Sénégal: Divulgation publique des bénéficiaires effectifs des entreprises extractives - Les enjeux d'une annonce présidentielle

13 Avril 2024

La divulgation publique des bénéficiaires effectifs des entreprises extractives promise par le Président Bassirou Diomaye Faye, une fois effective, sera un grand pas vers la bonne gouvernance économique et financière des ressources naturelles. Avec cette décision, non seulement ce sera la fin de l'anonymat dans ce secteur, mais mieux, les informations y relatives seront démocratisées et accessibles au grand public. Jusqu'ici, seule une catégorie de personnes pouvait avoir accès à ces renseignements aux yeux du décret 2020-791 du 19 mars 2020.

« L'exploitation de nos ressources naturelles, qui, selon la Constitution, appartiennent au peuple, retiendra particulièrement l'attention de mon gouvernement. Ainsi, en plus de la mise en ligne déjà effective des contrats miniers, pétroliers et gaziers, sur le site de l'Itie Sénégal, je ferai procéder à la divulgation de la propriété effective des entreprises extractives, conformément à la Norme Itie (...) ». Cet extrait du discours du 3 avril, veille de la célébration du 64ème anniversaire de l'accession du Sénégal à l'indépendance, du Président Bassirou Diomaye Faye, annonce une rupture dans la gouvernance économique et financière des ressources naturelles du Sénégal.

En réalité, cette décision épouse la dynamique en cours de ce qui se fait de mieux en matière de transparence parmi les pays membres de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie). En effet, depuis quelques années, la plupart des pays riches en ressources naturelles se sont dotés de nouveaux cadres juridiques institutionnels, ou bien ont adhéré à des instruments internationaux de bonne gouvernance et de renforcement de l'État de droit pour relever les défis de mauvaise gestion. L'affaire des Panama Papers, qui a éclaté en avril 2017, est encore fraîche dans les esprits.

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Grâce à un Consortium international de journalistes d'investigation, plus de 11,5 millions de documents sur l'utilisation d'entreprises fictives et des paradis fiscaux à l'étranger pour dissimuler ou blanchir de l'argent avaient été dévoilés au grand jour. Selon un rapport du Groupe de haut niveau des Nations unies sur les flux financiers illicites, l'Afrique a perdu plus de 1 000 milliards de dollars US en 50 ans, et perd plus de 50 milliards de dollars US chaque année en raison de flux financiers illicites. Une grande partie de ces flux illicites proviennent du secteur extractif.

C'est pour mettre fin à ces fléaux que les pays mettant en oeuvre la Norme de l'Itie ont convenu, en 2016, d'adopter de nouvelles exigences sur la divulgation des bénéficiaires effectifs applicables à toutes les entreprises extractives qui opèrent dans le secteur. Au Sénégal, depuis le 1er janvier 2020, cette mesure est entrée en vigueur à travers le décret 2020-791 du 19 mars 2020. Pour ce faire, une plateforme dénommée Registre des bénéficiaires effectifs (Rbe) a été mise en place auprès des greffiers en charge du Registre de commerce et de crédit mobilier (Rccm).

Cependant, les informations contenues dans le Registre des bénéficiaires effectifs ne sont accessibles qu'aux personnes physiques ou morales qui en font la demande auprès du juge commis à la surveillance du Registre des bénéficiaires effectifs, en justifiant d'un intérêt légitime. En 2023, une nouvelle Norme Itie voit le jour et cette fois-ci, elle exige des pays de mise en oeuvre de divulguer publiquement les informations relatives à la propriété effective. Autrement dit, l'accès à ces informations doit être libre et démocratisé et non soumis à aucune formalité administrative, comme le sont les contrats miniers, pétroliers et gaziers sur le site de l'Itie Sénégal. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'annonce du Chef de l'État. Ce qui veut dire qu'on devrait aller vers la modification du décret de 2020 pour l'adapter à la nouvelle exigence de la Norme Itie, mais aussi au souhait du Chef de l'État.

RAPPORT ITIE 2022

212 déclarations de bénéficiaires effectifs enregistrés

Depuis la mise en oeuvre du Registre des bénéficiaires effectifs en 2020, les déclarations ne cessent de croître. Ainsi, la dernière situation des déclarations des bénéficiaires effectifs reçue par le Comité national Itie Sénégal fait état de 212 déclarations contre 116 en 2021 et 13 dossiers en attente de complément d'informations. Le terme bénéficiaire effectif est souvent évoqué sous le vocable de « Propriété réelle » ou encore de « Bénéficiaire économique », mais, selon Itie Sénégal, aujourd'hui, l'appellation « Bénéficiaire effectif » est privilégiée et reprise aussi bien dans les réformes du secteur des industries extractives que dans celui de la fiscalité internationale.

Au sens de la Norme Itie, la notion de « Bénéficiaire effectif » se conçoit à travers trois critères. Le premier renvoie à toutes personnes physiques possédant ou contrôlant, directement ou indirectement, la personne physique ou morale immatriculée ou déclarant son activité. Le deuxième est relatif à toutes personnes physiques détenant, directement ou indirectement, au moins 2 % du capital des droits de vote de la société déclarante. Le troisième critère s'entend par toutes personnes physiques exerçant, par d'autres moyens, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d'administration ou de direction de la société déclarante. À défaut d'identification selon ces trois critères, les bénéficiaires effectifs sont les personnes physiques qui occupent directement ou indirectement, notamment par l'intermédiaire d'une ou plusieurs personnes morales, la position de représentant légal de la société déclarante.

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Les avantages de la divulgation des bénéficiaires effectifs

Dans le secteur extractif, il est établi que la divulgation des bénéficiaires effectifs est un bel outil à la disposition des pays pour répondre aux défis relatifs aux flux financiers illicites, à l'évasion fiscale, à la corruption et aux conflits d'intérêts dans les octrois de licences. Au-delà de l'amélioration du climat des investissements, l'identification des bénéficiaires effectifs permet d'accroître également la confiance publique, la reddition des comptes et la mobilisation des recettes fiscales. Mais il y a d'autres avantages identifiés par l'Itie et qui profitent aussi bien aux pouvoirs publics, à la société civile qu'aux entreprises extractives elles-mêmes. D'abord, pour les pouvoirs publics, il s'agit, d'une part, d'un enjeu de sécurité nationale (certains groupes terroristes ont été financés par l'argent provenant de l'extraction des ressources) et de souveraineté économique ; et d'autre part, un enjeu de contrôle pour engager la responsabilité de ceux qui se cachent derrière les entreprises. Par ailleurs, d'après l'Itie, connaître les Bénéficiaires effectifs permet aux décideurs publics de garantir la propriété des ressources naturelles au peuple, de réduire les possibilités de pertes de revenus pour l'État, de mobiliser davantage les recettes pour financer le développement, d'aider les organes de régulation du secteur extractif dans la prise de décision. Ensuite, pour les compagnies, la publication des informations sur les bénéficiaires constitue un enjeu de concurrence. Parce que cela révèle l'identité de tous les partenaires commerciaux. Enfin, pour la société civile, disposer de la cartographie des bénéficiaires effectifs constitue un enjeu de transparence et de redevabilité, car elle offre un moyen de reddition des comptes et des possibilités d'engager la responsabilité des titulaires de droits miniers en cas de manquement à leurs obligations.

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