Le nouveau ministre de l'Education nationale, Moustapha Mamba Guirassy, a annoncé, dans une note en date du 19 avril dernier, qu'il sera procédé à un recensement exhaustif du personnel enseignant en service dans les écoles, établissements et structures relevant de son département. Selon lui, «l'objectif de cette initiative est de dresser une photographie exhaustive et précise de la répartition de nos ressources humaines». Interpellés sur ce recensement, les secrétaires généraux du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels), Amidou Diédhiou, et du Syndicat des enseignants libres du Sénégal/Authentique (Sels/A), Pape Mbaye Mary Sylla, saluent la décision et soulignent qu'elle permettra de faire l'état des lieux du personnel enseignant en vue d'un recrutement ou d'un redéploiement d'enseignants. Ils sont aussi revenus sur les autres défis à relever dans le secteur de l'éducation pour le nouveau ministre.
AMIDOU DIEDHIOU, SECRETAIRE GENERAL DU SELS
«Ce recensement permettra de s'apercevoir du déficit que connaît le secteur»
«Un recensement de personnel est toujours une bonne chose, en ce sens qu'il permet non seulement de faire l'état des lieux du personnel du secteur, mais aussi de connaître les éventuels besoins et de faire une bonne planification. Je ne sais pas quels sont les objectifs finaux ; mais à notre sens, ce recensement permettra de s'apercevoir du déficit que connaît le secteur et de se mettre à l'évidence qu'il faut, dans les meilleurs délais, avoir une politique bien réfléchie de recrutement conséquent d'enseignants. Ce recrutement, que nous souhaitons de tous nos voeux, doit se faire en toute transparence et de manière démocratique.
À ce sujet d'ailleurs, nous suggérons fortement au ministre de puiser sur les niches existantes. En clair, s'il doit recruter, il pourra bien mettre à profit le fait que, dans nos écoles, il y a de jeunes sénégalais qui exercent depuis longtemps, qui ont capitalisé une expérience et qu'il suffit de «capaciter» pour qu'ils soient utiles au système éducatif : il s'agit des animateurs polyvalents, des enseignants des classes passerelles mais aussi des enseignants des classes préparatoires de l'élémentaire.
Nous rappelons aussi au ministre que ce recensement doit tenir compte du fait que tous les enseignants ne peuvent pas être dans les classes ; je pense aux malades, aux anciens maires ou autres. Il devra se rappeler également que des enseignants sont à ce jour dans une situation presque irrégulière, par la faute du ministère de l'Education nationale, parce qu'ils ont demandé une disponibilité qui ne leur ait pas été accordée, alors que c'est un droit.
Au sujet des défis, ils sont très nombreux. Nous en citerons juste quelques-uns :
La nécessité de refondation profonde du système qui passe par la révision des curricula ; l'introduction des langues nationales ; la révision de la gouvernance du système ; la rénovation de l'environnement scolaire ; des lenteurs administratives avec comme conséquence la dématérialisation de la gestion...
Aussi le ministre devra trouver des solutions rapides à la lancinante problématique des enseignants décisionnaires, au résiduel des Protocoles d'Accord de 2018 et 2022, à la sortie rapide des actes de nominations des directeurs d'écoles et surveillants généraux, la correction du système de rémunération, la révision du décret organisant les CRFPE pour non seulement augmenter la bourse des élèves-maîtres mais aussi initier un mécanisme qui permettrait désormais à ces élèves-maîtres de sortir des CRFPE avec le diplôme professionnel, comme ça se passe avec les élèves-professeurs qui sortent de la FASTEF.
Nous attendons du ministre accessibilité, ouverture mais aussi pragmatisme et efficacité. C'est venu le moment de redonner à l'instituteur toute la place qu'il mérite dans le système et de lui accorder une attention particulière, en corrigeant toutes les injustices qu'il subit. S'agissant des défis, nous noterons aussi l'urgence d'éradiquer les abris provisoires.»
PAPE MBAYE MARY SYLLA, SECRETAIRE GENERAL DU SELS/AUTHENTIQUE
«C'est une décision normale que nous saluons »
«Le recensement du personnel enseignant, annoncé par le ministre de l'Education nationale, est une décision normale que nous saluons. Nous pensons aussi que tous les autres secteurs doivent faire la même chose parce qu'en réalité, il s'agit d'un audit pour voir si tous ceux qui émargent au niveau de son département, sont effectifs. Il ne faut pas perdre de vue que le système a un déficit de plus de 7000 enseignants. Donc, le recensement va lui permettre de faire deux choses. D'abord, ça entre dans le cadre de la bonne gouvernance des ressources parce que c'est sûr et certain que ceux qui ne seront plus là, vont voir leurs salaires coupés. Ensuite, ça doit préparer logiquement un redéploiement de personnel là où il y a un surnombre. Mais, dans tous les cas, après avoir fait le recensement, ce qui est le mieux indiqué, c'est de discuter avec les organisations syndicales et avec également toutes les parties prenantes du système pour voir quelle décision il faut prendre ensemble.
Autres défis à relever pour le nouveau ministre, je pense, comme je l'ai dit, qu'il doit aller d'abord dans le sens d'un recrutement de personnel enseignant bien formé et il faut que ce recrutement se fasse par voie de concours. Il y a également la révision des curricula. Quand nous parlons de curricula, nous pensons aux programmes qui sont dépassés, aux manuels scolaires, au système d'évaluation qui n'est pas bon. Je pense qu'il doit s'attaquer à ça, du préscolaire au lycée. Il y a également la résorption des nombreux abris provisoires qu'il faut faire. Les IA (Inspections d'académies, ndlr) les ont estimés à 6000 au niveau national. Il s'agit simplement de faire les régions périphériques pour voir que ces abris donnent un vilain reflet du système éducatif sénégalais.
Il doit aussi régler définitivement la formation diplomante des chargés de cours pour leur permettre d'être reclassés dans les corps dédiés. Il s'agit d'une catégorie d'enseignants qui font un travail de professeurs au niveau des collèges et des lycées et qui ne sont pas traités comme des professeurs. Je pense également qu'il doit faire au moins trois plaidoyers. Le premier, c'est un plaidoyer pour la reprise des élections de représentativité syndicale dans le secteur de l'éducation. Ces résultats ont été annulés par la Cour suprême.
Il faut qu'il donne l'occasion aux enseignants de choisir leurs représentants de manière démocratique et transparente au niveau des différentes réunions qui seront convoquées par le gouvernement. Le deuxième plaidoyer qu'il doit faire, concerne la suppression du corps des enseignants décisionnaires. Dans le système, il y a deux catégories d'enseignants : des enseignants à part entière et des enseignements entièrement à part. Donc, il y a une discrimination qui est constatée du point de vue de la carrière et de la pension de retraite. Il faut que cela cesse.
Il doit également faire un plaidoyer pour la signature d'un décret fixant les modalités et les programmes des examens professionnels des «serignes daara» (maîtres coraniques, ndlr) recrutés dans le cadre du recrutement spécial. Ces «serignes daara» enseignent aujourd'hui mais n'ont pas la possibilité de faire leur examen professionnel parce que le décret qui est là, ne concerne que le préscolaire et l'élémentaire. Donc, il faut que ce décret soit modifié ou repris pour leur permettre de savoir les disciplines qu'ils peuvent faire à la pratique de classe, le programme qu'ils peuvent enseigner officiellement dans les daaras, et l'évaluation qu'ils vont faire. Jusqu'à présent, ils attendent, alors que leurs camarades de promotion sont certifiés et certains sont même reclassés comme fonctionnaires.»