Bien que le symposium «Plis ki enn kota» de Gender Links Mauritius, financé par l'Union européenne, ait eu lieu à la veille de la fête de Pâques, plus d'une centaine d'acteurs et de partenaires - observateurs de la société civile, chercheurs, et hommes et femmes politiques - y ont participé.
Pour Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links (GL) Mauritius, cet espace de dialogue citoyen, ouvert et inclusif, était destiné à susciter le changement, c'est-à-dire l'inclusion des femmes dans la vie politique, et à mobiliser la communauté. Et celle-ci s'est mobilisée car, à ce jour, la pétition en ligne de cette campagne a recueilli plus de 845 signatures. Voici les points de vue de quelques-uns des participants.
Mathieu Thenaisie, directeur adjoint de l'Agence française de développement (AFD) à Maurice, estime que «toute la connaissance empirique que nous avons sur la question du développement en général, et du développement durable en particulier, nous montre qu'il ne peut se faire sans émancipation et autonomie des femmes. Aussi, la réduction des inégalités de genre est un objectif transversal du groupe AFD et un axe essentiel de notre stratégie d'intervention partout où nous travaillons, y compris à Maurice. La question de la représentation politique des femmes abordée par GL, comme les violences basées sur le genre, sont effectivement des sujets cruciaux pour Maurice, que nous avions d'ailleurs eu l'occasion d'évoquer à la fin février lors du 6th High Level Policy Dialogue on Gender avec l'Union européenne et le ministère du Genre. Je ne peux que féliciter GL pour la qualité du contenu de ce symposium, qui a été l'occasion d'un panorama particulièrement éclairant de Rama Sithanen et d'un débat que j'ai trouvé très riche, où une parole à la fois diverse, directe et libre nous a permis aussi de mieux comprendre ces enjeux. Ces échanges sont pour l'AFD de la matière brute essentielle pour nous aider à mettre en cohérence notre mandat sur cette question essentielle du genre, et tenter d'y répondre avec ambition et de la manière la plus adaptée possible, en tant que partenaire de tous les acteurs du développement durable de Maurice.»
Liza Gundowry, la Miss Mauritius World 2021-22, pense qu'il est très crucial d'avoir une conversation sur les femmes en politique, surtout à l'approche des élections générales. «Il est plus qu'important non seulement d'encourager les femmes à s'engager en politique, mais aussi à inciter d'autres hommes à le faire. C'est particulièrement vrai pour les jeunes Mauriciens. Nous avons souvent tendance à penser que la politique est réservée à un groupe spécifique de personnes, en particulier aux personnes plus âgées. Or, les symposiums comme celui-ci sont très importants pour encourager les femmes, en particulier les jeunes femmes, à s'impliquer et à prendre leur place en politique.»
Pour Jean Margéot Ravina, président du Mouvement Solidarité Rodrigues, il était important pour son organisation, qui oeuvre pour l'intégration des Rodriguais à Maurice, d'assister à ce symposium. Convaincu de l'importance de la place des femmes en politique, le Mouvement Solidarité Rodrigues soutient cette campagne de GL. «Nous allons travailler pour que la sphère politique soit plus inclusive.» Il rappelle que Rodrigues a connu des avancées en matière de parité en politique avec une femme Minority Leader. «Des femmes occupent de grands postes en politique et aussi dans la vie économique. Je retiens de ce symposium l'urgence d'une action concrète et collective pour promouvoir la parité en politique.»
Johanne Ranoojee, co-fondatrice de la plateforme La politique expliquée aux jeunes, qui fait une recherche avec l'universitaire Sheila Bunwaree sur la participation des femmes et des jeunes en politique à Maurice, a eu l'occasion de partager les résultats préliminaires de leur étude, soit les éléments qui découragent les femmes et les jeunes à s'engager dans la politique active. Si ces résultats montrent que les jeunes sont très intéressés par la politique, «ils ont peur de la répression et des répercussions sur leur famille et leur vie professionnelle». Elle dit avoir aussi noté leur dégoût quant à la façon dont la politique est pratiquée actuellement à Maurice. «Ils disent que le prix à payer est trop lourd. C'est pour cela que l'éducation politique est un sujet capital. Nous sommes à la croisée des chemins. Si nous voulons progresser dans notre nation building, nous devons comprendre notre histoire, et notre histoire politique en particulier. C'est un élément central.»
La représentante d'Eco-Sud, Rachèle Bhoyroo, explique que cette organisation a réalisé que, depuis 2023 au niveau national, peu de Mauriciens font le lien entre les urgences environnementales et les communautés en situation de vulnérabilité. «Ces urgences comprennent, entre autres, le changement climatique, ou la perte de la biodiversité, qui engendre des tensions et des catastrophes. Les crises climatiques et environnementales affectent plus particulièrement les populations vulnérables. À Eco-Sud, nous avons pris l'initiative de connecter les associations qui agissent sur le plancher social à celles qui agissent sur le plancher environnemental. C'est pour cela qu'Eco-Sud a assisté au symposium de GL sur la parité en politique. À Eco-Sud, nous estimons que les droits de la nature doivent aussi intégrer les droits humains. Nous pillons la nature et ses ressources depuis des siècles. Il est important que les communautés vulnérables - les femmes, les enfants, les personnes âgées, etc. - se fassent entendre et participent aux prises de décision quand il s'agit de défendre leur environnement. Par exemple, les femmes sont différemment impactées par ces crises climatiques. Il y a cette charge mentale qui pèse sur les femmes quand nous sommes en période de fortes pluies. Une meilleure participation des femmes en politique représenterait, sans doute, un grand progrès pour la protection de la nature et de sa biodiversité.»
Pour Jack Bizlall de l'Observatoire de la démocratie, organisme qui milite depuis 2007 pour une nouvelle Constitution, ce symposium de GL a été important dans la mesure où il a souligné que la Constitution mauricienne est dépassée, de même que la façon de pratiquer la politique à Maurice. «Les jeunes ne se retrouvent pas dans ces modèles. D'ailleurs, on assiste à un exode massif de leur part. La démarche de GL est sérieuse et peut contribuer à apporter une transformation. Je n'ai rencontré à ce symposium que des personnes convaincues, et il a réuni des jeunes, des hommes et des femmes. Ce sont des signes très positifs. Le mal de notre société, c'est la notion de leader. C'est ce qui explique que les structures démocratiques ne fonctionnent pas. Dans un parti politique, c'est le leader qui décide de tout. Que se passe-t-il si ce leader n'aime pas l'avancement des femmes ? D'ailleurs, je n'ai toujours pas vu, à ce jour, un leader dans un parti politique qui laisse la place aux femmes. Ce n'est donc pas étrange que le plus fort taux de participation féminine en politique à Maurice soit de 20 % seulement. C'est la faute de ces leaders. En politique, je ne m'attarde pas sur les termes comme 'complémentarité' ou 'parité'. Je préfère m'intéresser à la différence entre les hommes et les femmes. Les deux sont différents dans leur vision des choses, dans leurs centres d'intérêts et dans leurs responsabilités. Cette différence peut devenir une force pour notre nation quand nous donnons une vraie chance aux femmes.»
L'économiste Manisha Dookhony, considère que la politique est le socle de l'économie mais que, jusqu'à présent, le poste de ministre des Finances n'a été occupé que par des hommes. «Pourtant, le ministre des Finances gère des portefeuilles qui affectent la population féminine. Les politiques sociales et le type d'emploi que l'on crée pour les femmes, entre autres... D'où l'importance de la parité en politique. La représentativité en politique, et surtout à des postes de leadership stratégiques, est importante. C'est de là que peuvent émerger des mesures concrètes, comme des investissements, qui soient gender-neutral. Un homme politique prendra des décisions basées sur sa perspective d'homme. Il va estimer qu'il faut, par exemple, mettre de petits stades de foot partout dans l'île. Une femme politique, placée à un poste de leadership, ne prendra peut-être pas la même décision. Où est l'offre pour les femmes ? Personne ne pense à des infrastructures qui permettent de réunir les familles, par exemple. Prenons l'exemple d'Ébène. Cette région est devenue un centre économique qui accueille aujourd'hui une majorité de femmes. Mais, Ébène ne comprend pas de vraies infrastructures pour les femmes. Il y a beaucoup de choses qui doivent être repensées dans une perspective du genre. Et c'est là où Maurice a du retard.»
Agissant auprès du gouvernement namibien, Manisha Dookhony explique que de l'Investment Promotion and Development Board de ce pays est dirigé par des femmes. À l'étranger, les Banques centrales sont dirigées par des femmes. «À Maurice, non seulement le taux de représentativité féminine en politique est faible, mais le type de responsabilités que l'on confie aux femmes est aussi différent. On n'a jamais confié le poste de ministre des Finances à une femme. Idem pour la Banque centrale, l'Economic Development Board et les services financiers. Et ce sont là quatre socles importants du développement économique de notre pays. Aujourd'hui, ce sont quatre hommes qui prennent les grandes décisions économiques de ce pays, malheureusement.»
Pour Lovania Pertab, présidente de Transparency Mauritius, le symposium de GL Mauritius a mis en lumière la faible contribution des femmes à la politique du pays. «Nous avons pu identifier les obstacles que nous devons surmonter pour demander la parité, voire un quota de représentation des femmes, dans l'arène politique. Naturellement, ce sera un processus difficile, d'autant plus que les élections approchent. Cependant, nous devons absolument agir car nous représentons la moitié de la population et notre voix n'est pas suffisamment entendue, que ce soit sur le plan politique, économique que social.»
L'ex-Directeur des poursuites publiques, Satyajit Boolell, épouse la conviction de GL Mauritius que la faible représentation des femmes en politique relève d'un problème d'attitude et d'une idéologie patriarcale, qui doivent être éliminés. «Il est essentiel de donner aux femmes leur chance, de promouvoir la méritocratie, de favoriser la compétition, et de permettre aux Mauriciennes d'avoir l'opportunité de s'exprimer et de participer à la politique. C'est une position cruciale pour s'assurer qu'elles deviennent des décisionnaires. Les chiffres révèlent que ce n'est pas par hasard qu'il y ait une sorte de discrimination à Maurice. Les femmes ne sont pas représentées au Parlement et donc, elles n'ont pas voix au chapitre pour prendre des décisions importantes qui les concernent principalement.»
La pétition en ligne Plis ki enn kota est encore disponible et peut encore être signée sur www.genderlinks.mu