Ils ne mangent pas la viande de cochon. Israélites et Arabes sont deux peuples sémites dont le cousinage, également linguistique (hébreu et arabe mais aussi araméen, la langue du Christ), allait se prolonger dans l'interdit du porc, commun aux Juifs et aux Musulmans, ainsi qu'à certains Chrétiens de la Corne de l'Afrique.
Plus éloignée encore dans le temps que sa transcription dans la Torah, l'image ambiguë du porc semble remonter à l'Égypte ancienne : le verrat serait associé au Dieu Seth qui s'est déguisé en porc noir pour dérober et dévorer la lune, oeil gauche d'Horus, le dieu-faucon (que les archéologues pensent avoir identifié sur les peintures rupestres de la grotte d'Andriamamelo, dans la réserve de Beanka, Région Melaky, littoral centre-ouest de Madagascar) ; par contre, le cochon femelle, mère nourricière, est l'incarnation de Nout, la mère de tous les astres qui avale ses enfants la nuit pour les régénérer le jour, figurée sous les traits d'une truie allaitant ses petits.
Selon l'universitaire Youri Volokhine, la consommation du porc sur les rives du Nil est attestée depuis le Paléolithique tardif (il y a 10.000 à 12.000 ans). On a trouvé trace de cysticercose sur l'estomac d'une momie, par exemple. Mais, à un moment, un groupe décide de se distinguer et adopte des lois qui vont le différencier des autres : «puisque les autres mangent du cochon, nous n'en mangeons pas». En 1200 avant J.-C., en Israël et dans les actuels territoires palestiniens, les archéologues ont démontré cette différenciation volontaire : tandis qu'Israélites et Philistins vivaient à quelques dizaines de kilomètres les uns des autres, les sites israélites n'ont révélé aucun ossement de porc, contrairement aux sites de chez leurs voisins.
La démarche devient radicale quand l'un de ces peuples, en l'occurrence les Juifs, transcrit cet interdit dans un livre religieux : le Lévitique (11:7), rédigé entre le 8e et le 7e siècle avant J.-C.
Dans ces contrées, de la Méditerranée orientale et du Proche-Orient, le mouton est cet animal à «cornes, sabots, poil et laine». Un animal de troupeau qui se déplace facilement sur de longues distances. Contrairement au cochon, que sa morphologie et ses petites pattes ainsi que ses difficultés naturelles à ventiler son corps, handicape dans cet exercice. De plus, le cochon ne produit ni lait ni laine.
À propos du «sacrifice d'Abraham» : qu'il s'agisse de la vie d'Isaac, son fils d'avec Sara, ou de la vie d'Ismaël le fils d'Agar, selon la version musulmane, il s'agit du même mythe fondateur : le mouton/le bélier sacrifié à la place de l'enfant. Plus avant, l'agneau pascal fut l'animal sacrificiel (et de reconnaissance) des Juifs retenus prisonniers en Égypte. Décidément cependant, la préférence semble actée dès l'époque mythique de Caïn, l'agriculteur, et Abel, le berger : les cultures de la terre, apportées en offrandes, furent dédaignées tandis que l'agneau fut le bienvenu (Genèse 4:1-5). Allégorie du vieux conflit entre sédentaires et nomades à camélidés, bovins, ovins, caprins...
Depuis la définition de Marcel Mauss, «le sacrifice est un acte religieux qui, par la consécration d'une victime, modifie l'état de la personne morale qui l'accomplit ou de certains objets auxquels elle s'intéresse» (Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, Marcel Mauss & Henri Hubert, 1899). À Madagascar, pour l'Alahamady, on sacrifie un «omby volavita» (zébu à robe bien particulière). Plus anciennement, et plus modestement, on sacrifiait un coq. Dans l'Égypte ancienne, c'est un cochon qu'on sacrifiait lors des fêtes memphites de Ptah-Sokar-Osiris, le 24 du 4ème mois de la saison akhet. Détestation chez les uns, dévotion chez les autres.
Nous n'entrerons pas dans le détail de la servitude ou non de Hagar, au centre des débats entre musulmans et non-musulmans comme entre musulmans arabes et musulmans non arabes. Mais, dans la Bible comme dans le Coran, cet épisode démontre l'étroite parenté des «religions du Livre». L'Abraham des juifs/l'Ibrahim des musulmans est considéré comme un père dans le judaïsme et l'islam ; Isaac/Ishak et Ismael/Ismail sont les deux circoncis de l'Alliance ; le couple duel Sara vs. Hagar préfigure les guerres au Proche-Orient, sur fond de malentendu originel.
Tout récemment, les accords dits d'Abraham furent ainsi dénommés parce qu'ils réconciliaient juifs et musulmans sous l'égide de l'Amérique chrétienne : traité Israël-Émirats arabes unis et Israël-Bahrein (signés à Washington le 15 septembre 2020), traité Israël-Maroc (22 décembre 2020), traité Israël-Soudan (6 janvier 2021). Les discussions entre Israël et l'Arabie saoudite étaient engagées quand le Hamas a attaqué Israël, le 7 octobre 2023.
Définition du mythe : «un fait social, un énoncé culturel, la clé d'un code». L'interdit du porc est une invention humaine, consacrée en fait religieux. Égyptiens, juifs, premiers chrétiens, musulmans : des motivations diverses sanctionnées par un dogme que s'étaient librement imposés les «pères fondateurs» sans que leur progéniture parvienne à briser cet enfermement volontaire. Recherche désespérément cette forme de rébellion intellectuelle aux allures de discernement.