Sénégal: Vernissage « Ndogou » - Une expo pour découvrir Djerba, une île où l'air empêche la mort

17 Avril 2024

Jeudi soir, le vernissage de l'exposition « Djerba ... » a vécu à la Délégation générale Wallonie-Bruxelles au Sénégal (Mermoz). C'est une exposition de photographies et un cours d'histoire sur cette île tunisienne réputée touristique, mais dont le patrimoine porte bien plus de lumière.

Le salon de la Délégation Wallonie-Bruxelles au Sénégal est actuellement aménagé en salle d'exposition pour accueillir la trentaine de photographies du Belge Axel Derriks. Ce dernier y présente son exposition, « Djerba ... », au nom de cette île tunisienne « où l'air est si doux qu'il empêche de mourir », selon Gustave Flaubert. Le photographe belge fige sur les photos de somptueuses curiosités de cette ville qu'il affectionne et parcourt depuis quinze ans. Mais, Axel Derriks n'a pu empêcher le charme candide et spirituel de Djerba de transpirer ces clichés et d'embarquer les visiteurs dans cette ville nouvellement inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco. Le photographe, qui a réussi la connexion entre son oeil passionné et l'objectif de son appareil, documente la ville, ses richesses, son histoire, sa culture. Axel Derriks s'appuie sur l'esthétique de Djerba qui surfe avec dominance entre les tons idylliques du bleu et du blanc, et les autres éléments de son patrimoine et de son évolution.

L'exposition s'ouvre avec une photo qui symbolise sérénité et résilience, abondance et mesure, hasard et confiance, foi et dévouement. La photo immortalise une ligne de pirogues arrimées sur une mer d'une tranquillité autant apaisante qu'angoissante, et sous un ciel d'un bleu dont les nuages donnent une impression de brumes sur la photo. On ne voit pas la plage, et l'horizon est infini. Ces ressentis devant la photo décrivent l'idéal d'un endroit prélassant et surtout spirituel, et les devanciers de Djerba ont bien capté le symbole en en faisant justement une ville ... religieuse et spirituelle. Djerba est une île singulière par ses mosquées ibadites. Ces dernières constituent d'ailleurs un chapitre dans cette expo.

Transmission de connaissances

Djerba est quelque peu un bastion de l'ibadisme, un courant de l'islam moins connue que le sunnisme et chiisme. Les ibadites ont construit une grande somme de mosquées, souvent de campagnes, disséminées sur toute l'île. On compte aussi des mosquées souterraines qui sont des musées de secrets, des mosquées-écoles où on préserve et transmet les connaissances, et des mosquées forteresses qui assuraient la ligne de défense de l'île. Leurs minarets « sont semblables à ceux qu'on trouve à Podor », renseigne l'auteur-photographe. Les Ibadites de Djerba sont des génies du bâtiment. Ce qui fait, par ailleurs, de l'expo un documentaire d'architecture, de gentrification, d'histoire et de religion.

« Entre originalité des formes, poésie des lieux et bonheurs chromatiques, la forte identité visuelle de l'architecture djerbienne s'impose dès les premiers pas. On assiste à la naissance d'une alliance unique de la figure et de la lumière, de l'intelligible et du sensible. (C'est) une autre vision de l'art, à la fois puissante et retenue, sans ors, sans apparats ni arabesques », commente le photographe, sur des passages de son livre « Djerba, Les mosquées ibadites », co-signé avec l'historienne Virginie Prevost. C'est justement par l'ibadisme et ses propriétés particulières que Axel Derriks va à la rencontre de Djerba en 2010, après les avoir découvertes une année plus tôt à Mzab (Algérie). Le photographe belge entreprend une vraie exploration et finit par être adopté par Djerba, la plus grande île de l'Afrique du Nord.

« En 2009, j'étais d'abord au Sénégal où je faisais des reportages photographiques sur l'île de Ngor, sur les artistes peintres de Ngor. J'ai découvert les mourides et les Baay Faal et j'en étais fasciné. En rentrant, j'avais dit à ma femme que je voulais être le photographe des « Baay Faal » et des mourides. Mais je me retrouve deux semaines plus tard en Algérie pour un autre reportage et je découvre la vallée de Mzad. Je suis ensuite rentré et j'ai dit à ma femme que je vais devenir finalement le photographe des Ibadites », raconte Axel Derikks, durant une petite conférence après le « ndogou », sur la cour de la Délégation Wallonie-Bruxelles à Dakar.

Lors de sa présentation, comme un écho à son attrait pour ces communautés spirituelles et religieuses, les « nafilas » (prières nocturnes surérogatoires durant le ramadan) de la mosquée voisine offrent un sympathique choeur à ses explications sur le parcours de Djerba. L'émotion a été aussi vive chez cet originaire de Djerba, un Tunisien assistant à la conférence de Axel Derriks. « Je suis peut-être le plus ému de tous ceux qui sont là. J'ai vécu dans ces mosquées que vous avez montrées durant votre présentation, je suis né dans un azel, j'ai passé mon jeune âge dans ces paysages. Vous avez même projeté le cimetière de mes ancêtres. Vous avez fait la trace de ma famille. Je suis tellement ému que je me sens dans mon village », s'attendrit le monsieur, qui n'est pas retourné à Djerba « depuis plus d'une dizaine d'années ». Une bonne partie des éléments de l'exposition et de ses histoires peuvent être consultés sur expodjerbadakar.blogspot.com, où Axel n'est plus que photographe, mais aussi un historien qui réussit une oeuvre mémorielle significative.

Selon le Délégué général de Wallonie-Bruxelles, le sujet et le cadre reflètent une certaine justesse. Jean-François Pakula a estimé que la soirée symbolisait la rencontre. Un photographe belge qui rassemble autour de son travail sur Djerba plusieurs personnes de plusieurs pays, pour mieux connaître l'humain et le monde. Djerba étant une île où cohabitent les communautés religieuses (musulmans, chrétiens et juifs) dans leurs diversités, le Sénégal un pays d'hospitalité qui a rassemblé tout un monde (la francophonie) avec la Tunisie par ses premiers présidents, dans la cour de la Délégation générale Wallonie-Bruxelles « où plusieurs univers tissent des liens ».

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