Gaëlle Ponselet, journaliste spécialisée justice depuis bientôt dix ans, a couvert un grand nombre de procès se déroulant à Bruxelles (Belgique) où elle est basée, des litiges entre grandes entreprises au tribunal de commerce, aux affaires criminelles à la cour d'assises en passant par les récents procès de terrorisme. Pour Justice Info elle couvre les procès dit de « compétence universelle ». Pour elle, assister aux procès c'est à la fois le luxe d'être à la source de l'information et la certitude de pouvoir chaque fois entendre au moins deux sons de cloche différents.
Le Belgo-rwandais Emmanuel Nkunduwimye, 65 ans, est accusé devant la justice belge d'avoir participé au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 aux côtés de son ami Georges Rutaganda, condamné il y a vingt ans par un tribunal de l'Onu et décédé en 2010. Pour la première fois, il admet la condamnation de l'ancien chef milicien. Et il précise sa connaissance de tueries près du lieudit Amgar, dans la capitale rwandaise. Un double revirement.
Dès l'entame du procès, le 8 avril, l'avocat d'Emmanuel Nkunduwimye annonce la couleur. « Je me battrai uniquement pour que l'on ne condamne pas un homme sans preuve, qu'on ne condamne pas quelqu'un si un doute persiste », lance Me Dimitri de Béco. Le pénaliste bruxellois, qui n'avait qu'une dizaine d'années au moment du génocide des Tutsis en 1994, s'en tiendra donc au pénal, sans glisser vers le terrain sensible de l'histoire politique rwandaise.
Le lendemain, cette ligne de défense sobre se ressent dans les réponses apportées par l'accusé aux questions de la présidente de la cour sur deux points en particulier : la responsabilité de Georges Rutaganda dans le génocide et la réalité des massacres commis dans le complexe immobilier Amgar, à Kigali.
Le présent procès belge est directement lié à un autre qui s'est tenu il y a 25 ans au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), celui de Georges Rutaganda. Rutaganda était le second vice-président du Comité national des Interahamwe, ces miliciens considérés comme le fer de lance du génocide commis au Rwanda entre avril et juillet 1994. Il a été condamné par le TPIR à la prison à vie en 1999. Sa peine a été confirmée en appel en 2003 et il est décédé en détention en 2010. Nkunduwimye et Rutaganda étaient très proches et circulaient régulièrement ensemble durant la période du génocide, personne ne le conteste. Mais Nkunduwimye avait été entendu comme témoin au procès de Rutaganda et avait dressé un portrait élogieux de son ami. En 2011 encore, devant les enquêteurs belges, il déclarait n'avoir jamais vu Rutaganda « commettre le moindre acte délictueux » et il affirmait qu'il considérait sa condamnation par le TPIR comme « purement politique ».
Ce n'est plus la version qu'il donne aujourd'hui. Interrogé par la présidente de la cour sur ce qu'il pensait de cette condamnation, il répond : « J'accepte, parce qu'il faisait partie des Interahamwe, mais je suis gêné par cela, car je sais aussi qu'il a sauvé ma famille. Mais voilà, il était connu dans le pays pour ces faits-là. »
« Rutaganda savait que j'étais menacé »
Nkunduwimye, à l'apparence soignée et s'exprimant dans un français limpide, maintient qu'il n'était, lui, en rien impliqué dans les massacres que les Interahamwe dirigés par son ami ont commis. Il assure qu'il se déplaçait avec Rutaganda uniquement parce que celui-ci le protégeait. Selon lui, il était une cible parce que son beau-frère avait financé le Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion armée formée par des Tutsis en exil. En avril 1994 au Rwanda, la guerre fait rage entre le FPR et l'armée gouvernementale, tenue par les Hutus, et dont les Interahamwe sont les alliés. « [Rutaganda] savait bien que j'étais menacé, que si je restais sur place quelqu'un pouvait m'assassiner. On avait déjà annoncé mon nom », dit-il. S'il portait une veste militaire et une arme et s'il voyageait parfois entouré d'Interahamwe, c'est pour cette seule raison, soutient-il. « Je n'ai jamais appris le maniement des armes. Si j'en avais une, c'était juste pour montrer aux barrières que j'étais un officiel. C'est Rutaganda qui m'avait donné cette arme à feu », explique le sexagénaire. « Je n'ai jamais participé aux réunions du Comité national des Interahamwe et je ne pouvais pas donner d'ordre à mon escorte », dit-il, en réponse à diverses questions des parties au procès.
Les différents témoignages récoltés par les enquêteurs sont partagés. Certains attestent la version de l'accusé et affirment que celui-ci ne cherchait que la protection de Rutaganda ; d'autres soutiennent au contraire que Nkunduwimye, qui exploitait un garage dans le complexe Amgar, gravitait dans le milieu Interahamwe par choix et qu'il a participé avec eux à des massacres.
L'admission des crimes à Amgar
A la fin de son interrogatoire, Nkunduwimye va un peu plus loin encore. Invité par son avocat à préciser ce qu'il savait sur les meurtres commis à Amgar, l'accusé apporte une nouvelle nuance importante par rapport à ses auditions antérieures dans l'enquête. En 2011, il déclarait en effet que « personne n'a été tué dans Amgar » et que « aucune arme n'y était stockée ». Le 9 avril, il précise maintenant que « personne n'a été tué dans l'enceinte d'Amgar », mais que « à l'extérieur de cette enceinte, il y a eu des tueries ». Il ajoute : « Je ne sais pas ce qu'ils ont fait avec les corps, mais en tout cas on entendait les balles. »
Lors d'une mission pour le TPIR sur place en 1996, des experts médico-légaux avaient découvert vingt-sept corps dans des fosses situées juste à côté de ce complexe immobilier de la capitale rwandaise. Leurs expertises ont pu établir que toutes les victimes étaient décédées de mort violente et que le moment de leur décès correspondait à la période du génocide.
Le procès est prévu jusqu'au 3 juin, après l'audition d'une centaine de témoins.