugés. Les accusations de passivité suspecte, voire de complicité avec des génocidaires, ont longtemps plombé les relations entre Kigali et Paris et aussi avec Bruxelles. Aujourd'hui, elles se sont beaucoup assainies au point que l'ancien ministre des Affaires étrangères de Paul Kagame, Louise Mushikiwabo, occupe le poste hautement symbolique de secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie depuis 2018. Par ailleurs, le profil des personnalités venues de France, de Belgique et des Etats-Unis pour commémorer ce traumatisant anniversaire en dit long sur le retour des bonnes relations que ces pays ont désormais avec le Rwanda.
En effet, on a vu aux côtés du président Kagame, à la cérémonie inaugurale de cette commémoration, l'ancien président américain Bill Clinton, l'occupant de la Maison- Blanche au moment des faits ; le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, le Secrétaire d'Etat à la mer, Hervé Berville, un natif du Rwanda ; les ministres belges des Affaires étrangères et de la Défense, Hadja Lahbib et Ludivine Dedonder. C'est donc devant un parterre de personnalités de premier choix que l'homme fort du Rwanda depuis plus d'un quart de siècle va allumer, comme il le fait depuis l'an 2000, la Flamme du souvenir au mémorial de Gisozi à Kigali, dédié aux victimes du dernier génocide du 20e siècle. Dans la foule des grands jours qui a assisté à la cérémonie, beaucoup de parents des victimes qui ont écrasé furtivement, les uns des larmes récalcitrantes, les autres des sanglots mal étouffés.
A la Flamme du souvenir, aux larmes et aux sanglots de traumatisme à Kigali viendront en écho les élégies psalmodiées en allocutions au siège de l'UNESCO par la sous-directrice générale chargée de l'Education, Stefania Giannini, et par l'ambassadeur du Rwanda en France et délégué permanent auprès de cette institution des Nations unies. En rappel, c'est depuis 2003 que l'ONU, sur proposition de l'UNESCO, avec le soutien des autorités rwandaises, a proclamé le 7 avril Journée internationale de réflexion sur le génocide contre les Tutsis en 1994.
De Kigali à Paris, le souvenir de cette sinuosité dramatique de l'histoire rwandaise interpelle encore et toujours l'Afrique et le reste du monde. Après la Shoah de la Seconde Guerre mondiale, le plus jamais ça reste un voeu pieux, vu le calvaire des Arméniens ou des Kurdes dans un passé récent. Et que dire du Nakba persistant des Palestiniens à Gaza ? Et parlant du Rwanda, la stabilité et les bons résultats socio-économiques du pays sous le magistère du président Kagame doivent-ils empêcher que l'on s'interroge ? Qui des rebelles du FPR ou des faucons d'Interahamwe ont abattu l'avion du président Habyarimana ? Le Tutsi power n'a-t-il pas remplacé le Hutu power au Rwanda ? La flamme du souvenir éclaircira-t-elle un jour toutes les ombres de ce trauma trentenaire ?