Burkina Faso: « Les Donoblih du capitaine Ibrahim Traoré » - La nouvelle force de la communauté sèmè de Orodara

Tous les 40 ans de vie, une nouvelle génération de « guerriers » ou « bras valides » est mise en place dans la communauté sèmè, à Orodara, (province du Kénédougou, région des Hauts-Bassins). Après 1986, l'année 2024 a consacré la mise en place de la nouvelle génération de la communauté. Elle est traduite par une série d'activités tradi-culturelles marquées par une initiation qui dure trois croissants lunaires. Le 12 avril 2024 a marqué la fin de cette initiation et confirme le changement de statut de ces jeunes hommes appelés « Donoblih ». Leur accueil au sein de la communauté est l'occasion de manifestations festives soutenues par des rituels et des sacrifices. Forte d'environ 600 membres, cette nouvelle cohorte a pris comme nom de baptême, « Les Donoblih du capitaine Ibrahim Traoré », curieusement à l'image de celle de 1986 qui a été baptisée, « Les Donoblih du capitaine Thomas Sankara ».

A un jet de pierre du palais de Sa Majesté Massa Traoré de Orodara, au secteur 2, un espace aménagé affiche visiblement des allures de fête. En cette matinée du 12 avril 2024, malgré un ciel menaçant, l'aire de la manifestation est déjà bondée de monde. Personne ne veut se faire conter la sortie officielle des « Donoblih » de 2024, ou les enfants du Do en Siamou.

« La communauté sèmè évolue suivant une étape générationnelle de 40 ans. Dès la naissance, nous sommes considérés comme des Batchèm , c'est-à-dire des hommes qui ne sont pas mûrs et il faut avoir subi l'initiation au Do afin de prendre le statut d'homme mûr, de guerrier de la communauté, un statut confirmé par le baptême au prénom d'initié suivant un rituel voué aux signes zodiaques », a révélé Sondé Coulibaly dit Yacouba de la caste des forgerons dont Klin est le prénom d'initié. Peu de temps avant 11 heures, la clameur monte d'un coup et une sonorité du terroir faite de balafon, du « krokoto » (un ensemble de 3 petits tamas fait de terre cuite) et de flûte accompagnée de chants de femmes annonce l'arrivée des « Donoblih ».

3 croissants lunaires dans le bois sacré

Des armes en bois et des queues en main, des bracelets, des amulettes aux bras et aux biceps, des grelots ceints au niveau des genoux, les « Donoblih » en masques de fibres noires, truffés de gris-gris, font une procession aux pas de danse des initiés. Une hiérarchie séculaire tient le rang de cette parade. En effet, selon Foué Lassina Traoré, l'un des fils du chef de Orodara, les griots au masque muni de long bec ouvrent le défilé. Ils sont suivis des forgerons et des nobles.

« Dans chaque catégorie, les cadets sont précédés des aînés et seuls les neveux peuvent se choisir une place privilège dans le rang », a précisé Foué Lassina. « J'avais de l'appréhension avant de rentrer dans le bois sacré mais aujourd'hui, cette peur fait place à une vitalité, une fierté de promouvoir et de valoriser notre culture», s'est exprimé le dorénavant, Konon Ibrahim Traoré.

A côté de lui, Kouélé Ousmane Traoré se réjouit d'avoir pu accomplir cet acte hautement important pour sa commu-nauté et lui. A l'image de ces deux, ils sont environ 600 jeunes hommes issus de quatre villages (Orodara, Nialé, Salé et Vidara), âgés de 17 à 37 ans, venant de toutes les catégories sociales d'après Kin Sibiri Traoré, le commandant des « Donoblih » 2024.

« Durant 3 croissants lunaires, ces jeunes ont séjourné dans le bois sacré afin d'être initiés aux us et coutumes de la communauté sèmè. Il s'agit fondamentalement de répondre aux 3 capitales préoccupations que sont : d'où venons-nous ? qui sommes-nous ? et où allons-nous ? », a indiqué Klin Sondé Coulibaly. « Ces braves garçons ont été enseignés sur la citoyenneté, le savoir-être, le savoir-faire et le savoir-vivre en communauté et avec les autres communautés », a-t-il ajouté.

Et cette sortie leur confère le statut d'hommes mûrs, nourris de la sève sèmè, foi de Klin Sondé. « Ils sont les porte-étendards, les guerriers de la communauté et sont à mesure de la défendre durant les 40 prochaines années », a-t-il soutenu. « C'est une nouvelle génération qui se met en place, l'air change au sein de la communauté sèmè », a affirmé Klin Sondé Coulibaly. Un changement qui marque le renouveau et la continuité des valeurs ancestrales, selon Djougouèl Magloire Traoré, président du comité d'organisation de la cérémonie officielle de sortie.

Des interdits

Pour Massa Traoré, le chef de Orodara, l'initiation au bois sacré a une importance capitale dans la communauté parce qu'elle définit et caractérise le peuple, joue un rôle majeur et ne peut pas être survolée. « Sans elle, notre communauté meurt », a-t-il appuyé. Cette pratique ancestrale qui puise ses origines de la fondation de Orodara dans les années 1800, dit-il, interpelle au renouvellement de bras valides, de penseurs et aussi à une révision de lois et de règles mises en place il y a 4 décennies. Aussi, pour ne pas laisser certains en marge, un processus est mis en place, à écouter Klin Sondé Coulibaly. En effet, selon lui, une série d'initiations intermédiaires dénommées « Kinnin-kinni » ont été faites en 2015, 2017 et 2021.

Ce sera aussi le cas, a-t-il poursuivi, en 2025, 2026 et 2027. Cet organe régulateur de la société, selon Foué Lassina Traoré, émet aussi des interdits. En effet, les filles et les tout-petits ne sont pas autorisés à rejoindre le bois sacré. Ils se rasent la tête au moment de l'arrivée des « Donoblih ». « C'est pour eux un acte d'accompagnement, d'affirmation de son ap-partenance à la communauté sèmè », a souligné Lassina Traoré.

De plus, la grande famille des forgerons de Grichin, la grande famille du chef de canton et les habitants du quartier Tchocô ne se rendent pas au bois sacré, mais reçoivent leur initiation à la maison, a ajouté Klin Coulibaly. Aussi, il n'est pas permis à toute personne d'assister à une troisième sortie officielle de « Donoblih ». En dehors des encadreurs, l'accès au bois sacré est interdit à toute personne. Cependant, seules les griottes sont habilitées à s'y rendre, aussi elles leur apportent à manger et à boire. L'acte de réjouissance populaire organisée, le vendredi 12 avril 2024, lors de la sortie du bois sacré est l'une des facettes visibles de cette activité ancestrale.

En effet, ce retour du Do entame durant 3 jours l'accomplissement de rituels et de sacrifices autour de certains autels à travers la ville avant que les « Donoblih » ne regagnent leur domicile respectif. C'est aussi à cette occasion que les résidents et la diaspora se confient aux différents autels pour diverses sollicitations. Tout au long de ces 3 jours, les griottes assurent l'animation avant le bouquet final du dimanche soir. Et tard dans la nuit de ce troisième jour, à l'abri des regards, les « Donoblih » se débarrassent de leur masque en les accrochant aux murs de vestibules avant de regagner leur domicile où les parents, dans l'impatience, les attendent afin d'exprimer cette fierté familiale. Une fierté qui contamine toute la communauté sèmè.

Deux capitaines et chefs d'Etat

Faisant le parallèle et citant la magie du temps, Klin Sondé Coulibaly a souligné le fait que les enfants du Do de 1986 et ceux de 2024 ont pour nom de baptême des capitaines et chefs d'Etat.

Il s'agit respectivement de Thomas Sankara et de Ibrahim Traoré. Pour le ministre d'Etat, ministre de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, parrain de la cérémonie, il s'agit d'une génération qui a fait le choix d'être en phase avec les orientations de la Transition mais aussi et surtout de défendre les valeurs prônées par le chef de l'Etat.

Aussi, le ministre en charge de la culture a rassuré de l'engagement du gouvernement à oeuvrer pour pérenniser cette pratique qui est une immersion des jeunes sèmè aux sources, aux valeurs et aux règles ancestrales afin de servir leur famille, leur communauté et leur pays avec fierté et intégrité. Quant au ministre d'Etat, ministre de la Défense et des Anciens combattants, Kassoum Coulibaly, représentant le chef de l'Etat, il a précisé que cette initiation au bois sacré, en même temps qu'elle détermine la communauté sèmè, participe à la valorisation de notre culture.

« Il convient de saluer cet engagement en faveur des us et coutumes, valeurs cardinales de la société et les techniques endogènes de protection de la communauté sèmè », a confié le ministre en charge de la défense. En attendant le « Kinnin-kinni », le processus intermédiaire d'initiation, rendez-vous est pris pour au plus tard en 2064 pour les prochains « Donoblih ».

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