Guinée: Dernière ligne droite pour le procès

Matthias Raynal est correspondant en Guinée lorsque, le 28 septembre 2022, s'ouvre un procès pour crimes de masse, le premier de l'histoire du pays. 13 ans plus tôt, à la même date, plus de 150 personnes furent massacrées par les forces de sécurité, lors d'un meeting de l'opposition, au stade de Conakry.

Installé dans la capitale guinéenne depuis 2021, où il collabore notamment avec RFI et TV5 Monde, Matthias Raynal consacre une grande partie de son travail à ce procès. Avant de venir en Guinée, il était correspondant en Tunisie et au Maroc.

La phase des « confrontations » a débuté le 15 avril, dans le grand procès sur le massacre de 2009, à Conakry, en Guinée. Elle fait à nouveau défiler à la barre accusés, victimes et témoins, mais sur des points précis. Plusieurs dizaines de personnes doivent être entendues. Pour l'heure, les lignes de fracture entre accusés se confirment, et quelques témoins s'inquiètent pour leur sécurité. Le procès pourrait se terminer d'ici juillet.

Ils sont assis tous les trois face au président du tribunal, à bonne distance les uns des autres. C'est la première fois qu'ils reviennent à la barre depuis plusieurs mois. Pour certains, cela fait plus d'un an qu'ils assistent aux audiences dans le box des accusés. Moussa Dadis Camara, président de la République en 2009, Aboubacar Diakité, dit « Toumba », son aide de camp, et Marcel Guilavogui, le protégé des deux premiers à l'époque des faits.

Les trois hommes sont soupçonnés d'avoir joué un rôle majeur dans l'organisation et l'exécution du massacre de plus de 150 manifestants lors d'un meeting de l'opposition au grand stade de Conakry, le 28 septembre 2009. Durant leurs précédentes comparutions, ils ont tous clamé leur innocence et se sont mis en cause mutuellement.

Ce matin du lundi 15 avril, l'heure de vérité a sonné. « Avant de commencer, la confrontation ne veut pas dire que nous allons reprendre tous les débats entièrement, prévient le président Ibrahima Sory II Tounkara. Le tribunal a choisi quelques personnes entre lesquelles il y aura une confrontation. Des points précis seront débattus. »

Les premières questions concernent le régiment et la garde présidentielle, accusés d'avoir écrasé dans le sang le rassemblement au stade. Le président du tribunal veut savoir qui dirigeait ces soldats. Dadis et Toumba entament alors un ping-pong verbal. Pour le premier, c'est Toumba qui commandait. Le second lui renvoie la balle : « Vous avez été notre cher père de la nation.

Vraiment, ne vous rabaissez pas à ce niveau, prenez votre responsabilité, monsieur le président ! » Guilavogui se range du côté de Toumba et enfonce le clou : « Je demande au président Dadis de prendre le courage. Il a été père de la nation, commandant en chef des forces armées, à la tête d'une transition militaire... » Chacun campe sur ses positions et cette confrontation, comme les suivantes, n'a pas permis d'apporter de nouveaux éléments. Il n'y a pas eu de revirement majeur mais, dans leur attitude, Guilavogui et Toumba n'ont jamais paru aussi proches, leurs versions aussi concordantes. Lors de cette première journée, ils affichent leur union.

Stratégies d'alliance entre accusés

Me Alpha Amadou DS Bah, coordinateur du collectif des avocats des victimes, se dit déçu par cette confrontation qui n'a pas contribué finalement à faire éclater la vérité. A ses yeux, il est évident que Toumba et Guilavogui se sont concertés. Toumba a lui-même répété durant l'audience, note le conseil, qu'il n'avait aucun problème avec Guilavogui. L'ancien aide de camp de Dadis avait pourtant, lors de son interrogatoire, pointé du doigt le rôle de son camarade dans les violences du 28 septembre 2009. Il a cette fois atténué son témoignage le concernant.

« Toumba est revenu sur des informations cruciales qu'il avait données au départ, souligne Me Bah. Concernant par exemple l'attaque des leaders politiques [au stade], il est allé jusqu'à dire que lui-même n'était pas sûr de la menace que représentait Guilavogui. » Me Bah en est donc persuadé : les deux accusés ont mis en place une stratégie pour se protéger l'un l'autre, « pour essayer de se sauver mutuellement dans cette affaire ».

Le duo est resté à la barre presque toute la journée. D'autres accusés - Moussa Tiégboro Camara, ancien ministre chargé de la lutte contre la drogue et le grand banditisme, puis Blaise Goumou, un officier de gendarmerie - les ont rejoints. Face à Toumba et Guilavogui qui font cause commune, un groupe plus large se dessine, constitué de Dadis, Goumou, Tiégboro. Il faudrait y ajouter Pivi, s'il n'était toujours en cavale. Ces quatre accusés sont les mêmes qui se sont enfuis de la maison centrale en novembre dernier avant d'être rattrapés, excepté Pivi. Au fil des audiences, ils ont fait des déclarations qui tendent à nier la responsabilité de l'ancien président Dadis dans le massacre du stade.

La physionomie de ces confrontations n'a finalement rien de surprenant. Cette scission au sein des prévenus s'est opérée il y a plusieurs mois, après le deuxième passage à la barre de Guilavogui, en juillet 2023. Promettant de « dire la vérité », il avait demandé à être entendu une nouvelle fois. Il avait alors changé de version, reconnaissant avoir été au stade, mais assurant n'y avoir commis aucun crime.

Si Guilavogui avait protégé Dadis lors de sa comparution en octobre 2022, cette fois il balance. C'est en tout cas ainsi que son témoignage est perçu dans le camp de l'ex-président. Guilavogui accuse désormais Dadis d'avoir ordonné le massacre. Avec Toumba, il est le seul à dénoncer l'ancien chef d'Etat.

Stricte police de l'audience

Me Pépé Antoine Lamah, l'un des avocats de Dadis, a une vision très différente de la confrontation qui a impliqué son client. Selon lui, ce dernier est sorti renforcé de cette phase du procès. Toumba et Guilavogui n'ont rien dit de neuf, affirme-t-il. Ils sont restés fidèles à leur version qui n'a pas résisté à l'argumentaire de Dadis, assure le conseil.

Comme annoncé par le président du tribunal, les points discutés sont très précis lors des confrontations et lorsqu'une personne à la barre s'écarte de l'objet de la discussion, elle est rapidement rappelée à l'ordre. Les avocats et le parquet sont recadrés à plusieurs reprises, quand les échanges commencent à ressembler à un simple interrogatoire.

« Vous savez, il ne faut pas qu'on confonde : on a déjà fini avec les interrogatoires, c'est sur les points de divergence que portent les discussions. Et lors de la confrontation, la même question doit être posée aux deux personnes. On ne peut pas poser une question à l'un et une autre question à l'autre. » La cour va vite, certains échangent durent une poignée de minutes seulement. Le 17 avril, une demi-douzaine de confrontations ont lieu.

En milieu d'après-midi, le président du tribunal appelle à la barre plusieurs victimes. Aucune ne répond présent. Le procureur prend la parole : « Monsieur le président, ces deux dames avaient été entendues à huis-clos. Il semble qu'elles soient là, il s'agit maintenant de savoir si la phase des confrontations les concernant sera à huis clos aussi. » C'est une décision qui permettrait de « protéger leur identité », argumente Me Halimatou Camara, avocate des parties civiles.

Le tribunal accepte. Cette fois, les victimes sont venues, mais il est possible que certaines d'entre elles refusent de retourner devant la cour, prévient Me Bah, puisque, depuis le début de ce procès, aucun dispositif n'a été mis en place pour les protéger réellement. « Le décret a été pris mais aucune mesure n'a été envisagée. Pivi toujours en fuite, les victimes auront de bonnes raisons de ne pas venir se confronter à ces accusés », ajoute l'avocat.

Un an et demi après l'ouverture du procès, il semble s'approcher de sa fin. Quand les confrontations seront terminées, ce sera le temps des plaidoiries et des réquisitions, puis celui du verdict. Même s'il y a eu plusieurs retards et des reports inattendus, Me Bah estime que l'affaire devrait se terminer avant les vacances judiciaires, en juillet.

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