Soudan — « Je n'arrive pas à oublier ce moment. Je n'arrive pas à oublier son odeur. Je n'arrive pas à oublier leurs visages. Ce moment me hantera jusqu'à ma mort. »
Fawzya*, 26 ans, voulait atteindre la frontière du Tchad pour échapper à la violence qui a submergé sa ville natale du Soudan, lorsque des combats ont éclaté sous ses yeux. Après un an de guerre et d'insécurité omniprésente, le Soudan est en proie à l'une des plus vastes crises de déplacement à l'intérieur d'un pays : on compte 6,6 millions de personnes ayant dû fuir leur logement pour se réfugier dans d'autres régions.
« J'ai dû fuir et j'ai perdu ma tante », raconte Fawzya. « Une famille m'a offert le gîte mais au bout de trois heures de combat, des hommes armés ont fait irruption dans la maison. "Où cachez-vous les armes ?", ont-ils hurlé. »
Fawzya et la famille qui l'a accueillie n'étaient pas armées, mais la personne à qui appartenait la maison a tout de même été abattue devant sa famille. « Ces hommes m'ont ordonné d'aller dans la pièce voisine et de leur apporter quelque chose à manger », poursuit-elle. « Je suis donc sortie de la pièce et trois d'entre eux m'ont suivie et ont fermé la porte à clé. L'un d'eux a pointé une arme sur ma tête et m'a dit de me déshabiller. J'ai refusé et il a tiré dans le toit. J'étais terrifiée. » La jeune femme a été plaquée au sol et violée.
« Je vomissais, je pleurais. Une femme est entrée dans la pièce après leur départ, m'a couverte avec un tissu et s'est mise à pleurer elle aussi. »
Ce qu'a vécu Fawzya n'est malheureusement que l'un des innombrables signalements des terribles violences sexuelles qui font rage au Soudan : viols, kidnappings, mariages forcés et mariages d'enfants. Alors que 6,7 millions de personnes - un chiffre tout à fait alarmant - ont besoin de protection contre la violence basée sur le genre, cette crise est terrifiante pour ces personnes qui n'ont presque aucune possibilité de recourir à des services de santé, d'aide ou d'accompagnement juridique.
Une crise aux multiples facettes, qui s'intensifie
La violence sexuelle comme arme de guerre ne discrimine pas selon l'âge et est exercée sans aucune pitié. Des millions de personnes sont contraintes de faire face à une insécurité alimentaire catastrophique, et les agresseurs tirent profit de leur désespoir.
« Nous n'avions plus de nourriture après nous être cachées pendant un mois », explique Sarah*, 14 ans. « Je suis sortie avec ma soeur pour chercher quelque chose à manger, mais trois hommes armés nous ont trouvées. Ma soeur a réussi à s'échapper, mais ils m'ont violée. Je suis restée évanouie pendant des heures. Lorsque j'ai repris connaissance, j'ai trouvé plusieurs femmes âgées qui m'ont reconnue et m'ont ramenée auprès de ma mère. »
Les kidnappings se sont multipliés eux aussi dans les zones touchées par le conflit : Shakra*, âgée de 22 ans, se trouvait chez une amie lorsque la soirée a viré au cauchemar. « Quatre hommes m'ont forcée à monter dans une voiture et ont roulé pendant deux heures », raconte-t-elle à l'UNFPA. « Ils m'ont violée et m'ont laissée là pendant deux jours, sans nourriture et sans eau. J'ai fini par trouver des gens de ma tribu et je leur ai demandé de me ramener à ma famille. »
Les femmes enceintes en danger
Le système de santé du Soudan n'est pas épargné : près de 80 % des hôpitaux dans les régions où le conflit fait rage ne sont plus opérationnels, car l'équipement vient à manquer et le personnel de santé est lui-même en situation de déplacement. Les établissements qui fonctionnent encore sont submergés par la population qui a besoin de soins, ce qui met tout le système à genoux.
Au coeur de cette catastrophe, 150 000 femmes déplacées sont enceintes. « Aucune d'entre nous n'a de travail ou de ressources stables qui permettraient de subvenir à nos besoins, par exemple pour payer des traitements médicaux », déplore Amina*, qui vient de Khartoum. « Nous ne pouvons compter que sur les services gratuits proposés par les cliniques mobiles qui viennent sur place, dans le camp où nous sommes installées. »
Ces cliniques font partie des efforts de l'UNFPA pour aider les personnes situées dans les zones les plus reculées, en leur fournissant du matériel et des services vitaux de santé maternelle - notamment des soins obstétricaux d'urgence et une prise en charge clinique des cas de viol. À ce jour, un total de 33 unités mobiles ont été déployées dans tout le pays, et 64 espaces sûrs ont été établis pour proposer aux survivantes de violence basée sur le genre protection, traitement et orientation vers des spécialistes.
La plupart des femmes et des filles des zones de conflit soudanaises n'ont aucun accès aux services de santé reproductive dont elles ont pourtant cruellement besoin. « Une femme enceinte souffrant de complications a dû être transportée dans une charrette tirée par un âne sur 10 kilomètres », constate Zainab, une sage-femme qui travaille au sein d'une équipe mobile de l'UNFPA, dans l'État d'Al-Jazirah.
Ce contexte instable empêche souvent les membres du personnel médical de rentrer chez eux après la fin de leur garde. « Je pars généralement pour trois jours d'affilée et j'enchaîne les accouchements », explique Fatima, sage-femme à Khartoum. « Je rentre le quatrième jour pour me reposer, puis je recommence. »
Une bouée de sauvetage lancée par l'UNFPA
Dans les régions du Darfour, de Khartoum et du Kordofan, qui sont le théâtre des plus violents affrontements, plus de 7 000 jeunes mères risquent de mourir dans les mois à venir faute de soins de santé et d'aide alimentaire. Près de 1,2 million de femmes enceintes et allaitantes souffriront très probablement de malnutrition sévère dans les prochains moins, ce qui accroît fortement le risque de maladie et de décès pour les mères comme pour les nouveau-nés.
L'UNFPA travaille avec ses partenaires afin de fournir des services vitaux de protection et de santé reproductive, en particulier dans les zones comptant de nombreuses personnes déplacées à l'intérieur du pays. Au cours de l'année écoulée, plus de 100 000 personnes ont pu bénéficier de services médicaux et de santé reproductive, et plus de 600 000 de services de prise en charge de la violence basée sur le genre.
« C'est une bouée de sauvetage qu'on nous a lancée », affirme Amina*.
« Le sentiment que quelqu'un se soucie de vous, surtout en tant que personne déplacée, ça a beaucoup de valeur », déclare Samia Hassan Jowar Hajjina, qui sort d'une visite dans un espace sûr de l'UNFPA - elle est originaire de Kalakla dans l'est de l'état de Khartoum et vit actuellement au camp d'Awouda.
*Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat et la sécurité des personnes