Bénin: Les enlèvements, une stratégie d'expansion pour les groupes extrémistes violents

analyse

Cet article s'appuie sur des recherches menées par l'Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC) dans le cadre du projet OCWAR-T. OCWAR-T est un projet en soutien à la Commission de la Cédéao, financé par l'Union européenne et le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, et coordonné par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ). Le rapport complet peut être trouvé ici.

Le 7 février 2024, des assaillants présumés du Jama'at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) - un groupe affilié à Al-Qaida - sont arrivés dans le village de Fendoga dans l'Alibori, situé entre le parc W et la frontière nigérienne, et ont enlevé le fils du chef de village, à défaut d'avoir localisé et trouvé son père. Ce type d'incident est loin d'être isolé.

Le nord du Bénin fait face à une augmentation de la violence depuis mi-2022 suite à l'infiltration des groupes extrémistes violents (GEV), dont les zones d'opération étaient jusqu'à présent limitées au Sahel. S'il n'est pas le premier pays côtier à avoir été frappé par les GEV, le Bénin est sans doute aujourd'hui l'État du littoral le plus touché par l'extrémisme violent au regard du nombre d'attaques enregistré. Selon les données de l'Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED, de cinq incidents impliquant des GEV présumés en 2021, ce nombre a connu une augmentation de 2300 % pour atteindre 120 en 2022, avant de presque doubler à nouveau pour atteindre 222 en 2023.

Dans ce contexte de violence croissante, les enlèvements se sont multipliés depuis 2022 dans la partie septentrionale du pays. Entre janvier 2022 et décembre 2023, 106 enlèvements ou tentatives d'enlèvement ont été signalés dans l'Atacora et l'Alibori. 75 d'entre eux - soit plus de 70 % - ont été perpétrés par des GEV présumés (principalement les membres du JNIM).

La majorité des enlèvements ont eu lieu dans les communes de Karimama dans l'Alibori et de Matéri dans l'Atacora. Ces localités, situées dans les zones frontalières avec le Niger et le Burkina Faso respectivement, sont particulièrement vulnérables à l'incursion et à l'implantation des GEV en raison de la porosité des frontières mais également et surtout des vastes parcs nationaux qui s'y trouvent.

Parmi les 75 enlèvements perpétrés par les GEV, 18 ont eu lieu dans et autour du parc national de la Pendjari et du parc W. Les parcs nationaux sont des zones clés, dans lesquelles les activités économiques illicites, y compris les enlèvements, s'entrecroisent avec les dynamiques de conflit à l'oeuvre dans le nord du Bénin et en Afrique de l'Ouest plus généralement.

L'enlèvement, pratique systématique des groupes extrémistes violents

Le recours aux enlèvements est un élément systématique de la stratégie du JNIM, utilisé au Bénin mais aussi et surtout dans les trois pays du Sahel central (Mali, Burkina Faso, Niger), où le JNIM opère depuis plus de dix ans. Les recherches conduites par la GI-TOC dans la région ont permis de distinguer plusieurs motivations à l'origine des enlèvements : l'enlèvement des individus se produit à des fins de recrutement forcé, de collecte de renseignements, d'intimidation et de punition.

Bien que ces différentes motivations puissent être analysées et nuancées séparément, trois points principaux sont à retenir pour comprendre le phénomène des enlèvements par les GEV dans le nord du Bénin.

D'abord, quel que soit le type d'enlèvement, les GEV voient dans cette pratique un outil (au même titre que les menaces, les attaques directes, les engins explosifs improvisés et d'autres formes de violence) pour étendre leurs zones d'influence. Autrement dit, le phénomène est étroitement lié à la dynamique du conflit et à l'ambition d'expansion territoriale du groupe. Il ne s'agit pas de violence aléatoire ou d'enlèvements à titre purement criminel (contre demande de rançon).

Ensuite, les cas d'enlèvement ont tendance à augmenter lorsque le groupe commence à intensifier ses opérations dans une nouvelle région. Un pic d'enlèvements dans une zone est donc le signe que celle-ci est en cours d'infiltration ; cela peut être utile pour les mécanismes d'alerte précoce car souvent les enlèvements sont discrets et ont lieu avant les attaques contre les forces de défense et de sécurité, qui élèvent immédiatement le niveau d'alerte.

Le nombre d'enlèvements reste élevé jusqu'à ce que le groupe parvienne à un niveau d'influence fort et largement incontesté (il s'agit de la phase d'enracinement, qui n'a encore été atteinte dans aucune région du nord du Bénin, mais qui est visible dans la région du Sahel au Burkina Faso par exemple).

Enfin, comme il s'agit d'un outil stratégique dans l'expansion de leur influence, les raisons derrière ces enlèvements évoluent en fonction du degré d'influence des GEV sur une zone donnée. Il est donc possible de distinguer des motivations différentes en fonction du degré d'influence, bien qu'il s'agisse d'un processus fluide et en variation constante. Par exemple, les motivations de recrutement forcé et de collecte de renseignements sont les premières à apparaître.

Au Bénin, cela a visé dès 2020 principalement des jeunes hommes, issus soit d'une région géographique particulière soit de groupes disposant de connaissances ou de savoir-faire recherchés (typiquement, les chasseurs opérant dans les parcs nationaux), ou en prenant en compte une dimension ethnique (les GEV cherchant à recruter principalement dans la communauté peule).

Dans une deuxième phase, les GEV utilisent également l'enlèvement comme un moyen de contrôle des populations locales dès lors qu'ils atteignent un certain niveau d'infiltration et d'influence dans les zones où ils acquièrent un certain ancrage local (sans avoir besoin d'être les seuls acteurs contrôlant une zone donnée). Il peut s'agir d'une forme de punition ou d'un moyen d'intimidation des habitants.

Dans le nord du Bénin, comme ailleurs dans la région, le JNIM est connu pour imposer un certain nombre de règles aux communautés. Lorsque ces règles sont enfreintes, les contrevenants sont punis, parfois par un enlèvement. Par exemple, dans la commune de Malanville dans l'Alibori, un agriculteur a été enlevé par des GEV présumés en août 2023, apparemment pour avoir cultivé des terres que les GEV lui avaient interdit de cultiver sous prétexte que ce sont eux qui contrôlent les terres dans cette zone et qu'il devait quitter cet endroit.

Comprendre pour atténuer la menace

Dans d'autres cas, des enlèvements sont perpétrés à des fins de punition à l'encontre de personnes soupçonnées d'avoir collaboré avec les autorités dans la lutte contre l'extrémisme violent. Depuis 2022, les GEV ont enlevé au moins 13 personnes qu'ils soupçonnaient de partager des informations ou d'aider d'une manière ou d'une autre les forces de sécurité. En mars 2024, un homme a été enlevé par le JNIM à Kompa, près de la frontière nigérienne, après avoir été accusé de collaborer avec l'armée.

Les chefs de village, les chefs religieux et toute personne influente ou occupant une position stratégique au sein d'une communauté sont des cibles particulièrement vulnérables aux enlèvements à des fins d'intimidation. Lorsque les GEV ciblent des membres éminents de la communauté, ils le font à des fins stratégiques.

Parfois, il s'agit d'éloigner physiquement ou de déplacer des acteurs de l'État, mais souvent, il s'agit de les intimider pour qu'ils soutiennent les groupes extrémistes (acceptation forcée ou au moins pour dissuader toute résistance). De nombreux exemples illustrent cette dynamique - par exemple l'enlèvement, suivi du meurtre, d'un chef de village et de l'un de ses conseillers à Kangara Peulh en août 2023, ainsi que la tentative d'enlèvement du maire de Karimama en octobre 2022.

Les membres de la famille sont également vulnérables, comme en témoigne l'enlèvement récent (février 2024) du fils du chef de village de Fendoga, mentionné plus haut, ainsi que celui du frère du chef d'arrondissement de Monsey en septembre 2022 (il fut finalement tué en mai 2023).

L'augmentation du nombre d'enlèvements par les GEV est la source de nombreuses tensions et fait du tort aux communautés et aux économies locales, ainsi qu'aux relations avec les autorités locales. Étant donné que les personnes soupçonnées de collaborer avec les forces de sécurité sont systématiquement prises pour cible, les membres de la communauté sont de moins en moins enclins à se rapprocher des autorités.

Cette situation est encore aggravée par le recours fréquent des éléments des Forces de défense et de sécuritaires aux arrestations arbitraires, souvent de personnes issues de la communauté peule, qu'ils soupçonnent d'avoir des liens avec les GEV. Au moment où les GEV tentent de déstabiliser l'État en créant une rupture de confiance entre les autorités et les communautés, afin qu'eux-mêmes se retrouvent renforcés dans leur légitimité, il est important de comprendre et de souligner le rôle clé des enlèvements dans cette dynamique.

Abdel Aziz Mossi, Enseignant-chercheur à l'Université de Parakou et au Laboratoire d'Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local (LASDEL), Bénin, Université de Parakou

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.