Afrique: Le génocide au Rwanda revient devant la justice belge

Gaëlle Ponselet, journaliste spécialisée justice depuis bientôt dix ans, a couvert un grand nombre de procès se déroulant à Bruxelles (Belgique) où elle est basée, des litiges entre grandes entreprises au tribunal de commerce, aux affaires criminelles à la cour d'assises en passant par les récents procès de terrorisme. Pour Justice Info elle couvre les procès dit de « compétence universelle ». Pour elle, assister aux procès c'est à la fois le luxe d'être à la source de l'information et la certitude de pouvoir chaque fois entendre au moins deux sons de cloche différents.

Le procès d'Emmanuel Nkunduwimye s'ouvre le 8 avril aux assises de Bruxelles, 30 ans presque jour pour jour après le début du génocide des Tutsis au Rwanda. L'accusé était un ami proche de l'ancien dirigeant milicien Georges Rutaganda, l'un des premiers condamnés du Tribunal de l'Onu pour le Rwanda. Un autre Rwandais qui devait être jugé avec lui, Ernest Gakwaya, sera finalement poursuivi séparément, son transfert du Burundi n'ayant pas eu lieu à temps.

Trois mois après avoir condamné deux Rwandais pour participation au génocide de 1994 au Rwanda, la cour d'assises de Bruxelles s'apprêtait à en juger deux autres, à partir du 8 avril, au moment même de la trentième commémoration du génocide des Tutsis. Finalement, il n'y en aura qu'un. Le 19 mars, la cour a ordonné des procès séparés. Emmanuel Nkunduwimye sera seul devant ses juges. Ce procès a une particularité : il se présente comme un long écho d'un autre dossier fameux, ouvert il y a plus de 25 ans devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie.

Selon l'acte d'accusation du parquet fédéral belge, Nkunduwimye était l'un des amis proches de Georges Rutaganda, vice-président du Comité national des Interahamwe, une milice considérée comme le fer de lance des massacres perpétrés entre avril et juillet 1994 au Rwanda. Nkunduwimye est accusé d'avoir commis un nombre indéterminé de meurtres, un viol et une tentative de meurtre dans le complexe immobilier Amgar à Kigali, appartenant à Rutaganda, qui y possédait un garage automobile. Le site de Amgar était l'un des lieux centraux du procès de Rutaganda devant le TPIR. Selon l'acte d'accusation, Nkunduwimye exploitait ce garage.

L'ombre du tribunal de l'Onu

Les enquêteurs belges ont récolté des témoignages affirmant que Nkunduwimye circulait régulièrement avec Rutaganda durant la période du génocide, équipé d'une veste militaire et armé. Ils affirment qu'il était lui aussi membre du Comité national des Interahamwe. Nkunduwimye ne figure pas parmi les 11 membres du comité national. L'un d'eux, Ephrem Nkezabera, jugé et condamné en Belgique avant sa mort, aurait cependant déclaré qu'il faisait partie "de la mouvance des membres du comité national des Interahamwe, sans avoir de fonction officielle". D'autres témoins affirmeraient, au contraire, que l'accusé devait circuler avec Rutaganda pour être protégé, car il était une cible des miliciens du fait que son beau-frère finançait le Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion tutsie alors en guerre contre les Forces armées rwandaises du gouvernement hutu.

C'est peut-être lors du procès de Rutaganda que Nkunduwimye est d'ailleurs entré dans le collimateur de la justice. Selon l'acte d'accusation, il avait fait un témoignage très favorable à Rutaganda lors du procès de celui-ci, les 17 et 18 février 1999. Il aurait aussi cherché à convaincre d'autres Rwandais de venir dresser un portrait élogieux de l'accusé. Lors de sa déposition devant le TPIR, Nkunduwimye a réfuté la présence d'armes, de grenades et de munitions à Amgar et a contesté avoir lui-même perçu de l'argent avec Rutaganda pour exfiltrer des Tutsis et Hutus persécutés vers l'Hôtel des mille collines, lieu de refuge de dizaines d'entre eux en avril et mai 1994, au centre de Kigali.

Nkunduwimye a lui-même déclaré aux policiers belges, le 13 mai 2011, que les enquêteurs du bureau du procureur du TPIR lui avaient « promis qu'il serait accusé à son tour » pour avoir refusé de témoigner contre Rutaganda. Son cas avait suscité une polémique, à l'époque, sur les méthodes de ces enquêteurs de l'Onu. Rutaganda, condamné à la prison à vie par le TPIR, est mort en prison en 2010.

Nkunduwimye a aussi attribué ses ennuis judiciaires à un certain Augustin Ntazinda, avec qui il avait eu un conflit commercial et qui avait juré qu'il causerait sa perte.

Un accusé à peine majeur lors du génocide

Ce nouveau procès en Belgique devait également juger un homme qui n'avait que 18 ans au moment du génocide. Ernest Gakwaya ne sera pourtant pas dans le box aux côtés de Nkunduwimye. Il devait être libéré en février dernier au Burundi, où il avait été arrêté et condamné à un an de prison pour une affaire de faux papiers. Visiblement, il n'a pas encore pu regagner la Belgique. La date de son procès n'a pas été fixée. Il sera en tout cas le plus jeune accusé du génocide au Rwanda dans un procès mené par une juridiction étrangère.

Lorsque le génocide a débuté, le 7 avril 1994, il était étudiant en électromécanique et séjournait chez ses parents à Kigali, dans le quartier Nyamirambo. De nombreux témoins ont affirmé aux enquêteurs belges qu'il avait alors intégré les Interahamwe de son quartier et qu'il fréquentait le café "Beau Séjour", repère de ces miliciens. C'est entre ces murs, selon les investigations belges menées au Rwanda, que de nombreuses jeunes femmes tutsies ont été séquestrées pour devenir les esclaves sexuelles des Interahamwe.

Plusieurs témoins ont déclaré que Gakwaya a notamment participé à trois attaques sanglantes à Nyamirambo : celle de la paroisse Charles Langwa, où 500 à 600 Tutsis et Hutus modérés s'étaient réfugiés ; celle du couvent des Frères Joséphites ; et celle du home "Chez Gasamagera", où de jeunes femmes tutsies se cachaient. Des cinq viols dont il est accusé, quatre auraient eu lieu au café "Beau Séjour" et un au couvent des Frères Joséphites.

Entre 2001 et 2023, la justice belge a jugé onze Rwandais dans le cadre de six procès distincts. Quarante-neuf dossiers (y compris ceux de Nkunduwimye et Gakwaya) sont encore ouverts à ce jour en Belgique contre des individus soupçonnés d'avoir participé au génocide des Tutsis. Quatre sont prêts à être jugés, 33 sont toujours à l'instruction et 12 sont à un stade préliminaire.

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