Ile Maurice: Les critiques de l'Audit éclipsées par le remue-ménage de l'opposition

Vivement attendu, le rapport de l'Audit, le premier de Dharamraj Paligadu, n'a occupé qu'éphémèrement l'espace médiatique la semaine dernière, le constat accablant de ce dernier sur le train de vie de l'État pour la période 2022-23 ayant été subrepticement relégué au second plan par l'actualité politique chaude.

Celle notamment du sort de l'alliance électorale de l'opposition PTr-MMM-PMSD, en voie pourtant de finalisation mais qui, subitement, s'est retrouvée au bord de l'implosion suivant la décision de Xavier-Luc Duval de faire monter les enchères.

Il ne faut pas être dupe : la démarche du MSM d'exploiter les différends au sein de l'opposition, avec d'abord les violentes critiques de Pravind Jugnauth à La Source, Quatre-Bornes, le 6 avril, doublée de l'invitation du ministre Callichurn au leader du PMSD à quitter le navire PTr-MMM s'il a encore une once de dignité, le tout alimenté par la propagande de la MBC, fait partie de la stratégie politique du pouvoir politique en place à l'approche de l'échéance électorale. Soit tenter de fissurer cette alliance qu'il croit être contre-nature, en exposant ses contradictions internes avec les germes d'instabilité déjà introduits.

Pour autant, il ne faut pas tomber dans ce piège politique afin de pouvoir rester focalisé sur les grandes thématiques de campagne, dont les dépenses, voire les gaspillages de fonds publics, dont le directeur de l'Audit a fait étalage dans son rapport avec force détails, les uns plus croustillants que les autres. Or, d'une année à l'autre, d'un régime à l'autre, ses recommandations sont repoussées d'un revers de la main. Et on s'étonne encore que le pays s'enfonce dans la spirale de la dette.

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Le dernier rapport de 595 pages que le Dr Paligadu, ex-directeur financier adjoint, a intitulé Making a Difference to the Lives of Citizens, donne déjà le ton et s'interroge sur ce qui devrait être d'ailleurs la première mission d'une fonction publique éclairée et à la hauteur pour répondre aux nombreuses aspirations des citoyens, à savoir si la population obtient «value for money» pour les services essentiels dans lesquels le gouvernement dépense des milliards.

Or, des milliards, on peut en relever chaque année, drainés par la mauvaise gestion des projets, voir leur exécution incomplète, des carences administratives, l'absence de mécanisme pour leur suivi ou encore d'une gouvernance largement insuffisante. Alors, faut-il être surpris que l'année dernière, 96 % des projets de drains, nécessitant des milliards et dont l'urgence a été plus d'une fois soulignée durant des inondations ces dernières années, n'aient pas été achevés ?

Il n'y a pas besoin d'être un grand commis de l'État, diplômé d'une école d'administration, pour comprendre où le bât blesse. Les rapports successifs du bureau de l'Audit ont déjà détaillé ces manquements qui vont des faiblesses dans des dépenses d'exécution des projets aux lacunes notées dans leur gestion et leur contrôle ou encore dans des procédures d'appel d'offres, sans compter l'exécution des projets non conformes aux lois existantes.

Prêcher dans le désert

Il serait fastidieux de revenir sur les irrégularités financières relevées par Dharamraj Paligadu et son équipe dans chaque ministère, corps paraétatique ou autre service public. On peut néanmoins rappeler une évidence et se demander si le directeur de l'Audit ne prêche pas dans le désert. Plus particulièrement quand il constate, impuissamment, le nombre de fois que ses recommandations n'ont pas été suivies ni appliquées.

Ainsi, sur 118 cas d'ordre divers, détectés et rapportés à l'issue de l'année financière 2021-22, on relèvera qu'au 1er février, seuls 33 % ont été résolus au niveau de ministères et départements gouvernementaux, laissant la différence comme non résolus ou partiellement résolus. Encore que 83 % des ministères et des institutions publiques n'ont pas cru bon de soumettre leur rapport sur le Performance with Statutory Deadline et 57 % sur le Key Performance Indicator.

Mais il y a pire. Car face à ces contraintes où il ne peut que prendre note et dénoncer, le patron du bureau de l'Audit enfonce davantage le clou en soulignant un autre obstacle majeur. En fait, il entend démontrer que les pouvoirs de son bureau sont limités et ne lui donnent pas la possibilité de s'assurer que les fonds publics déboursés aux entités privées ou aux autres Special Purpose Vehicules sont gérés et appliqués selon le besoin de financement initialement décidé. Dans la même foulée, le Dr Paligadu tire la sonnette d'alarme, maintenant que les audit committees opérant au sein des ministères et des institutions publiques sont loin de générer les résultats escomptés. Ne parlons du Risk Management Framework qui n'est même pas opérationnel.

Cette croisade contre les gabegies de l'État n'est pas nouvelle. Elles font le buzz et s'imposent dans les débats publics, momentanément, une fois le rapport publié, mais elles sont hélas vite oubliées au détriment d'autres urgences nationales. Même les réformes proposées chaque année restent souvent lettre morte. Pourtant, elles sont rationnelles et relèvent du bon sens pour éviter que des milliards se perdent dans la nature et se retrouvent dans les comptes bancaires de certains contracteurs sans scrupules.

En clair, Dharamraj Paligadu propose que les ministères et départements gouvernementaux préparent leurs rapports annuels, incluant leurs bilans financiers, conformément aux normes guidant les pratiques dans la fonction publique, soit selon l'International Public Sector Accounting Standards, le tout à déposer à l'Assemblée nationale. Aussi, il plaide en faveur d'une plus grande professionnalisation du département des finances et le développement d'un code de bonne gouvernance auquel doivent souscrire les ministères et les corps paraétatiques, en vue d'améliorer la confiance dans l'administration publique. Autant qu'on le sache, un tel code existe déjà pour le secteur public. Toutefois, est-ce que les fonctionnaires vont s'y conformer même s'ils n'ont pas l'obligation de le faire ? Cela relève évidemment de leur volonté et de leur engagement.

On ne cessera de le répéter : le rapport de l'Audit donne à la population, aux politiques et à la société civile l'occasion et les moyens d'interpeller les décideurs économiques et politiques sur les abus de fonds de l'État, sachant qu'ils influent négativement sur les dépenses courantes d'un gouvernement. La bottom line pour l'État n'est pas d'engranger des profits, mais de dispenser des services efficaces, voire irréprochables, pour satisfaire les besoins de base de la population. À méditer...

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