Ile Maurice: Nandini Tanya Lallmon - «Comprendre les personnes LGBTQIA+ pour mieux aborder les inégalités systémiques»

Nandini Tanya Lallmon, diplômée en droit, qui dans le cadre d'un Master auprès de l'université de Malte, a soumis un mémoire sur les dissonances entre la politique et la pratique en matière des droits des personnes LGBTQIA+ dans les Petits Etats Insulaires en Développement (PEID) dont Maurice, a activement participé, en tant que représentante d'Outright International, à la 68e conférence sur la condition de la femme (CSW) des Nations Unies (NU), qui s'est tenue en mars à New-York. Cette ancienne élève du Queen Elisabeth College, qui a décroché une série de bourses internationales que nous ne pourrons pas toutes citer, estime qu'il est important de comprendre les expériences des personnes LGBTQIA+ pour pouvoir aborder les inégalités systémiques qui persistent contre elles.

D'où vient votre intérêt pour les personnes LGBTQIA+ ?

Mon intérêt sur le sort des personnes LGBTQIA+ a été éveillé lors de mes voyages à l'étranger et au cours desquels j'ai pu observer les différences marquantes dans la façon dont les individus LGBTQIA+ jouissent d'une plus grande liberté et de respect de leurs droits dans certains pays. Ces pays leur offrent un environnement plus inclusif et elles peuvent vivre ouvertement leur identité de genre et leur orientation sexuelle sans craindre de discrimination ou de violence. La lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+ dépasse les frontières nationales et les barrières culturelles, englobant toute une série de défis, qui les exposent à la discrimination et à la violence. À Maurice, ces défis sont exacerbés par les héritages coloniaux historiques et les normes sociétales, ce qui crée un paysage complexe et nuancé. En examinant les politiques, les pratiques et les attitudes sociétales, les acteurs peuvent plaider efficacement en faveur d'un changement significatif et promouvoir une plus grande inclusion et égalité.

Dans de nombreux PEID, y compris Maurice, les cadres juridiques et les attitudes sociétales concernant les droits des personnes LGBTQIA+ restent des questions controversées. Dans le cadre juridique de Maurice, des ambiguïtés persistent concernant la protection et la reconnaissance de leurs droits. Alors que les dispositions constitutionnelles offrent des protections générales contre la discrimination basée sur le sexe, l'absence de garanties explicites pour l'orientation sexuelle, l'identité de genre et l'expression laisse les personnes LGBTQIA+ vulnérables à la discrimination et aux atteintes aux droits humains. Comprendre les expériences vécues par ces personnes à Maurice est primordial pour aborder les inégalités systémiques et plaider en faveur d'un changement significatif. En examinant l'intersection des cadres politiques, des pratiques coutumières et des attitudes sociétales, je cherche à élucider les défis auxquels sont confrontées les communautés LGBTQIA+ et à identifier des voies vers une plus grande inclusion et acceptation.

En sus d'avoir mené une recherche sur le sujet, je suis co-auteure d'un chapitre intitulé «Civil society, the state and the LGBTQIA+ movement - The case of Trinidad and Tobago and Mauritius» figurant dans le livre «Handbook of Civil Society and Social Movements in Small States», qui a été publié l'année dernière. Il s'agit d'une analyse approfondie des défis et des opportunités pour le mouvement LGBTQIA+ dans des contextes insulaires spécifiques, pouvant servir de base pour la formulation de politiques et de pratiques favorables aux droits des personnes LGBTQIA+ dans les PEID. L'examen des droits de ces personnes à Maurice me permet aussi de combler les lacunes existantes dans la littérature universitaire concernant leurs droits dans le contexte socio-culturel, juridique et institutionnel spécifique de l'île. En identifiant les incohérences entre les cadres juridiques et les pratiques sociétales, en explorant leurs répercussions sur les expériences quotidiennes et en contextualisant ma recherche dans les domaines plus vastes des droits des personnes LGBTQIA+ et des droits de l'homme, je cherche à contribuer aux efforts visant à promouvoir l'inclusivité, l'équité et la promotion de la justice sociale.

Je crois fermement que Maurice a le potentiel de devenir un leader dans la protection des droits humains, en garantissant que chaque individu, quelle que soit son orientation sexuelle ou son identité de genre, puisse vivre librement et en toute sécurité, sans crainte de discrimination ou de préjudice. Mon objectif est d'apporter des changements positifs en sensibilisant davantage sur les questions LGBTQIA+, en plaidant pour des lois et politiques plus inclusives, et en promouvant une culture de respect et d'acceptation pour toutes les personnes, quelles que soient leurs différences.

Vous avez participé à la CSW68 à New-York en tant que boursière d'OutRight International (OutRight). Parlez-nous de cette ONG.

OutRight est une organisation non gouvernementale internationale basée à New-York et dont la mission est d'éradiquer la persécution, les inégalités et la violence subies par les personnes LGBTQIA+ à travers le monde. Elle le fait grâce à des recherches approfondies, des plaidoyers internationaux et un soutien aux militants LGBTQIA+ à l'échelle mondiale. J'ai eu l'honneur d'être sélectionnée dans le cadre de son programme de fellowship annuel visant à former des activistes et des chercheurs en plaidoyers pour les droits LGBTQIA+. Mon année de bourse était en 2021 mais elle s'est déroulée virtuellement en raison de la pandémie du COVID-19. Cette année, en mars, j'ai eu la chance de représenter OutRight à la CSW68 des NU à New-York. J'ai participé à une série de réunions de plaidoyers avec des chefs d'États et de délégations du Cap Vert, de la Norvège, de la Belgique, des États-Unis, de la Finlande, de l'Irlande, de Malte et des Pays-Bas, entre autres, visant à faire avancer l'agenda des droits LGBTQIA+. Cela comprenait du lobbying pour des réformes législatives contre la discrimination et des rencontres avec d'autres organisations non gouvernementales (ONG) pour coordonner nos efforts et amplifier notre voix collective. J'ai pu présenter des études de cas et des données probantes issues de mes propres recherches sur les défis spécifiques auxquels sont confrontées les personnes LGBTQIA+ dans les PEID. J'ai aussi collaboré avec d'autres chercheurs et activistes pour élaborer des stratégies de plaidoyer innovantes visant à promouvoir les droits et l'inclusion des personnes LGBTQIA+ dans les politiques et les programmes de développement. En dehors des séances officielles, j'ai participé à des événements parallèles et à des discussions informelles où j'ai pu échanger avec des dirigeants d'ONG et des acteurs de la société civile d'autres PEID. Ces interactions ont été précieuses pour élargir mes perspectives et renforcer mes réseaux de soutien dans la lutte pour l'égalité des droits. Je suis convaincue que ces efforts collectifs nous rapprochent un peu plus de notre objectif commun : un monde où chaque individu, quelle que soit son orientation sexuelle ou son identité de genre, puisse vivre librement, sans crainte de discrimination ou de violence.

Toutes ces rencontres m'ont aussi profondément sensibilisée aux nombreuses intersections complexes entre les droits de l'homme, la religion et le plaidoyer pour les droits LGBTQIA+. Dans de nombreuses sociétés à travers le monde, les droits des personnes LGBTQIA+ sont souvent contestés au nom de croyances religieuses ou culturelles. Cette dynamique soulève des questions fondamentales sur la façon dont nous concilions la liberté de religion avec le respect des droits humains universels, y compris les droits des minorités sexuelles et de genre. En outre, j'ai été frappée par la diversité des perspectives religieuses au sein de la communauté LGBTQIA+ elle-même. De nombreux individus LGBTQIA+ trouvent un soutien et une identité spirituelle au sein de leurs communautés religieuses tandis que d'autres font face à la marginalisation et à la discrimination en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Cette tension complexe entre identité religieuse et orientation sexuelle ou identité de genre soulève des questions importantes sur la façon dont les institutions religieuses peuvent mieux accueillir et soutenir leurs membres LGBTQIA+.

Enfin, ma participation à des discussions et à des activités de plaidoyer m'a permis de comprendre l'importance de promouvoir un dialogue constructif et respectueux entre les différents acteurs, y compris les représentants religieux, les gouvernements et les militants des droits LGBTQIA+. Alors que les croyances religieuses peuvent parfois être utilisées pour justifier la discrimination, j'ai également vu des exemples inspirants de leaders religieux qui s'engagent à promouvoir l'inclusion et à défendre les droits des personnes LGBTQIA+ au sein de leurs communautés. Ma participation à la CSW68 m'a également fait prendre conscience de la chance que j'ai eue d'être présente à cette conférence internationale car l'accès à de telles opportunités est souvent un privilège. Les obstacles financiers, bureaucratiques et logistiques pour participer à des événements internationaux comme la CSW sont considérables et soulignent l'importance des questions de privilège et d'inégalité dans le domaine du plaidoyer des droits humains.

Tout d'abord, les coûts liés à la participation sont prohibitifs pour de nombreuses personnes, que ce soit pour le billet d'avion, le visa ou la vie à New-York. Sans compter que pour pouvoir accéder aux locaux des NU, les participants doivent être parrainés par une organisation accréditée, ce qui crée une autre barrière à l'entrée pour de nombreux activistes et militants des droits de l'homme. Par conséquent, de nombreux participants quittent la conférence après seulement quelques jours, ce qui limite leur capacité à s'engager pleinement dans les discussions et les activités. Il est essentiel de créer des mécanismes d'accès plus équitables et inclusifs aux forums internationaux afin que les voix de toutes les personnes affectées par les questions discutées puissent être entendues et prises en compte dans les processus de prise de décision.

Allez-vous partager cette expérience avec les organisations locales encadrant les personnes LGBTQIA+ ?

Je suis absolument enthousiaste à l'idée de partager les leçons que j'ai apprises lors de ma participation à la CSW68 avec les organisations locales qui soutiennent les personnes LGBTQIA+. Je tiens à applaudir la communauté locale engagée pour l'avancement à Maurice et qui accomplit un travail incroyable. Le parcours de ces ONG n'a pas été facile, passant de l'impossibilité de discuter ouvertement des droits LGBTQIA+ il y a quelques décennies à la possibilité, aujourd'hui d'organiser annuellement une Marche des Fiertés. Il est louable de voir le courage, la détermination et la résilience avec lesquels ces ONG ont lutté pour les droits LGBTQIA+, notamment dans le procès qui a abouti à un jugement favorable en octobre 2023. Leurs efforts ont ouvert la voie à une plus grande visibilité et acceptation des personnes LGBTQIA+ à Maurice, et je suis fière de pouvoir contribuer à soutenir leur cause

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