Soudan: «Une plus grande couverture médiatique occidentale pourrait contribuer à réduire les souffrances humanitaires»

Cela fait un an que la guerre soudanaise a commencé entre l'armée et les paramilitaires. Virgil Hawkins, Professeur à l'École de politique publique internationale d'Osaka (Osipp), au Japon, analyse sa médiatisation : « On peut dire que son déclenchement a suscité une couverture relativement élevée dans les médias occidentaux. Mais, quelques semaines après, une fois les expatriés évacués et le conflit commençant à se déplacer au-delà de la capitale, la couverture médiatique a considérablement diminué. » Entretien.

Virgil Hawkins, la guerre au Soudan entre l'armée et les Forces de soutien rapide a commencé il y a un an. Comment caractériseriez-vous la couverture médiatique de ce conflit ?

Considérant que l'Afrique est généralement négligée par les médias en-dehors du continent, on peut dire que le déclenchement du conflit au Soudan a suscité une couverture relativement élevée dans les médias occidentaux. C'est dû en grande partie au fait que cela s'est produit dans la capitale. [...] Probablement plus important encore, la soudaine éruption dans la capitale a également suscité des inquiétudes quant à la sécurité des diplomates et autres expatriés occidentaux basés dans le pays. Une grande partie de la couverture médiatique s'est concentrée sur les efforts visant à exfiltrer ces personnes du pays plutôt que sur le conflit lui-même. On peut également dire que la logistique a joué un rôle : la disponibilité des images du conflit a été plus grande que si celui-ci s'était déroulé dans une zone plus éloignée de Khartoum.

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Mais quelques semaines après le déclenchement du conflit, une fois les expatriés évacués et le conflit commençant à se déplacer au-delà de la capitale, la couverture médiatique a considérablement diminué. Alors même que le nombre de morts augmentait et que le nombre de personnes déplacées par le conflit dépassait les 7 millions, les médias sont devenus grandement indifférents au sort du pays et des victimes de ce conflit. Ce qui, bien entendu, contraste fortement avec les conflits qui intéressent les pays occidentaux, pour lesquels une forte couverture peut durer des mois, voire des années.

Mais le fait que les médias reviennent sur ce conflit à l'occasion de l'anniversaire de son déclenchement montre qu'il a pu, au moins dans un premier temps, attirer une attention médiatique relativement importante.

Cette « guerre des généraux », comme on l'appelle parfois, vous semble-t-elle très médiatisée par rapport aux précédents conflits au Soudan ?

La dernière fois que le Soudan a attiré l'attention des médias, c'était au moment de la soi-disant révolution de 2018 et 2019, qui a vu la chute du régime d'Omar el-Béchir. Bien qu'il existe des différences entre les périodes durant lesquelles les événements se sont produits et dans la nature des événements eux-mêmes - qui ont un impact sur la couverture médiatique - je pense que les deux ont attiré une couverture médiatique importante à leur apogée.

Mais, depuis la fin de la guerre froide, c'est le conflit du Darfour, dans l'ouest du Soudan, il y a vingt ans, qui a attiré de loin la plus grande couverture médiatique de tous les conflits dans ce pays. En fait, si l'on considère le continent africain dans son ensemble, il s'agit d'un cas exceptionnellement rare de conflit ayant pu générer une couverture médiatique large et soutenue dans les médias occidentaux, peut-être plus nettement dans les médias anglophones. Les années 2004 et 2006 en particulier ont vu ce conflit être largement couvert, à des niveaux jamais atteints pour un conflit africain depuis le génocide rwandais de 1994, et probablement jamais atteint depuis, à l'exception peut-être de la Libye en 2011. Les débats autour de la possibilité d'un génocide au Darfour (qui coïncidait avec le dixième anniversaire du génocide rwandais) et un fort intérêt politique et public, ont contribué à accroître la couverture médiatique de ce conflit.

Il est utile de noter que les Forces de soutien rapide sont issues de la milice Janjawid, tristement célèbre à l'époque comme étant le groupe le plus directement impliqué dans les atrocités au Darfour, largement couverte par les médias. L'intensification actuelle du conflit, actuellement au Darfour, et l'implication du groupe autrefois connu sous le nom de Janjawid dans ce conflit, semblent attirer peu d'attention aujourd'hui.

Le Soudan est également le théâtre de plusieurs autres conflits dits de faible intensité, de nature régionale, comme ceux du Kordofan du Sud et du Nil Bleu. Ceux-ci ne suscitent pratiquement aucune couverture médiatique.

Cette guerre au Soudan vous semble-t-elle moins médiatisée que d'autres conflits récents dans les pays voisins, comme en Libye, en République centrafricaine ou en Éthiopie ?

De manière générale, les conflits en Afrique - comparés à ceux en Europe ou au Moyen-Orient - sont très peu susceptibles de générer des niveaux élevés et durables de couverture médiatique dans les pays occidentaux, dont les médias dominent le flux d'informations mondiales. Donc, le niveau de couverture médiatique de ces conflits est généralement faible. Mais cela dépend aussi de la phase du conflit dont nous parlons et du pays dans lequel les médias sont basés. Je dois également dire que je n'ai pas encore correctement mesuré et comparé la couverture de ces conflits sur une longue période. Il est donc difficile de se prononcer avec certitude.

Mon impression serait que la Libye, au moment de l'attaque de l'Otan contre le pays et du renversement du régime de Kadhafi en 2011, a généré une couverture médiatique beaucoup plus large que n'importe lequel de ces autres conflits, principalement en raison de l'implication directe des pays occidentaux qui ont bombardé le pays durant plusieurs mois. La couverture médiatique du conflit en Libye a en revanche considérablement diminué ces dernières années. Le conflit en République centrafricaine a généré moins de couvertures médiatiques - bien qu'elles aient été considérablement plus importantes dans les médias francophones que dans d'autres - qui a culminé en 2013 et 2014. La même chose peut être dite au sujet de l'Éthiopie avec le conflit au Tigré, qui a culminé en 2020 et 2021. Comme au Soudan, pendant une courte période, ces conflits ont généré une attention médiatique modérée dans les médias occidentaux à leur apogée, avant de disparaître rapidement.

Je pense donc (sans données pour le confirmer) qu'à leur apogée, les conflits de la dernière décennie au Soudan (2023), en République centrafricaine (2013-14) et en Éthiopie (2020-21) pourraient être quelque peu comparables, même si la République centrafricaine aurait été moins couverte par les médias non-Français. Et tous ces conflits auraient été bien moins couverts que la Libye à son apogée en 2011.

Il y a moins de 2 000 kilomètres entre le Soudan et Gaza. Comment analyser l'écart entre la médiatisation de la guerre soudanaise et celle sur l'intervention israélienne à Gaza ?

Je soutiens qu'il existe six facteurs clés qui déterminent le degré de couverture d'un conflit : 1) la perception nationale/intérêt politique 2) la distance/l'accès 3) la capacité à s'identifier aux victimes 4) la capacité à éprouver de compassion envers les victimes 5) la simplicité 6) le sensationnalisme. De manière générale, plus il y a de ces facteurs qui s'appliquent, plus grandes sont les chances d'obtenir une couverture plus élevée. Dans le cas de la couverture médiatique occidentale de la plupart des conflits africains (et du Soudan en particulier), ces facteurs ne s'appliquent pas réellement, d'où les niveaux de couverture relativement faibles.

Il y a peu de perception nationale/intérêt politique (les ressources d'un pays peuvent être importantes, mais peuvent généralement être obtenues même lorsque le conflit est en cours) et les lieux où se déroulent les conflits signifient qu'il y a peu de risques d'une arrivée d'un grand nombre de réfugiés dans les pays occidentaux. Le public occidental peut être perçu par les médias comme ne s'identifiant pas ou n'éprouvant pas de sympathie envers les victimes qui ne correspondent pas à leur propre identité ethnique. Cela peut également être difficile dans les conflits où les belligérants se sont divisés en plusieurs factions et où il peut ne pas toujours être clair de savoir quel groupe particulier est une victime clairement identifiable (et de manière simplifiable). Il se peut qu'il y ait des attaques spectaculaires, mais elles sont moins susceptibles que d'autres conflits d'être captées par des caméras haute résolution.

L'inverse est vrai pour la guerre actuelle à Gaza et pour le conflit israélo-palestinien en général. Pour une multitude de raisons historiques (ainsi qu'un lobbying puissant), les pays occidentaux s'intéressent massivement et durablement à ce conflit. Si l'on juge sur le long terme, je pense qu'il est juste de dire que le niveau d'intérêt qu'il génère est sans égal avec aucun autre conflit dans le monde. Même si la distance entre le Soudan et Gaza n'est peut-être pas particulièrement grande, l'intérêt politique existant pour Israël-Palestine fait que toutes les grandes agences de presse ont des bureaux permanents à Jérusalem, mais pas à Khartoum.

Bien que Gaza elle-même soit désormais largement fermée à la plupart des médias extérieurs, les ressources médiatiques se trouvent à proximité immédiate. Il existe dans les pays occidentaux de larges groupes de personnes susceptibles de s'identifier ethniquement aux victimes des deux côtés. Des récits fortement encouragés et suscitant de la sympathie ont également été établis envers les victimes des deux côtés. Du point de vue des parties belligérantes, le conflit peut être considéré comme relativement simplifiable, divisé en deux camps sans groupes dissidents majeurs. Le sensationnalisme s'applique également à ce conflit, compte tenu du nombre d'explosions et d'atrocités de grande ampleur qui ont été filmées par des caméras haute résolution.

Le degré de médiatisation d'un conflit a-t-il un impact sur son issue ?

Il y a certainement des calculs de la part des belligérants concernant le risque et l'utilité d'une couverture médiatique. Ils peuvent être sensibles à la couverture médiatique des atrocités et des actes répréhensibles perçus comme venant de leur part et peuvent travailler dur pour supprimer, minimiser ou éviter une telle couverture médiatique. D'un autre côté, la couverture des atrocités commises par l'autre camp peut être exploitée pour diaboliser ses opposants et attirer du soutien pour ses activités, ou au moins détourner l'attention de ses propres actes répréhensibles.

La propension dans laquelle la couverture médiatique peut avoir un impact sur les actions des belligérants ou sur le résultat est beaucoup plus discutable et dépend d'un certain nombre de variables. Les belligérants sont susceptibles de peser les dommages en termes de réputation causés par une couverture médiatique critique de l'utilité militaire ou politique de leurs actions et de leurs objectifs. Ils pourraient bien rester largement indifférents à une couverture extérieure intensive et critique s'ils estiment qu'il est plus avantageux pour eux de poursuivre leur ligne de conduite actuelle. Si l'inverse s'avère vrai, une couverture médiatique dommageable pourrait encourager une certaine forme de retenue ou, au moins, une volonté de s'engager dans des négociations, même si elles sont largement de l'affichage. Mais je pense que de telles incidences sont assez limitées, en particulier dans des cas comme au Soudan, où le régime considère que sa propre survie est en jeu, ce qui dépasse de loin l'importance liée aux dommages à sa réputation causés par une couverture médiatique négative.

Il convient également de noter que la couverture médiatique peut avoir un impact sur la participation d'autres parties qui ne sont pas nécessairement des belligérants directs. Par exemple, dans certains cas, en particulier ceux dans lesquels la partie extérieure (comme un gouvernement) n'a pas de politique ou de préférence forte, une couverture médiatique intense peut avoir une certaine influence sur le degré avec lequel cette partie extérieure s'engage dans le conflit, pour le meilleur ou pour le pire. À l'inverse, les médias peuvent amplifier la position et le pouvoir des parties extérieures au conflit. Les médias, par exemple, ont tendance à choisir un camp et à s'aligner sur leur propre gouvernement lorsqu'ils couvrent un conflit qui présente un fort intérêt politique pour ledit gouvernement. Dans ces cas-là, les médias ont tendance à se focaliser de manière intensive sur les atrocités commises par l'opposant et à passer sous silence ou à ignorer celles du camp soutenu par leur propre gouvernement. Cela peut avoir un impact sur l'issue du conflit, dans une certaine mesure.

Le domaine dans lequel les médias peuvent probablement avoir le plus grand impact sur les conflits est celui de l'aide humanitaire. Même si cela n'a pas d'impact sur l'issue du conflit lui-même, cela peut avoir un impact considérable sur le coût humain du conflit. Si, par la quantité et le contenu de leur couverture médiatique, les médias présentent un conflit lointain comme étant « important » et avec une partie comme étant victime et digne de sympathie, d'importantes quantités d'aide humanitaire peuvent être générées, sauvant ainsi de nombreuses vies. Le nombre de victimes des conflits en Afrique a tendance à être aussi élevé en partie parce que, contrairement à leurs homologues en Europe notamment, ils ne parviennent pas à susciter des niveaux d'aide humanitaire proportionnels à l'ampleur des souffrances, et parce que la grande majorité des décès sont liés à des causes non-violentes évitables. Une plus grande couverture médiatique occidentale du conflit au Soudan, par exemple, pourrait bien contribuer à réduire les souffrances humanitaires qui en résultent.

Virgil Hawkins est professeur à l'École de politique publique internationale d'Osaka, basée à l'Université d'Osaka, au Japon. Il effectue des recherches sur les médias d'information, en particulier sur la façon dont les médias couvrent (et ne couvrent pas) le monde. Il est également le fondateur et rédacteur en chef de Global News View (GNV), un site web japonais d'informations et d'analyses de l'actualité mondiale en ligne.

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