Une simple dénonciation peut contribuer à éviter les erreurs liées à la prise en charge des patients. Malheureusement, la méconnaissance de leurs droits par de nombreux personnes rend difficile le changement de comportement en milieu sanitaire. Dans cette interview, Dr Joséphine Zoungrana, pharmacienne hygiéniste et présidente de l'Association burkinabè pour l'amélioration de la sécurité des patients et le droit à la santé (ABASEP), revient sur les actions de sa structure pour la conscientisation des acteurs et des soins plus sûrs.
Sidwaya (S) : Pouvez-vous nous présenter votre structure ?
Joséphine Zoungrana (J.Z.) : Notre association travaille dans le domaine de l'amélioration de la sécurité des patients. C'est un regroupement de personnes expérimentées qui ont été témoins des situations dommageables subies par des patients et qui ont décidé de mettre en place en 2009, une association pour contri-buer à la construction d'un système de santé plus sûr.
S : Quels sont vos domaines d'intervention ?
J.Z. : Nous intervenons surtout dans le domaine de la formation, de la sensi-bilisation, mais aussi, de la recherche opérationnelle en vue de l'amélioration de la sécurité des patients. Nos cadres d'actions sont essentiellement les établissements de santé, mais aussi, auprès des malades et leurs familles. Parce que lorsque l'on parle de sécurité des patients, chacun a son rôle à jouer pour que les soins de santé soient moins à risque.
S : Quelles sont les réali-sations majeures de l'ABASEP depuis sa création ?
J.Z. : Nous avons contribué à l'organisation du Diplô-me universitaire « Hygiène hospitalière/sécurité des patients (DU HHSP) » qui était une première en Afrique francophone et plusieurs nationalités y ont pris part. La plupart des diplômés sont aujour-d'hui dans des institutions internationales ou occupent des postes de responsabilité dans les hôpitaux. L'ABASEP a également contribué aux côtés de Expertise France à travers le projet PRISMS à former un pool d'experts natio-naux en Prévention contrôle des infections (PCI) et sécurité des patients. Nous participons également à l'élaboration des documents normatifs et règlementaires sur les questions de santé lorsque le ministère de la Santé nous sollicite.
S : Qui peut bénéficier de votre expertise ?
J.Z. : Notre action bénéficie à tout le monde, au personnel de santé, comme aux malades. Parce que, quand on parle de sécurité des patients, un jour, notre pair peut être appelé à être patient. Donc cela bénéficie d'abord à nous en tant qu'humains et donc à tout le monde.
S : Disposez-vous de démembrements dans toutes les régions ?
J.Z. : Non, la plupart de nos membres sont à Ouaga-dougou, mais nous avons une cellule très dynamique à Bobo-Dioulasso. Pour le moment, nous sommes dans ces deux grandes villes.
S : Avez-vous les moyens de vos actions ?
J.Z : Notre atout majeur, c'est l'engagement de chaque membre de l'association. Sinon, du point de vue financier, nous fonctionnons jusque-là sur la cotisation de nos membres. Mais dans le cadre de certaines grandes activités comme certaines formations, nous avons eu quelques partenaires qui nous ont accompagnés pour leur réalisation.
S : Quelles sont les formes de collaboration que l'ABASEP entretient avec les structures de santé ?
J.Z . : Nous apportons un appui-conseil aux structures de santé qui le désirent pour l'amélioration de leur stratégie de prévention des risques infectieux liés aux soins
et de la sécurité des patients. Pour l'analyse des évènements indésirables, l'ABASEP peut accompa-gner les structures qui le souhaitent pour renforcer les capacités des acteurs en la matière. Bien entendu, cela se fait à travers des conventions de partenariat bien structurées.
L'ABASEP vient aussi en aide aux structures de santé en mobilisant les communautés pour la dotation en produits d'hygiène, les activités de salubrité, etc.
Les partenariats en cours avec d'autres associations permettront de renforcer notre présence et appui aux établissements de santé et aux usagers.
S : Quel est le plus grand risque en milieu de soins et comment le prévenir ?
J.Z : Le milieu du soin, bien qu'apportant d'énormes bénéfices aux malades, comporte également des risques et nous avons répertorié plusieurs types. On a par exemple, les erreurs liées aux médicaments et aux procédures chirurgicales. Nous avons parfois la survenue d'escarre, ce sont des plaies qui interviennent lorsque le patient est couché sur une seule position. Et nous avons des risques liés souvent à des erreurs de diagnostic. Il arrive que l'on fasse un mauvais diagnostic et on vous donne
un traitement qui ne convient pas.
Il y a aussi des risques liés à l'identification du patient. On peut se tromper de patient et on prend le traitement d'un patient A, pour donner à un patient B. On a des risques qui peuvent être liés aussi à la transfusion sanguine.
Mais le plus grand risque, ce sont les infections associées aux soins. Ces infections associées aux soins, ce sont des maladies qui sont dues à des germes que le patient attrape à l'hôpital, alors qu'il n'avait pas cette maladie en entrant dans l'établissement de santé. La liste des risques n'est pas exhaustive. Mais parmi tous les risques, ce sont les infections associées aux soins qui viennent en tête dans la plupart des pays en développement.
S : Le patient peut-il venir se plaindre en cas d'évènements indésirables ?
J.Z : Il existe un système de notification des évènements indésirables au Burkina. Mais le système a des insuffisances parce qu'il ne prend pas en compte tous les risques. Par exemple pour les médicaments, la transfusion sanguine, la vaccination et même les infections, il y a un circuit de notification qui existe. Donc, le patient qui se dit victime d'un évènement indésirable peut notifier ce qui lui est arrivé via ce système. Mais comme je le dis, le système n'est pas complet. Donc, il y a beaucoup de domaines de risques où le patient n'a pas de possibilité de déclarer ce qu'il
a subi dans l'hôpital.
S : Dans ce cas, que peut faire le patient ?
J.Z : C'est de se plaindre, mais de manière informelle. Au niveau de l'association, nous incitons tous ceux qui croient avoir subi un préjudice en milieu de soins à le rapporter ou à le notifier, si le système de notification existe. Pourquoi nous incitons les gens à ne pas se taire ? Parce que le fait de rapporter l'évènement qu'on a subi va permettre à l'autorité d'avoir une meilleure évaluation de l'ampleur du problème.
Et cela va pousser à analyser le phénomène. En analysant le phénomène, les défaillances qui ont concouru à la survenue de l'évènement, on va finir par tirer des leçons, mettre en place un plan d'action pour corriger ces défaillances afin que cela n'arrive pas. Donc au niveau de l'association, nous incitons vraiment tous ceux qui pensent avoir subi un préjudice quelconque à le notifier, ne serait-ce qu'au sein du service, auprès du surveillant d'unité du soin. En tout cas à rapporter l'évènement qu'ils ont subi à quelqu'un dans la formation sanitaire.
C'est ainsi qu'on va arriver à mettre en place des actions correctrices pour que cela n'arrive pas à un autre malade. Mais tant que les gens se tairont, le feront de manière informelle dans les familles, cela ne permettra pas de corriger les défaillances du système. Parce qu'en fait, quand une erreur arrive, généralement ce n'est pas la responsabilité individuelle du soignant qui est engagée. C'est un ensemble de facteurs, un ensemble de défaillances qui amènent le soignant à commettre l'erreur. C'est vrai qu'à priori, on veut dire que c'est telle personne qui est le responsable. Mais lorsqu'on fait l'analyse, on se rend compte que c'est plusieurs facteurs qui ont concouru à ce qu'il fasse l'erreur. Voilà pourquoi, il ne faut pas se taire. Il faut rapporter ce qu'on a subi.
S : Alors, comment prévenir les infections associées aux soins ?
J.Z : Les infections associées aux soins sont des maladies dues à des germes que l'on contracte en milieu de soins. Donc, la prévention va consister à mettre une barrière entre ces germes et le patient pour qu'il ne soit pas contaminé. Mais cela repose essentiellement sur le respect des règles d'hygiène hospitalières, non seulement par le personnel de soins, mais aussi par les visiteurs. La plupart des microbes à l'hôpital passent d'un patient à un autre, ou bien des surfaces à un autre patient via les mains. Si vous avez des germes sur le mur et quelqu'un va le toucher et toucher un patient, il va véhiculer le germe du mur sur le patient. Voilà pourquoi, la meilleure manière de prévenir les infections associées aux soins, c'est toujours l'hygiène des mains. Se laver les mains entre deux patients, se laver les mains quand on a touché une surface sale. Il faut toujours se laver les mains. C'est la meilleure mesure pour prévenir les infections.
S : Le port des gants ne peut-il pas remplacer le lavage des mains ?
J.Z : Le port des gants fait partie des mesures de prévention. Mais cela ne peut pas remplacer le lavage des mains parce que ce n'est pas à toutes les situations qu'on doit porter les gants. On porte les gants au fur et à mesure que vous travaillez. Surtout dans le contexte où les gants sont en latex et le latex est très poreux. Et plus vous travaillez avec vos mains, plus les pores du gant s'élargissent. Et par ces pores, si vous n'avez pas lavé les mains, les germes peuvent passer de votre main sur le patient, bien que vous ayez les gants, parce que les gants sont pourris.
S : Les gels hydro-alcooliques ne sont-ils pas une alternative ?
J.Z : En l'absence d'eau, on peut utiliser le gel. Mais c'est limite, car quand on a des souillures visibles, une projection de saleté sur les mains que l'oeil peut voir, le gel n'est plus efficace. Il faut forcément aller laver à l'eau avant de faire la friction hydro-alcoolique.
S : Etant dans les formations sanitaires, constatez-vous que ces gestes simples sont respectés par les agents ?
J.Z : Se laver les mains est un acte simple. C'est un acte aussi qui ne coûte pas. Mais, c'est un acte très faiblement respecté par les professionnels de santé. Et, c'est pourquoi, au niveau de l'association, nous ne cessons de faire la promotion de l'hygiène des mains.
Parce que c'est par les mains que l'on prend le microbe du patient A pour aller le donner au patient B en milieu de soins. Mais ce faible taux d'observation de l'hygiène des mains, ce n'est pas seulement dans nos pays, même dans les pays dits développés, ils continuent à faire la promotion du lavage des mains.
Donc, c'est un travail de longue haleine. Dans notre contexte, par exemple, la famille du malade est utilisée comme un auxiliaire de soins, parce qu'on n'a pas souvent des auxiliaires de soins. Donc, il n'est pas rare que vous voyez des accompagnateurs en train de manipuler la voie veineuse ou être en train de vider les poches urinaires pleines. Etant donné qu'on les associe aux soins, il est important que le patient et sa famille aient des notions de comment prévenir les infections.
C'est en cela que les règles d'hygiène qui s'appliquent au personnel doivent s'appliquer au patient et à sa famille. Puisque la famille est utilisée comme auxiliaire de soins. Et, le personnel doit intervenir à ce niveau pour sensibiliser le malade et sa famille par rapport aux risques infectieux. En dehors de cela, les accompagnateurs, la famille, les visiteurs doivent tous être regardants quant à l'hygiène de la chambre d'hospitalisation. Ils doivent éviter les nuisances sonores, coopérer et respecter le règlement de l'établissement. Pour votre malade, lorsqu'on vous dit que les visites sont interdites, c'est pour sa sécurité. Et, il faut que la famille, les accompagnants acceptent que les visites soient interdites. Mais j'insiste surtout pour le respect des règles d'hygiène des mains, parce qu'ils interviennent souvent comme auxiliaires de soins.
S : Est-ce possible que l'on arrive un jour à un milieu hospitalier sans préjudices ?
J.Z : Les préjudices évitables qui surviennent en milieu de soins ne sont pas une fatalité. Ils peuvent être évités et nous appelons tout le monde à collaborer afin que l'on puisse faire de nos soins, des soins sûrs. Nous appelons les malades, leurs familles et également les autorités sanitaires et le personnel soignant à collaborer. Si, nous nous donnons la main, je pense que l'on arrivera à avoir des soins plus sûrs.