Cheffe des travaux formée par le chorégraphe Longa Fo, Lisette Simba Mavambu, sa collaboratrice pendant plus de vingt ans, évoque, dans l'interview avec Le Courrier de Kinshasa, son parcours professionnel à ses côtés et parle de la grande perte que son décès, le 18 avril, occasionne à l'Institut national des arts (INA) dont il était l'une des perles. Entretien.
Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Enseignante à l'INA et proche collaboratrice du Pr Longa Fo, que pourriez-vous nous dire à son sujet ?
Lisette Simba Mavambu (L.S.M.) : J'ai beaucoup de peine à parler du Pr Longa, parce que sa mort me fait mal, je ne m'y attendais pas. C'est une désagréable surprise, un choc d'apprendre qu'il n'est plus. Longa Fo Eye Oto Laurent, c'est cela l'intégralité de son nom, avait fait ses études secondaires à l'Institut des arts de spectacle, les humanités artistiques de l'INA qui, à son époque, ne portaient pas encore ce nom. Puis, les a poursuivies en partie à l'INA avant de se rendre à Mudra Afrique, au Sénégal, sous la direction artistique de Germaine Acogny et de Maurice Béjart. Il a travaillé longtemps avec Germaine au point que lorsqu'elle a ouvert « L'école des sables », au Sénégal, il était son bras droit, son assistant. Jusqu'à présent, il fait partie du staff de ce centre. Du reste, je suis sûre que c'est le deuil là-bas en ce moment car cette année, nous étions tous attendus pour les vingt-cinq ans de « L'école des sables ».
L.C.K. : Quel est votre ressenti suite à cette mort ?
L.S.M. : C'est vraiment un choc, une perte incommensurable. Je ne sais pas si les gens le comprennent et le réalisent... Je suis désolée, mais je serai assez crue vis-à-vis de ses détracteurs. C'est désolant de voir qu'il y a tant de têtes qui partent, s'enfuient de l'INA et d'autres qui meurent parce que l'INA ne sait pas les entretenir, les préserver. Pourtant, vers les années 1985, le Pr Longa est parti de Mudra Afrique, il a choisi de rentrer dans son pays parce qu'il voulait y travailler, lui faire profiter de toute la matière qu'il avait apprise.
L.C.K. : Pourriez-vous nous raconter dans quelles circonstances vous l'aviez connu ?
L.S.M. : J'ai rencontré le Pr Longa en 1995, pendant la période des années blanches décrétées à Kinshasa par le gouvernement du Zaïre à l'époque. Mon test, je l'ai passé devant lui, face aux défunts Prs Malutamu et Mubinzo, et je l'ai réussi. A l'époque, je faisais de la danse de salon mais un ami m'a conseillée de me perfectionner à l'INA. J'y ai opposé un refus au début mais arrivée sur le lieu, cela m'a plu. Je me souviens du premier spectacle dans lequel j'ai joué avec Ray Mukinisa, Bijoux Elonga, Mabi, Rock Bokabela, alias Bodo, Hubert Mahela, Coco Ndakom, Germain Mbwese, etc.
Nous étions plus de vingt-cinq étudiants, tout le gratin de l'époque. Je venais de commencer mais le Pr Longa m'a dit, de toute façon, tu danses déjà, tu vas t'intégrer, je l'ai fait. Le spectacle était magnifique. Il m'a fait sauter sur les épaules de grands gaillards, j'étais petite, toute menue, je pensais ne pas y arriver mais il a insisté disant que j'allais le faire, je n'avais pas le choix. C'est ainsi qu'il était. Lorsqu'il avait décrété une chose, elle devait être effectuée.
L.C.K. : Avant d'être votre collaborateur, il fut votre professeur, comment était-il ?
L.S.M. : Les étudiants des promotions actuelles ne l'ont pas connu comme nous. Il était très difficile, surtout avec les filles. C'était un professeur autoritaire. Des fois je pleurais car je n'en pouvais plus après avoir reçu plusieurs remarques. Mais c'était un bon enseignant qui savait transmettre sa matière. La preuve, je suis moi aussi devenue enseignante alors que je nourrissais d'autres projets, partir loin de l'INA, profiter de la danse. Il m'a ouvert les portes de l'enseignement et m'a appris comment m'y prendre avec les étudiants, qui n'étaient pas mes enfants. « Sois dure, mais ne sois pas méchante ni vulgaire », me disait-il.
L.C.K. : En tant que membre du corps professoral de l'INA, cette perte, pensez-vous la combler de sitôt ?
L.S.M. : Longa était un professeur exceptionnel. Je ne sais pas si l'INA réalise à quel point nous l'avons perdu. Il n'y aura assurément pas un deuxième Longa. Je crois que le département déjà fermé n'a qu'à le rester ! C'est vraiment dommage de perdre quelqu'un de sa stature. Quand il a été kidnappé et battu sauvagement, j'étais encore à Kinshasa, je m'en souviens. Il a été battu à la tête, c'était cela sa force. Les gens ne voulaient pas entendre les vérités qu'il proférait... Maintenant, ils ne l'entendront plus et n'avanceront pas, c'est ce qu'ils oublient. Il faut recevoir des remarques pour changer et avancer. Je doute qu'il y ait d'autres Longa de sitôt, peut-être dans cent ans ! Il savait tout faire ... Nous avons perdu une bibliothèque ! Il en savait beaucoup.
L.C.K. : Vous étiez à un moment une proche collaboratrice du défunt, parlez-nous-en.
L.S.M. : Nous avions travaillé ensemble sur de nombreux spectacles. Nous étions nombreux au début, plusieurs sont partis ensuite et je suis restée seule car j'étais devenue son assistante à la création du Ballet Lof. Ainsi, en son absence, j'assurais la direction du ballet alors qu'il était en tournée avec Germaine Acogny. Longa Fo avait une intelligence au-dessus de la moyenne. Je ne le flatte pas parce qu'il est mort, c'est plutôt que je le connais pour avoir travaillé avec lui pendant longtemps. Il avait ses mauvais côtés comme tout le monde, il n'était pas un saint, mais il connaissait son métier et aimait travailler.
Quand les conditions du pays étaient différentes, il nous arrivait de travailler jusque très tard. A l'époque defeu M'zee Kabila, il nous arrivait de travailler jusqu'à des heures indues, à minuit, nous étions KO. ! Au retour, à 3h00 du matin, on se demandait s'il était humain comme nous. Il existe des êtres exceptionnels ! Il nous arrivait de monter un spectacle en trois jours avec Longa ! Je ne pense pas qu'il se trouve quelqu'un capable de monter un spectacle de haut niveau en trois jours. Je le vante parce que je suis son produit, un produit fini, façonné qui représente son savoir-faire. L'on ne réalise pas avoir perdu un monument, un baobab, un être supérieur. L'on attendra encore longtemps pour avoir quelqu'un d'aussi exceptionnel qu'il l'était.
L.C.K. : Vous disiez aussi que c'était éprouvant de travailler à ses côtés ...
L.S.M. : Oui, travailler avec Longa, c'était pénible, dur, éprouvant mais au bout du compte, c'était magnifique ! J'ai préparé beaucoup de spectacles avec lui, à un moment c'était éreintant, il y avait de quoi craquer mais il n'en avait que faire que l'on soit fatigué ou pas. Quand il fallait le faire, il fallait le faire ! Il répétait toujours que nul n'était indispensable. Notre dernière collaboration, c'était avec l'école américaine, le Tasok. Elle nous a permis d'avoir des bourses pour l'apprentissage de l'anglais, c'était magnifique. Il avait réuni des danseurs de divers types, hip hop, danse traditionnelle, etc.
Il n'avait pas de favoritisme, l'essentiel à son niveau c'était la compétence. Tant que tu étais sérieux et travaillais bien, rien d'autre ne l'intéressait. L'origine tribale, il ne s'en formalisait pas et c'est une des valeurs qu'il a su transmettre à ceux qui ont travaillé à ses côtés. Cependant, il a toujours été combattu parce qu'il demeurait dans les normes, la droiture, alors que le facteur compétence, on n'en tenait plus rigueur à l'INA. Je regrette d'être en ce moment en dehors de Kinshasa car je suis en repos médical.