Dans le grand foisonnement du marché de l'art contemporain africain, le design mobilier commence également à émerger, après des décennies d'efforts. Déjà à l'honneur en 2019 à la foire d'art contemporain Akaa à Paris, il est prévu de revenir en force en mai à la Biennale de Dakar, qui intègre cette année une section design. En Côte d'Ivoire, le célèbre créateur de mode Pathé'O a lancé en mars sa première collection de meubles d'intérieur, en collaboration avec la marque d'ameublement LM Wax.
Pour présenter leur première collection, Pathé'O et LM Wax ont repris tous les codes du vernissage d'une exposition d'art. Avec discours et coupes de champagne devant les fauteuils aux lignes épurées et ornées de ses célèbres textiles, Pathé'O explique son nouveau virage, parti d'un constat : celui de la dépendance de la Côte d'Ivoire au mobilier d'importation.
« Tout ce que nous consommons ici, en matière de meubles, ça vient de l'extérieur, explique l'artiste. Mais il est possible de les fabriquer localement. Je suis allé dans les salons, j'ai vu les tissus, alors ça m'a donné envie de faire des fauteuils, c'est aussi simple. Le design, c'est le futur ! »
Parmi la jeune génération, Paul Ledron a pris conscience du potentiel de la Côte d'Ivoire grâce aux retours favorables reçus en exposant à Paris, en 2023, pour la Semaine du design. Pour lui, le potentiel tient d'abord à sa tradition artisanale :
« On a beaucoup d'artisans qui sont doués, qui travaillent le bois, qui n'ont rien à envier à des ébénistes d'autres pays. L'artisan, c'est quelqu'un qui a maîtrisé un matériau et qui le travaille. Mais qui n'a pas forcément toute cette réflexion en amont qu'a le designer. Et donc, forcément, le designer doit travailler avec un artisan, et l'artisan, lui aussi, a besoin du designer pour faire évoluer son art. Ce sont deux métiers complémentaires, ils vont ensemble. »
Pour se développer et se diversifier, le secteur attend désormais de disposer de moyens de production à grande échelle : cela lui permettrait de sortir de l'élitisme des galeries d'art pour toucher le plus grand nombre.
Un retard en partie expliqué par l'enseignement du design par des professeurs d'arts plastiques
Parmi ceux qui s'investissent pour faire connaître la discipline se trouve son pionnier, Jean-Servais Somian, sculpteur sur bois de formation, devenu designer de mobilier dans les années 2000. Après deux décennies d'efforts pour faire connaître cet art, il se réjouit de sentir le vent tourner. Selon lui, le retard est en partie dû à un manque de reconnaissance des techniques ancestrales et à la méthode d'enseignement du design dans le continent.
On sent qu'il y a un changement, on sent qu'il amorce, le design africain a déjà pris de la côte. Mais il fallait que l'on fasse ce boulot, c'était méconnu ici. Notre clientèle était en Europe, pas en Afrique. Maintenant, c'est partout ! Pour ceux qui proposent de belles pièces, pour ceux qui proposent du beau travail, il y a un marché. Il y a un gros marché même. Le design n'est pas occidental, il est africain, il est universel ! Nos ancêtres, ce qu'ils faisaient à l'époque, c'est du design ! Tous les objets, les vases, les repose-têtes et les petits tabourets, c'est du design ! Mais, à un moment, on n'a pas su enseigner cela dans nos écoles. Dans nos écoles, en Afrique, qui enseigne le design ? Ce sont les professeurs d'arts plastiques qui enseignent le design ! C'est un scandale total. Ce n'est pas leur faute, parce que, dans l'enseignement, quand on a formé les gens après les indépendances, on a formé les gens à tous les métiers ! Professeur d'art, professeur de machin... Mais le design n'existait pas pour l'Afrique. Donc, on n'a pas formé de professeurs de design. Quand le design arrive dans les années 2000, on n'essaye pas de rattraper notre retard. On continue avec des professeurs d'arts qui peignent, et qui enseignent le design. Mais c'est un métier, d'être designer !
Marine Jeannin Pour remédier à ce problème de formation, Jean-Servais Somian a lancé en 2021 le Young Designer Workshop, un atelier de formation pour créer une jeune génération de designers ivoiriens. Une seconde édition est prévue pour la fin du mois de mars.