Dans les zones à fort défi sécuritaire du Burkina comme les régions du Nord, du Centre-Nord, du Sahel et de l'Est, la crise humanitaire et le changement climatique ont accentué la vulnérabilité alimentaire et économique des populations. Ainsi, pour renforcer leurs moyens d'existence, les personnes en situation de handicap entreprennent des activités agropastorales et halieutiques. Sidwaya est allé, courant février et mars 2024, à la rencontre de ceux dont la prouesse contribue à la sécurité alimentaire, nutritionnelle et sanitaire des Burkinabè.
Sans fil, quartier périphérique à l'Est de Fada N'Gourma, capitale régionale de l'Est. Le soleil commence à distiller ses rayons sur le centre agroforesterie TIN BA, d'une superficie de cinq hectares, sis au secteur 1 de la cité de Yendabli. 8h34mn. En cette matinée du lundi 4 mars 2024, pendant que certaines femmes s'attèlent à la saponification, Oumou Lido, déplacée interne venue de Namounou et handicapée motrice, armée de deux béquilles en aluminium et d'une binette, elle s'attache à désherber ses deux planches verdoyées d'oignon, de chou et d'oseille.
Teint clair et voile couvrant tout le corps, la veuve de 42 ans pratique, depuis deux ans, la culture maraîchère dans ce centre, afin de subvenir aux besoins alimentaire, sanitaire et scolaire de ses sept orphelins et quatre autres Personnes déplacées internes (PDI). Selon le gestionnaire du centre, Moussa Combary, pour cette année, 65 femmes sont bénéficiaires d'un jardin potager collectif d'une superficie d'un hectare. Ces amazones pratiquent aussi la pisciculture dans 26 bassins empoissonnés disposés entre les planches de sorte à utiliser les eaux usées des alevins riches en nutriments pour alimenter les plantes potagères. Une activité « très rentable » pour ces femmes devenues cheffes de ménage par la force des choses (le terrorisme, NDLR). Oumou Lido rassure que ses planches lui procurent quotidiennement des condiments bios. Mieux, elle arrive à écouler le surplus de ses récoltes, afin de doter sa famille de vivres. « Rien qu'hier (3 mars 2024, NDLR), j'ai vendu deux sacs et demi d'oseille et de barembouli à 2 500 F CFA. J'ai économisé la moitié et le reste, j'ai géré les petites dépenses de mes enfants », se félicite-t-elle, sourire aux lèvres.
Oumou dispose d'un autre jardin de culture hors-sol dans sa cour. Avec des pneus, des bidons et des sceaux usés, elle cultive l'oignon, le chou, la salade, l'oseille, le haricot, le gombo, etc. Toute chose qui permet à sa famille de bénéficier d'une ration alimentaire équilibrée.
« Depuis le début de mon activité, il y a deux ans, j'ai eu au moins un bénéfice de 100 000 F CFA dans la vente des condiments », précise-t-elle. Des bénéfices qui l'épargnent, selon elle, de la mendicité, et ses cinq bambins, de la malnutrition et de la déscolarisation. D'autres amazones forcent l'admiration à Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord. Au centre de l'association Tumtumdé des personnes vivant avec un handicap du Sanmatenga (ATPVHS), une vingtaine de combattantes de la faim exploitent depuis deux ans, un jardin collectif d'une superficie d'un hectare.
Elles produisent la salade, l'oignon, le chou, l'aubergine, la tomate, l'oseille, le concombre, le haricot local, le gombo, le maïs, le manioc et la patate douce. L'on y trouve également de la papaye, de la mangue et du baobab. Leur jardin est connecté à deux grands bassins d'une capacité de 3 000 alevins. A notre passage, un seul bassin était empoissonné avec 1000 alevins. « Nous utilisons uniquement les eaux usées de la pisciculture et les engrais bio (liquide et compost) fabriqués par nous-mêmes pour la culture maraîchère », rassure le président de l'ATPVHS, Souleymane Tontorogbo, handicapé moteur. Cette pratique est recommandée par les spécialistes afin de réduire l'utilisation excessive des engrais minéraux qui peuvent entrainer la carence des sols en éléments nutritifs.
Des produits maraîchers 100% bio
7h14mn. En cette matinée du lundi 19 février 2024, Haoua Ouédraogo, la cinquantaine bien sonnée, est chargée d'arroser les plantes potagères. Malgré qu'elle ait perdu la planche de son pied gauche, la multipare de cinq enfants manie l'arrosoir avec dextérité. Croix au cou et foulard jaune solidement noué à la tête, dame Haoua soutient que leurs produits 100% bios assurent une consommation saine et une alimentation équilibrée. En termes de recette, la secrétaire générale de l'association, Salamata Kafando, handicapée motrice, juchée sur sa moto tricycle et verre correcteur fixé aux yeux, estime que pour cette année agricole, leur bénéfice mensuel s'élève à environ 150 000 F CFA, après déduction des charges, soit une cagnotte annuelle de 1 800 000 F CFA. Des bénéfices leur permettant d'assurer les besoins alimentaire, sanitaire, scolaire et vestimentaire de leurs enfants.
Les pensionnaires du centre pratiquent aussi l'élevage de porcs, d'ovins, de bovins et de la volaille. Philippe Sawadogo, handicapé moteur, s'occupe d'une quarantaine de porcs repartis dans huit compartiments du parc. Son expertise est quotidiennement sollicitée par les populations en termes d'accouplement des porcs et de leur entretien. Pour lui, en plus d'être une source de revenus, l'élevage procure régulièrement de la fumure organique pour la fabrication du compost.
Le 17 juillet 2023, le centre a reçu la visite du ministre délégué en charge de l'agriculture et de l'élevage, Dr Amadou Dicko. Une visite qui a permis à l'association de bénéficier d'un traitement vétérinaire gratuit de tous les porcs et d'une dotation de 3 000 alevins pour renforcer sa pisciculture. De même, la direction provinciale de l'agriculture du Sanmatenga leur a octroyés des intrants agricoles dont quatre sacs d'engrais (trois sacs d'urée et un sac de NPK) et quatre boites de semences de concombre.
Ces soutiens entrent dans le cadre de la mise en oeuvre de l'Offensive agropastorale et halieutique 2023-2025. A Kaya, de nombreuses Personnes en situation de handicap (PSH) mènent des cultures hors-sols. Agée de 40 ans, Edith Ouédraogo, handicapée motrice, exploite, depuis un an, un jardin d'une vingtaine de pneus de véhicules, de sceaux et de sacs en plastique où elle cultive la tomate, l'oignon, l'oseille, l'aubergine, la salade, le poivre, le haricot local, le barembouli et le maïs. Visité, le jeudi 15 février 2024, dans sa cour, sise au secteur 2 de Kaya, son jardin présente une bonne physionomie.
La mère de sept enfants indique que les produits de son potager sont exclusivement destinés à la consommation. Edith dit bénéficier du soutien technique et financier de l'OCADES-Kaya en termes de formation, de matériels tels que le grillage, l'arrosoir, le compost, les intrants agricoles et de suivi à domicile. Elle possède aussi une truie, un verrat, un bélier, une brebis et une trentaine de têtes de volaille. Une activité pastorale qui lui permet d'assurer ses charges familiales. « Cette année scolaire, j'ai vendu un bélier à 85 000 F CFA pour payer la scolarité des enfants à 65 000 F et des vivres », se félicite-t-elle. Edith Ouédraogo assure avoir déjà vendu une dizaine de porcs d'un montant d'environ 500 000 F CFA en plus d'une dizaine d'ovins. Les poulets, eux, sont vendus pour habiller les enfants lors des fêtes.
Seul le travail paie
Dans la cité Naaba Kango, capitale régionale du Nord, Zakaria Ouédraogo, 45 ans, exploite la terre depuis 13 ans pour nourrir sa famille. Résident au secteur 8 de Ouahigouya, cet handicapé moteur (pied gauche) possède pour cette campagne agricole, 450 planches verdoyant de pomme de terre, de chou et de tomate. 9h30mn. En cette matinée du samedi 10 février 2024, nous visitons son périmètre maraîcher sis au barrage de Kanazoé, non loin du camp Zandoma. Avec un investissement d'environ 400 000 F CFA, il espère engranger un bénéfice de 500 000 F CFA, après déduction des charges.
Le monogame de trois enfants qui prend en charge ses frères et leurs femmes dit refuser la mendicité depuis sa tendre enfance. « La mendicité ne permet pas au mendiant de réaliser ses projets. Seul le travail paie... », se convainc le maraîcher, deux arrosoirs en mains. Dans son activité, il s'est doté d'une moto, construit une villa F3 (deux chambres-salon-douche interne) et assure la scolarité de ses enfants et ceux de ses frères. Pour cette saison, M. Ouédraogo dit bénéficier de l'engrais à prix subventionné par l'Etat (12 000 F CFA/sac de 50 kg).
« Depuis que nous sommes dans l'agriculture, il y a de cela plus de 13 ans, nous n'avons jamais eu de l'engrais subventionné de façon suffisante comme cette année », se réjouit-il. Du fait de leur mobilité réduite, les PSH pratiquent mieux l'élevage de petits ruminants et de la volaille pour survivre. Agé de 59 ans et père de cinq enfants, Joseph Ilboudo réside au secteur 1 Petit Paris de Dori, chef-lieu de la région du Sahel. Ce handicapé moteur élève quatre brebis, deux chèvres, deux vaches et un veau. Cette activité est devenue sa principale source de revenus depuis qu'il a perdu l'usage de ses membres inférieurs en 2013 de suite de maladie dans le village d'Essakane. Juché sur son fauteuil roulant vert-clair, tête rasée et habillé d'un t-shirt marron, M. Ilboudo confie, le 10 mars 2024, que son activité lui permet de prendre en charge sa famille et d'assurer la scolarité de ses enfants. En une décennie, il dit vendre une vingtaine d'animaux aux prix oscillant entre 60 000 et 200 000 F CFA. Pour cette année scolaire, il a vendu trois ovins pour honorer la scolarité de ses enfants et payer des vivres. Habitant au secteur 3 de Kaya, Hamado Ouédraogo, handicapé moteur, 58 ans, lui-aussi, se frotte les mains dans l'embouche de petits ruminants.
Ce père de six enfants possède un enclos de sept gros béliers renouvelables chaque six mois. Avec un chiffre d'affaires actuel de 490 000 F CFA, son activité pastorale lui permet d'absorber le choc lié à la flambée des prix des denrées alimentaires, au changement climatique et à la crise humanitaire. Malgré son handicap moteur et son âge (75 ans), Aminata Bamogo, résidente au secteur 2 de Kaya, pratique toujours l'élevage avec passion. Chaque matin, comme à l'accoutumée, elle prépare le son à bétail pour son troupeau. Son enclos compte quatre béliers et quatre brebis.
Elle possède aussi une vingtaine de poulets. « Si mes brebis mettent bas, j'embouche les agneaux mâles pour les vendre à la Tabaski pour acheter des vivres, solder la scolarité de mes petits-fils et payer du tabac et la cola », indique-t-elle. La grand-mère dit avoir vendu sept béliers dont deux à 105 000 F CFA cette année pour payer la scolarité de ses petits-fils. Une quarantaine de poulets ont été vendus sans compter ceux passés à la casserole. A un jet de pierre de la cour de Aminata Bamogo se trouve une autre personne de troisième âge qui fait de l'élevage, son gagne-pain quotidien. Hado Sawadogo, deux membres inférieurs paralysés, la soixantaine bien sonnée et mère de cinq écoliers, possède cinq ovins et trois caprins. « L'élevage nous aide beaucoup. Si nos vivres finissent, je vends un bélier ou un bouc pour me ravitailler. Si un enfant est malade, je vends un animal pour le soigner.
Un bélier de 250 000 F CFA
Pour cette année scolaire, j'ai vendu trois béliers pour assurer leur scolarité », justifie-t-elle. Hado pratique l'élevage depuis 12 ans. Mamounata Barry, 46 ans, elle, a opté pour l'élevage des caprins. Dans sa cour sise au secteur 3 de Kaya, la veuve de trois enfants possède trois chèvres dont une en gestation. La « pauvre » dame vient de perdre six chèvres de suite de maladie en un mois. Mamounata est handicapée motrice et bossue depuis l'âge de sept ans. Rencontrée, le 22 février 2024, elle avoue que depuis le décès de son mari, il y a de cela un an, elle nourrit ses enfants grâce à la multiplication de ses caprins et à la vente des galettes.
Au secteur 5 de Kaya, Haoua Guira, 50 ans et veuve de trois enfants embouche un gros bélier d'une valeur de 250 000 F CFA, selon ses estimations. Cette handicapée motrice compte le vendre à la fête de Tabaski prochaine pour se doter de deux petits béliers et des vivres pour sa famille. « J'utilise ce que je gagne dans le tricotage pour le nourrir. Chaque année, j'ouvre un compte que j'approvisionne régulièrement pour attendre la rentrée scolaire suivante pour les éventuels frais de scolarité de mes enfants », explique dame Guira. Son souhait le plus ardent est de bénéficier d'un soutien financier pour mettre en place une activité génératrice de revenus parallèlement à son élevage.
Amtini Diallo, handicapée motrice, 54 ans et mère de quatre enfants pratique l'élevage de volaille dans sa cour sise au secteur 5 de Kongoussi, dans le Bam. Ayant débuté avec deux poulets en 2017, elle compte une vingtaine de têtes dans son poulailler. « Grâce à l'élevage, j'ai pu m'acheter une moto tricycle, acquérir du matériel et des intrants pour la saponification et me soigner d'une grave maladie. J'arrive aussi à nourrir et scolariser mes enfants. De temps à autre, je tue quelques têtes pour enrichir ma sauce », liste-t-elle, sourire aux lèvres et assise sur une natte entourée de ses poulets.
Selon les spécialistes, les produits maraîchers et hors-sol possèdent des bienfaits sur la santé du consommateur. A écouter le nutritionniste Tinwendé Sawadogo, en service à la direction régionale de la Santé du Centre-Nord, sur le plan alimentaire, les légumes et fruits sont riches en fibres et participent à la bonne digestion des autres formes d'aliments, en facilitant le transit intestinal. Ces fibres, poursuit-il, jouent un rôle important dans la lutte contre les maladies non transmissibles d'origines alimentaires telles que le diabète de type 2, la goute, la lipidémie, l'hypertension, les maladies cardiovasculaires, etc. Sur le plan nutritionnel, M. Sawadogo soutient que ces produits de la maraîcher-culture ou de hors-sol constituent d'énormes réserves de fibres alimentaires, des vitamines (A, C, B2, B6, K, acide folique, etc.), des minéraux (potassium, fer, magnésium, calcium, cuivre, etc.) et plusieurs composés antioxydants. Le spécialiste précise que les produits issus de la culture hors-sol sont généralement cultivés sans aucune utilisation de pesticides ou d'engrais chimique qui sont nocifs à la santé.
393 476 enfants de 6 à 59 mois malnutris
Tout comme les fruits et légumes, les produits issus de l'élevage présentent des avantages alimentaire et sanitaire. Pour le nutritionniste Tinwendé, la viande et le lait sont riches en protéines de bonne qualité avec leur profil en acides aminés essentiels dont a besoin l'organisme pour son bon fonctionnement. Ils sont également riches en vitamines et minéraux comme le fer, le zinc, le calcium et la B12. Le spécialiste souligne que les légumes, les fruits, la viande et le lait sont disponibles en toute période de l'année et contribuent à l'équilibre de la balance diététique. Ils contribuent donc à la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour l'atteinte de l'autosuffisance alimentaire des ménages et permettent de lutter contre la malnutrition.
Ces différents produits contribuent également à favoriser le développement économique local par la création d'emplois dans les zones urbaines comme dans les zones rurales. La situation de la malnutrition au Burkina Faso demeure préoccupante malgré les efforts du gouvernement et des partenaires techniques et financiers. Selon les données de l'enquête nutritionnelle rapide réalisée par le Ministère en charge de la Santé avec l'appui de l'UNICEF, en juillet 2023, plus d'un enfant sur 10 est atteint de la malnutrition aiguë dans les zones fortement affectées par l'insécurité comme le Sahel, le Centre-Nord, le Nord et l'Est.
De même, le rapport de l'enquête SMART 2022 révèle que la malnutrition est toujours présente sous toutes ses formes. Par exemple, la malnutrition aigüe est présente dans toutes les provinces enquêtées, le plus fort taux est celui de la province du Ziro (10,6%) dans le Centre-Ouest, la malnutrition chronique est plus présente dans le Kourwéogo (37,7%) dans la région du Plateau central et l'insuffisance pondérale est plus présente dans le Passoré (20,3%) dans la région du Nord. Selon le cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC 2022-2023), 393 476 enfants âgés de 6-59 mois souffrent de la malnutrition aigüe dont 95 557 de la forme sévère. Chez les femmes enceintes et femmes allaitantes, 79 906 souffrent de malnutrition.
A côté de ses formes par carence en macronutriments, coexistent celles par excès en micronutriments. On note 0,6% d'enfants de 6-59 mois dans le Centre-Est qui en souffriraient de l'obésité (SMART 2022). Chez les adultes, 7% de la population serait obèse (STEP, 2021). En dépit de leurs efforts consentis dans la lutte contre l'insécurité alimentaire et la malnutrition, la plupart des PSH se disent oublier par les services de l'Action humanitaire au profit des PDI. « Dans la prise en charge d'urgence, on parle moins des PSH malgré qu'elles se battent quotidiennement pour renforcer leurs moyens d'existence », corrobore le président provincial du Mouvement burkinabè des droits de l'Homme et des peuples (MBDHP)/section Sanmatenga, Issaka Ouédraogo.
Il estime que quelle que soit la situation dans laquelle un pays se trouve, il n'y a pas de raison qu'on oublie une catégorie de personnes sinon, cela devient une faute et on parlera de violation de droit humain. M. Ouédraogo appelle donc l'Etat et ses partenaires à revoir leur copie pour une prise en charge inclusive des personnes vulnérables. La cherté des intrants agropastoraux, la rareté des races animales, l'insuffisance d'eau, la mévente (bétails) et le manque de hangars pour les animaux et la volaille sont les difficultés rencontrées par les PSH. De ce fait, le nutritionniste Sawadogo préconise de privilégier les races locales plus accessibles et adaptées aux réalités environnementales, les intrants bios qui sont fabriqués localement par les acteurs eux-mêmes. Il souhaite que l'Etat et ses partenaires renforcent les capacités des PSH dans les domaines de l'élevage et de l'agriculture et subventionnent les intrants agropastoraux à leur profit.